Publié le 2 Jan 2020 - 20:01
TROISIEME MANDAT PRESIDENTIEL

Suite et pas fin d’une ambigüité

 

Après son allocution du Nouvel an, le président de la République Macky Sall, réélu il y a dix mois, a laissé planer le suspense sur une éventuelle candidature à un troisième mandat devant la presse.

 

Mardi soir, la caméra s’est attardée sur le minois jovial et rieur du ministre d’Etat Ismaila Madior Fall, quand il a été question d’un hypothétique troisième mandat. Après la traditionnelle allocution du président de la République, un entretien s’ensuit avec la presse au palais. La discussion en arrive à la question très taboue d’une éventuelle candidature de Macky Sall à la Présidentielle de 2024. Si le cadreur a eu le réflexe de zoomer sur le ci-devant ministre de la Justice, c’est qu’il a été le premier, dans nos colonnes, il y a près d’un an, à semer l’ombre d’un doute sur l’impossibilité totale pour le président Macky Sall de ne plus briguer le suffrage des Sénégalais. Avant-hier, le chef de l’Etat, fidèle à sa ligne de communication, a refusé de lever l’équivoque sur ce backdoor institutionnel, cette porte dérobée, épaississant un peu plus le nuage de soupçon qui pèse sur lui et son désir de se présenter dans quatre ans.

A la question fermée de Babacar Fall de la Rfm de savoir si, ‘‘oui ou non’’, il serait candidat à la Présidentielle de 2024, Macky Sall s’est fait péremptoire dans son indécision. ‘‘Ce ne sera ni oui ni non. A pareil moment, l’an passé, vous m’aviez posé la même question, et même bien avant que j’aille en campagne. Quelle que soit ma réponse, le débat ne va pas s’estomper. Ça intéresse certains peut-être, mais je suis dans la conviction qu’on m’a confié un mandat pour lequel je dois travailler avec des collaborateurs que j’ai choisis’’, s’est défendu Macky Sall.

Devant la perplexité de ses quatre intervieweurs, le chef de l’Etat sénégalais d’essayer un argument moral. ‘‘Serigne Cheikh Mbacké Gaindé Fatma avait l’habitude de dire : ‘Ne jamais perdre son temps sur ce qui est révolu et se consacrer sur l’action présente. Quant au futur, se garder de toute appréciation, car c’est le domaine de Dieu.’’’

C’en est trop pour le journaliste qui relance que l’ambiguïté persiste toujours. ‘‘Si ça laisse dubitatif, c’est que c’est la personne qui a des problèmes elle-même. Je remplis le mandat dont je suis le dépositaire. Si je dis que je ne serai pas candidat, vous savez que personne, dans mon gouvernement, n’aura le cœur à travailler. Personne ! Qu’on le dise ou pas. Ils ne travailleront plus les cinq années pour lesquelles j’ai été réélu. Quel est l’intérêt d’une telle déclaration, dans ce cas ? A contrario, si je déclare ma candidature, la polémique enflera, les marches de protestation aussi. Il n’est pas encore l’heure pour ce débat’’, a insisté le président Macky Sall.

Moussa Diaw : ‘‘Ce n’est pas une bonne excuse’’

Pour le professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, les explications bancales consolident, légitiment la partie de l’opinion qui pense qu’un troisième mandat de Macky n’est pas à exclure. ‘‘Ça va renforcer la suspicion. Il a même dit que ça allait être la pagaille, des tiraillements, des gens qui ne travailleront plus dans son parti, s’il s’exprimait clairement sur ce sujet. Ce n’est pas un argument solide, ce n’est pas une bonne excuse. On est en démocratie, il doit y avoir une transparence et on doit se soumettre au texte constitutionnel. S’il avait dit qu’il respecterait la Constitution, il n’y aurait pas de problèmes. Ça laisse place à différentes interprétations sur sa détermination, sa volonté et son véritable état d’esprit’’, interprète l’universitaire spécialisé en sciences politiques.

Moussa Diaw s’inquiète d’autant plus que les homologues ivoirien et guinéen de Macky Sall sont dans une logique qui, si elle réussit, pourrait faire tache d’huile au Sénégal. ‘‘Nous sommes également dans un environnement régional marqué par cette velléité de troisième mandat, que ce soit en Guinée ou en Côte d’Ivoire. Du moment que le leader politique ne veut pas se prononcer, le Sénégal n’en est pas exempt’’.

Pas plus tard que le lundi 31 décembre 2018, après son adresse de Nouvel an, Macky Sall avait déclaré, devant des journalistes sénégalais qui lui avaient posé la question sur son intention de s’en limiter à deux mandats, en cas de réélection à la Présidentielle de février 2019 : ‘‘C’est moi qui ai écrit la Constitution. Quand on a ramené le mandat de 7 à 5 ans, j’ai dit que le mandat est renouvelable une fois. J’y ai rajouté une clause qui stipule que nul ne peut faire plus de mandats consécutifs (...) Une fois réélu, je fais un deuxième mandat de 5 ans. Cela fera 7 plus 5 (…). Il faudra partir (…). C’est ça l’option fondamentale (…)’’, avait-il déclaré, marquant même son étonnement de voir prospérer de telles interrogations.

Mais cet engagement a sonné comme une simple promesse de campagne quand, moins d’un mois après sa réélection, son ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, fait une déclaration très sujette à controverse, dans les colonnes du journal ‘’EnQuête’’. ‘‘Bon… Pour moi, la Constitution est claire, mais j’ai entendu des professeurs de droit dire que, telles que les dispositions ont été rédigées, le président peut faire un autre mandat. Moi, je pense que la Constitution est claire. En principe, c’est le deuxième et dernier mandat’’, avait lancé Ismaila M. Fall, ouvrant la porte aux interprétations les plus tendancieuses entre majorité présidentielle et opposition.

L’affaire prend une tournure beaucoup plus sérieuse quand, en octobre dernier, deux hauts cadres de l’Apr (Sory Kaba et Moustapha Diakhaté) sont remerciés par Macky Sall, après deux sorties médiatiques où ils ont clairement déclaré que Macky Sall ne pouvait pas candidater en 2024 pour un 3e mandat.  Le Pr. Diaw d’expliquer que ‘‘justement, ça n’a jamais été clair’’. ‘‘Pourquoi les gens sentent le besoin de revenir là-dessus ? S’il s’était exprimé clairement, ce doute n’aurait pas persisté si longtemps’’.

Chef d’Etat... et de parti

D’après le professeur, cette équivoque que le président Sall se plait à maintenir est la résultante d’une problématique que la classe politique a érigé en règle : l’association chef de parti-président de la République. ‘‘Le fait d’être à la fois président et chef de parti revient aussi au centre du problème. Macky Sall excuse une partie de son argumentation par des défaillances qui pourraient venir de son propre parti. Il oublie qu’il est président de la République. Il n’aurait jamais dû s’excuser par cet argument partisan. Il n’a pas à se préoccuper de son parti, pour ce cas précis. C’est une réponse politicienne à une question constitutionnelle (...) Peut-être que c’est entretenu délibérément. Il dit qu’on est dans une démocratie. Justement, en démocratie, il n’y a pas de tabou à aborder ce genre de question, car ça relève de textes qui guident le fonctionnement de l’Etat. Sa réponse est équivoque’’, insiste le professeur.

D’ailleurs, c’est sur ce paramètre qu’un autre journaliste a rebondi pour rappeler au président que la non-structuration de l’Alliance pour la République (Apr) est à l’origine de cet intérêt autour du 3e mandat. L’Apr est né en 2008 et est arrivé au pouvoir moins de quatre ans plus tard. Depuis, il est le noyau d’une coalition très cosmopolite de grands partis appelé Bby. 2024 pourrait être le point de rupture où tout éclatera à l’intérieur de l’Apr et donc de Bby. 

Mais Macky Sall n’en démord pas, malgré la relance d’Aliou Diarra de la Dtv. ‘‘J’ai parlé de ce sujet, mais la polémique se poursuit et continue d’alimenter les esprits de détracteurs. Vous voulez que j’y fasse quoi ? Je travaille pour le Sénégal. Le moment venu, je prendrai mes responsabilités. J’en ai parlé et parlé encore, mais ça n’a pas suffi à clore la polémique. J’ai dit à mes collaborateurs de faire fi de la controverse et de travailler. Je ne vais plus perdre mon temps à conjecturer sur 2024. A terme, advienne que pourra, avec la permission de Dieu. Quant à ceux qui sont obsédés par le mandat, bien sûr, l’idéal, pour eux, serait que je me prononce clairement’’, s’est entêté le chef de l’Etat. 

Au demeurant, Moussa Diaw estime que même si c’était pour la bonne raison, le président a fait de mauvais choix en s’expliquant. ‘‘Si les gens partent, c’est lui le chef. Même s’il donne une réponse positive, comme quoi, il n’allait plus se présenter encore, que ceux qui veulent partir partent. Qu’il les remplace et trouve d’autres plus compétents et plus engagés. La vertu de la responsabilité, c’est de prendre les décisions quand il faut et d’être intransigeant sur ces questions relatives à la gestion du personnel politique. Il ne faut pas qu’il continue à donner l’idée d’une pagaille dans ses rangs’’, estime-t-il.

Dialogue national : promesse d’application

Dans son allocution de Nouvel an, Macky Sall s’est également appesanti sur l’autre projet politique phare de son début de second (?) mandat : le dialogue national. ‘‘Je salue l’engagement de toutes les forces vives de la nation dans ce dialogue. Avec la bonne volonté de tous, j’ai confiance qu’à l’issue des trois mois que dureront les concertations, nous parviendrons à de nouveaux consensus pour conforter l’expérience démocratique et le progrès économique et social de notre pays’’, a-t-il déclaré.

La semaine dernière, il a installé le Comité de pilotage du dialogue national qui servira de cadre de facilitation des échanges sur les différentes thématiques à l’ordre du jour. Un comité dirigé par Famara Ibrahima Sagna qui devrait rendre ses conclusions en mars. Devant la réticence d’une partie de l’opposition, Macky Sall a pris l’engagement que ‘‘tout ce à quoi on sera parvenu par consensus dans l’intérêt supérieur du Sénégal, (il)

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