Publié le 16 Dec 2018 - 18:00
UNITE D’ACTION, LIMITATION DE SES CANDIDATURES, OFFRE PROGRAMMATIQUE…

Les combats différés de l’opposition

 

Exclusivement consacrée, depuis un bon moment, au combat pour son accès au fichier électoral, l’opposition relègue au second plan ce qui, pourtant, devrait constituer la mère de ses batailles : son unité d’action, la limitation de ses candidatures et la formulation d’une offre programmatique surfant sur les difficultés auxquelles les Sénégalais sont confrontés sous le régime de Macky Sall.

 

L’opposition sénégalaise se trompe-t-elle de combat en perspective des prochaines joutes électorales ? Est-elle suffisamment structurée pour imposer au président de la République sortant un rapport de force qui pourrait tourner en sa faveur, à l’issue du scrutin présidentiel de 2019 ? Ces questions méritent d’être posées, à quelque trois mois de la prochaine élection présidentielle de 2019. Car, rien ne bouge dans les rangs de l’opposition sénégalaise, si ce n’est des déclarations de candidature qui pullulent.

Le champ politique semble complètement laissé aux tenants du pouvoir qui, en dépit des difficultés auxquelles ils sont confrontés et quelques casseroles qu’ils trainent, déroulent tranquillement et filent tout droit vers le rendez-vous de 2019. D’ailleurs, le président de la République se montre confiant pour une réélection et se projette sur un ‘’second mandat’’. Sa sortie sur les plateaux de France 24, soutenant qu’il n’écarterait pas une amnistie pour Karim Meïssa Wade et Khalifa Ababacar Sall, en cas de victoire, dénote de cette confiance de passer dès le premier tour du scrutin présidentiel de 2019. Au moment où le chef de l’Exécutif et sa coalition Bby déroulent, le retrait, voire l’effacement de l’opposition interpelle. Celle-ci brille par son manque d’organisation, sa présence timide sur le terrain politique et ses initiatives sporadiques qui ne sont pas suivies d’effets.

D’ailleurs, la dernière initiative de Me Mame Adama Guèye, qui vient de porter sur les fonts baptismaux la Plateforme opérationnelle de sécurisation des élections (Pose), est de nature à entrer dans ce dernier cas de figure. S’agit-il d’une prise de conscience de ses lacunes ? Assiste-on au début d’une unité d’action à même de permettre de tenir la dragée haute à la coalition au pouvoir ? Ou encore, s’agit-il d’une prise de conscience que l’éparpillement de ses forces et le trop plein de calculs politiques sont rédhibitoires face à la force tranquille qu’est Bby ? Le Pds n’a-t-il pas raison de considérer que cette plateforme est superflue et risque de venir concurrencer le Front de résistance nationale (FRN) qui est à même de prendre en charge la question de la sécurisation du vote à la prochaine Présidentielle ?

En tout cas, le constat est que l’opposition aime l’accessoire et se méfie de l’essentiel. De ce fait, elle est en train de perdre la bataille de la communication. Alors qu’il y a beaucoup de choses à redire dans la gouvernance du président Macky Sall, marquée par une tension de trésorerie niée, au départ, par les autorités, mais finalement reconnue par le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan Amadou Ba. Les problèmes dans les secteurs de l’éducation, de la santé…

Dernièrement, elle a essayé de surfer sur les ‘’nébuleuses’’ décriées dans les contrats d’exploration pétrolière signés. L’opposition s’est aussi appesantie sur l’exploitation des mines de fer de la Falémé et le Train express régional (Ter) qui, selon Ousmane Sonko, a coûté au contribuable sénégalais plus de 1 000 milliards. Elle a aussi dénoncé, avec la dernière énergie, ‘’le coup de force’’ d’Aminata Touré au moment de déposer les listes des parrainages au Conseil constitutionnel.

Egalement, dans le processus électoral, l’opposition a pris l’option de boycotter tous les cadres de concertation politique, à l’issue des élections législatives du 30 juillet 2017. De ce fait, celui-ci est jusqu’ici piloté par le régime. Et Macky Sall n’a aucunement l’intention de récuser son ministre de l’Intérieur et de confier l’organisation de la présidentielle 2019 à une entité indépendante, en tout cas autre que ledit ministère.

Absence d’offres programmatiques

Comme on le voit, l’opposition a pris le parti de l’attentisme, contrairement, par exemple, à la coalition Benno Siggil Senegaal qui a mené, en 2011, d’âpres combats politiques pour venir à bout du régime d’Abdoulaye Wade. Actuellement, elle reste concentrée sur la bataille pour son accès au fichier électoral. Un combat qui n’aurait pas dû avoir lieu, si un consensus avait été trouvé avec le pouvoir pour piloter ce processus, vu la sensibilité et l’importance de la question dans le dispositif électoral.

Ce combat est-il prioritaire à son unité d’action, à la limitation de ses multiples candidatures qui s’annoncent déjà et la formulation d’offres programmatiques sérieuses prenant en compte les difficultés que vivent les populations sénégalaises au quotidien ?

En effet, de tous les candidats déclarés à la prochaine élection présidentielle du 24 février 2019 dans les rangs de l’opposition sénégalaise, seuls les leaders du Pastef Ousmane Sonko, du Grand parti (Gp) Malick Gakou et de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail Abdoul Mbaye ont proposé aux citoyens sénégalais des projets de société. Le reste du peloton, comme le Parti démocratique sénégalais, le Rewmi d’Idrissa Seck ou encore la Convergence libérale démocratique/Bokk gis gis, traine les pieds jusque-là.

Principal parti de l’opposition, le Pds, qui a eu à diriger le pays pendant douze bonnes années, n’a formulé jusque-là aucune offre politique.

Pr. Moussa Diaw : ‘’Si cette opposition ne parvient pas à cristalliser tous les mécontentements…’’

D’ailleurs, selon le Pr. Moussa Diaw, enseignant-chercheur en Science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, il n’y a aujourd’hui aucun projet fédérateur au sein de l’opposition. ‘’Je pense qu’il y a un décalage pour la simple raison que l’opposition ne semble pas s’inscrire concrètement dans le débat politique pour conquérir le pouvoir. Parce que, si on s’inscrit dans cette logique, on a une offre politique, des axes de réflexion et des propositions concrètes comme alternatives par rapport à ce qu’on est en train de faire. Cette dispersion montre qu’il n’y a pas un projet qui fédère les gens. Il n’y en a pas et les citoyens qui regardent cela n’ont pas confiance et prennent leur distance’’, analyse-t-il.

Les maux de l’opposition sénégalaise viennent, en partie, de son manque de structuration. En fait, face à une absence de leadership qui se traduit par les différentes candidatures qui se déclarent urbi et orbi en perspective des prochaines joutes électorales, ces différents leaders n’arrivent pas à fédérer leurs forces pour représenter un groupe d’opposition solide, capable de mobiliser les citoyens autour des enjeux du moment. ‘’Si cette opposition ne parvient pas à cristalliser tous les mécontentements, cela montre qu’elle a des faiblesses de mobilisation des citoyens autour de thématiques. En ce moment, la thématique politique qui pose problème, c’est le parrainage. C’est l’occasion de mesurer les capacités et les forces de l’opposition’’, soutient Moussa Diaw.

Le professeur souligne qu’il y a un malaise au niveau de l’opposition, parce que ses différents leaders n’arrivent pas à trouver parmi eux un capable de fédérer tout le monde. ‘’Ce manque de leadership fait aujourd’hui que les forces sont dispersées. L’opposition n’arrive pas aussi à s’unir, parce qu’il n’y a pas un projet derrière. S’il y avait un projet de société autour de cette question, avec une feuille de route qui traduit un enjeu important pour les échéances électorales, en ce moment, je pense qu’on aurait des coalitions et de regroupements solides qui s’inscrivent dans un objectif précis avec des orientations et des axes de politique bien déterminés’’, déclare-t-il.

A ce jour, chacun des leaders de l’opposition pense qu’il peut aller au second tour et battre le président sortant. Personne d’entre les leaders comme Idrissa Seck, Pape Diop, Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko, Malick Gakou ou encore Me Madické Niang n’est aujourd’hui dans une dynamique de renoncer à sa candidature pour renforcer le camp de l’autre. Ils ne sont, en réalité, d’accord que sur le départ du président Macky Sall du pouvoir. Pour le reste, leurs ambitions s’entrechoquent au fur et à mesure qu’on s’approche des prochaines joutes électorales.

Dans le cas d’espèce, s’ils ne sont pas obligés de tous renoncer à leur candidature, compte tenu de la nature de l’élection présidentielle, cet éclatement ne peut être gage d’efficience. Les leaders de l’opposition seraient, donc, bien avisés de mutualiser leurs forces pour espérer faire prévaloir leurs souhaits et s’assurer une élection libre et transparente en 2019.

Le Pds tout droit vers un forfait

Aujourd’hui, le symbole des atermoiements de l’opposition est le Parti démocratique sénégalais. Le parti de Me Abdoulaye Wade s’enlise davantage dans sa stratégie de maintenir la candidature de Karim Wade qui risque plus de déboucher sur un forfait en 2019 que sur une candidature crédible et fédératrice de toutes les forces de l’opposition. Le chemin emprunté par le parti semble, en effet, sans issue. Le ‘’Pape du Sopi’’ et les responsables libéraux qui lui sont restés fidèles risquent de se heurter à une invalidité de la candidature de Karim Meïssa Wade dont le nom ne figure même pas sur les listes électorales.

A moins d’un retournement de situation, le fils de l’ancien président de la République file tout droit vers une invalidation de sa candidature par le Conseil constitutionnel et le Pds vers un boycott de la présidentielle.

Reste à savoir à qui bénéficierait ce scénario catastrophe. A moins que le ‘’Pape du Sopi’’ ne garde une carte dans sa manche.

ASSANE MBAYE et GASTON COLY

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