Publié le 1 Dec 2017 - 21:46
USURPATION DE FONCTION

Un rabatteur du tribunal risque encore 3 ans de prison 

 

Le Parquet a requis hier des peines de 1 an et 3 ans ferme contre un rabatteur au Palais de Justice Lat Dior. Oumar Ndiaye comparaissait devant le Tribunal correctionnel de Dakar pour escroquerie et usurpation de fonction.

 

‘’Lorsque j’ai vu Oumar pour la première fois au tribunal, en 2012, je l’ai interpellé dans un coin pour lui dire : vous êtes dans un milieu glissant. Soyez au millimètre près de votre dignité’’, a déclaré hier Me Moustapha Dieng à la barre du tribunal correctionnel de Dakar, pour rappeler les conseils qu’il avait donnés à Oumar Ndiaye. Hélas, ceux-ci ont été ignorés. Car celui que l’avocat appelle affectueusement un ‘’jeune frère’’ allonge la longue liste des démarcheurs du tribunal à se prévaloir des qualités qu’ils n’ont pas, en vue de se faire remettre de l’argent par des justiciables. Oumar Ndiaye est en effet poursuivi pour usurpation de fonction et escroquerie. Le plaignant est un certain Oumar Tall qui avait un contentieux avec un autre justiciable.

A l’issue du procès, le juge des flagrants délits avait condamné ce dernier à payer au sieur Tall des dommages et intérêts d’un montant de 110 millions F CFA. En vue de récupérer le jugement afin de rentrer dans ses fonds, la partie civile s’était rapprochée d’Oumar Ndiaye. Usant de ses connaissances, ce dernier s’est rendu dans le bureau du juge Samba Sèye qui faisait partie de la composition qui a jugé l’affaire. Le juge a fait savoir à la partie civile qu’elle se devait d’attendre, puisque la décision était frappée d’appel. Selon les éléments de la procédure, quelques jours après, Oumar Ndiaye s’est rendu à la cantine d’Oumar Tall pour lui faire croire que le juge lui réclamait la somme de 1,5 million F CFA pour la délivrance de la décision.

‘’Je travaille au tribunal depuis 2012’’

Finalement, le commerçant a consenti à verser la somme de 1,3 million F CFA. Seulement, après versement, il n’a plus revu le rabatteur. Désireux de recouvrer son argent, il est retourné dans le bureau du magistrat. Celui-ci est tombé des nues lorsque son visiteur l’a informé de la situation. Ainsi, une plainte a été déposée à la Brigade des affaires générales (BAG) qui s’est mise aux trousses du rabatteur. Sachant que les carottes sont cuites, Oumar Ndiaye a appelé le juge Samba Sèye pour lui demander pardon. Cela n’a pas freiné la machine judiciaire, puisqu’il a été appréhendé après 48 heures de recherches.

Placé sous mandat de dépôt, il a été attrait hier, devant le juge correctionnel. ‘’Je travaille ici depuis 2012. Mon oncle Pape Guissé m'a demandé de venir leur donner un coup de main, car le service a un déficit d’effectif. D’ailleurs, j’étais sur le point d’être recruté, car lors de sa visite, on avait fait comprendre au ministre de la Justice qu’il y avait beaucoup de bénévoles au Tribunal et il nous avait réclamé nos dossiers’’, s’est défendu le prévenu. Face à cette déclaration, le substitut Pape Ismaïla Diallo a voulu solliciter un renvoi pour faire comparaître Assane Guèye, le responsable du service précité. Me Dieng s’y est opposé, en demandant que l’interrogatoire se poursuive, en attendant que le parquetier fasse venir le témoin. Ce que le maître des poursuites fit par le biais d’un ASP. A son arrivée, Assane a balayé d’un revers de main les allégations du prévenu. ‘’Tous les bénévoles sont présentés au Procureur pour leur identification. Il y a même une note de service et j’ai même dit au procureur que si une personne différente des quatre qui sont sur la note se présente à vous, chassez-le’’, a déclaré le témoin. Avant d’enfoncer le clou : ‘’Un jour, mes frangins résidant à Guédiawaye m'ont dit qu’Omar confectionne des casiers, je l'ai interpellé.’’

Malgré ce témoignage à charge, le prévenu a persisté à dire qu’il n’a pas fait d’usurpation. Idem pour l’escroquerie, en soutenant que la partie civile lui a offert l’argent gracieusement. ‘’Je jouais le rôle de facilitateur, en aidant Oumar Tall à vérifier auprès du juge Samba Sèye et dans le plumitif, la décision. Lorsque nous sommes sortis du bureau du magistrat, il m’a retrouvé dans le parquet et m’a offert 200 000 F CFA’’, s’est défendu Oumar Ndiaye qui allègue avoir offert à son tour les 50 000 F CFA à l’enfant de son bienfaiteur. Poursuivant, il a ajouté que quelques jours plus tard, Tall lui a demandé de lui trouver un huissier pour l’exécution de la décision et lui a encore offert 1 million. ‘’Mais comment une personne qui court derrière son argent peut-elle offrir un tel montant ?’’ lui a demandé le président de séance. Pour toute réponse, le prévenu a affirmé qu’il s’agit d’un don, avant de soutenir que les déclarations de la partie civile et du témoin ont été dictées.

‘’Il a fauté, mais il faut lui tendre la perche’’

Loin d’être convaincu par les dénégations du prévenu, le représentant du parquet a fait la genèse des faits, avant de brandir le bâton. ‘’Le Parquet est résolument déterminé à faire la guerre aux rabatteurs. Ils sabordent l'image de la justice. S'il doit servir d'exemple, il le sera, car l’acte est d'autant grave que, dans cette affaire, il s'agit d'un magistrat émérite’’, a asséné le substitut Diallo. Pour la répression, il a requis 1 an pour l’usurpation et 3 ans assortis d’une amende de 1 million F CFA pour l’escroquerie. Toutefois, il a demandé la confusion des peines.

Me El Mamadou Ndiaye a estimé qu’il s’agit d’une affaire gênante, mais le prévenu doit être condamné sur la base de faits constants. ‘’Il a fauté dans le cadre de ses agissements, mais il faut lui tendre la perche’’, a plaidé Me Ndiaye. Son confrère Me Dieng a estimé qu’Oumar Tall mérite d'être blâmé, vu qu'il n'a même pas daigné comparaître dans ce dossier. La robe noire considère également qu’il ‘’y a une passion débordante’’ dans ce dossier. Il a aussi indexé la responsabilité du parquet qui, dit-il, ‘’doit vérifier les problèmes dans la distribution du service public de la justice et mettre fin au laxisme’’. Pour la sanction, le conseil estime qu’Oumar Ndiaye est déjà puni, puisqu’on lui a jeté l’opprobre. Mieux, il a remboursé l'intégralité de l'argent. Délibéré 12 décembre. 

AWA FAYE

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