Publié le 18 May 2020 - 21:58
VACCIN CONTRE LE CORONAVIRUS

Entre légende et préjugés injustifiés

(Archives)

 

Pendant que beaucoup de pays développés s’emploient à trouver un vaccin contre le nouveau coronavirus, au moment où de nombreuses organisations et personnalités internationales prônent la gratuité de ces potentiels vaccins pour éviter l’exclusion des pays les moins nantis de l’accès à ces futurs ‘’remèdes’’, le débat, en Afrique, tourne essentiellement autour d’un refus systématique de ces initiatives.

 

Cela a suscité des vagues sur la toile. Encore une fois, le président de la République, Macky Sall, n’a pas du tout été ménagé par les internautes. Il lui est, cette fois, reproché de donner son accord dans le cadre d’un projet de vaccin pour tous. Dans un commentaire publié le vendredi 15 mai sur Twitter, le président sénégalais assume : ‘’Je prends part à l’appel co-signé par mes homologues pour un vaccin gratuit, accessible à toutes et tous. Parce que nos vies ne doivent pas dépendre des logiques des marchés.’’

Suffisant pour relancer la controverse durant tout le week-end. Si la plupart des anti-vaccins sont dans le déni systématique, n’invoquant aucun argument scientifique pour justifier leur propos, d’autres lui reprochent surtout un mimétisme mal placé et un aveu d’échec.

A en croire le leader de Frapp/France dégage, Guy Marius Sagna, la signature, par le chef de l’Etat, de cette tribune traduit l’échec de ses politiques. ‘’Signer cette tribune est un aveu d'échec. L'échec d'une option néolibérale. L'échec de la soumission aux diktats du FMI et de la Banque mondiale, notamment dans les secteurs dits sociaux qui ont été sabotés, car ce sont les hôpitaux et les écoles des peuples. Celles et ceux qui ont signé cette tribune, malheureusement, quémandent la pitié, la charité des oppresseurs dont ils sont les complices…’’.

Pour lui, le président Sall et ses pairs devraient plus miser sur ‘’des solutions endogènes mettant en avant solidarité et complémentarité’’. ‘’Les signataires de cette tribune ont une vision partiale, partielle, parcellaire de la situation. En effet, il s'agit de tout un système sanitaire et pharmaceutique à déconstruire pour édifier un nouveau système démocratique, populaire, national et internationaliste’’. Toujours très en verve, il affirme : ‘’En réalité, le Macky Sall qui a signé cette tribune est le représentant d'une bourgeoisie bureaucratique qui panique, car pour la première fois, depuis 1960, elle est obligée de se soigner ici. Et comme pendant 60 ans, cette bourgeoisie n'a été qu'une cigale ou une hyène sourde aux avertissements de la sourate Yusuf et du chapitre 41 de la Genèse de Joseph…, elle se retrouve avec un système sanitaire failli et va faire ce qu'elle fait de mieux, à part se soumettre au néocolonialisme et détourner les deniers publics : mendier.’’

Pour d’autres, il est surtout question de soupçons contre certaines organisations internationales et leurs bailleurs. Il est reproché à ces derniers d’avoir un agenda caché pour la diminution de la démographie en Afrique. Le milliardaire américain Bill Gates, un des principaux bailleurs de l’Organisation mondiale de la santé, est d’ailleurs au banc des accusés. Toujours est-il que sur le fond, aucun grief n’est apporté contre le bien-fondé ou non d’un vaccin gratuit contre le nouveau coronavirus, préconisé dans la fameuse tribune signée par 130 éminentes personnalités d’Afrique et du monde.

Parmi ces éminentes personnalités, il y a les présidents Macky Sall (Sénégal), Nana Addo Dankwa Akufo-Addo (Ghana), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud), le Premier ministre pakistanais Imran Khan et plein d’autres personnalités internationales. Tous réclament ‘’un accès universel’’ aux futurs vaccins et traitements contre la Covid-19. Mais que prévoit concrètement ladite déclaration ?

Contenu de la tribune

D’emblée, les signataires affirment ceci : ‘’L'humanité d'aujourd'hui, vulnérable face à ce virus, est à la recherche d'un vaccin efficace et sûr contre la Covid-19. C'est notre meilleur espoir de mettre un terme à cette douloureuse pandémie mondiale. Nous demandons aux ministres de la Santé réunis à l'Assemblée mondiale de la santé de se rallier d'urgence à la cause d'un vaccin pour tou-te-s contre cette maladie. Les gouvernements et les partenaires internationaux doivent s’engager : lorsqu'un vaccin sûr et efficace sera développé, il devra être produit rapidement à grande échelle et mis gratuitement à la disposition de tous, dans tous les pays. Il en va de même pour tous les traitements, diagnostics et autres technologies contre la Covid-19.’’

 
Selon la tribune, ‘’grâce aux efforts inlassables des secteurs public et privé, et à des milliards de dollars de recherche financés par les pouvoirs publics, la découverte d’un vaccin potentiel progresse à une vitesse sans précédent et plusieurs essais cliniques ont déjà commencé’’. Pour les signataires, le ‘’monde ne sera plus sûr que lorsque tout le monde pourra bénéficier de la science et avoir accès à un vaccin – ce qui est un défi politique. L'Assemblée mondiale de la santé doit parvenir à un accord mondial qui garantisse un accès universel rapide à des vaccins et à des traitements de qualité, les besoins étant prioritaires sur la capacité de payer’’. A en croire ces intellectuels, le moment n’est pas à la favorisation des intérêts des entreprises et des gouvernements les plus riches, au détriment de la nécessité universelle de sauver des vies ou de laisser cette tâche importante et morale aux forces du marché. 
 
‘’L'accès aux vaccins et aux traitements en tant que biens publics mondiaux, disent-ils, est dans l'intérêt de toute l'humanité. Nous ne pouvons pas laisser des monopoles, une concurrence grossière et un nationalisme myope faire obstacle à cet accès à la santé. Nous devons tenir compte de l'avertissement selon lequel ‘ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter’. Nous devons tirer les douloureuses leçons d'une histoire d'inégalité d'accès face à des maladies telles que le VIH et le virus Ebola. Mais nous devons également nous souvenir des victoires révolutionnaires des mouvements de santé, notamment des militants et des défenseurs de la lutte contre le sida qui se sont battus pour l'accès de tou-te-s à des médicaments abordables’’.
 
Ainsi appellent-ils à un accord mondial sur les vaccins, les diagnostics et les traitements Covid-19 - mis en œuvre sous la direction de l'Organisation mondiale de la santé. Celle-ci, selon le manifeste, doit, en premier lieu, garantir ‘’le partage mondial obligatoire de toutes les connaissances, données et technologies liées à la Covid-19 avec un ensemble de licences Covid-19 librement accessibles à tous les pays’’. Ces derniers ‘’devraient être habilités et autorisés à utiliser pleinement les sauvegardes et les flexibilités convenues dans la Déclaration de Doha sur l'accord sur les ADPIC et la santé publique afin de protéger l'accès aux médicaments pour tous’’. 
 
Deuxièmement, il faudrait, selon la déclaration, établir ‘’un plan mondial et équitable de fabrication et de distribution rapide - entièrement financé par les pays riches - pour le vaccin et tous les produits et technologies Covid-19, qui garantit la transparence ‘au prix coûtant réel’ et l'approvisionnement en fonction des besoins’’. Il est urgent, pour les signataires, ‘’d'agir pour renforcer massivement les capacités mondiales de fabrication de milliards de doses de vaccins et pour former et recruter les millions d'agents de santé rémunérés et protégés nécessaires pour les administrer’’.
 
En outre, soutiennent les signataires, il faut garantir que les vaccins, diagnostics, tests et traitements Covid-19 sont fournis gratuitement à tous, partout. ‘’L'accès doit être prioritairement réservé aux travailleurs de première ligne, aux personnes les plus vulnérables et aux pays pauvres les moins à même de sauver des vies. Ce faisant, personne ne peut être laissé pour compte. Une gouvernance démocratique et transparente doit être mise en place par l'OMS, avec la participation d'experts indépendants et de partenaires de la société civile, ce qui est essentiel pour garantir la redevabilité de cet accord’’. 
 
Pour terminer, ils soulignent la nécessité ‘’de réformer et de renforcer les systèmes de santé publics dans le monde entier, en supprimant tous les obstacles afin que les riches comme les pauvres puissent accéder aux soins de santé, aux technologies et aux médicaments dont ils ont besoin, gratuitement au moment où ils en ont besoin’’. 
 
Seul un vaccin pour tous, pensent-ils, - dont l'égalité et la solidarité sont la base - peut protéger toute l'humanité et permettre à nos sociétés de fonctionner à nouveau en toute sécurité. Un accord international audacieux ne peut pas attendre’’.
 
AVIS D’EXPERT AVEC DR ALIOUNE BLONDIN DIOP
 
‘’Les vaccins sont beaucoup plus utiles que délétères’’
 
Tout est né de la polémique suscitée par deux spécialistes français, dont le docteur Jean-Paul Mira, Chef de la réanimation à l’hôpital Cochin à Paris. Ses propos jugés racistes avaient indigné pas mal d’Africains et exacerbé l’opposition à l’utilisation de tout vaccin contre le nouveau coronavirus dans le continent. Certains, depuis lors, sont sur la défensive, refusant systématiquement toute idée de vaccin. Une hérésie, si l’on en croit certains spécialistes en la matière.
 
Loin de la controverse, Dr Alioune Blondin Diop a tenu à apporter quelques précisions, pour aider à la bonne compréhension des enjeux. D’emblée, il tient à préciser qu’il trouve la controverse assez prématurée et sans opportunité. ‘’Certes, dit-il, des travaux sont en cours dans beaucoup de pays, mais les résultats ne sont pas à attendre dans l’immédiat. Il y a tout un processus pour arriver à cette étape de l’essai vaccinal. Auparavant, il y a plein de préalables qui doivent être réglés. En décembre, peut-être, on pourrait avoir des candidats à l’essai, c’est-à-dire des tests qui pourraient être appliqués sur des gens. Je trouve donc que cette polémique n’est pas opportune, du moment qu’on n’aura pas de vaccin avant 6 mois au minimum’’.
 
Cela dit, le médecin-interniste fait remarquer que, contrairement à une opinion bien répandue chez les anti-vaccins, ces substances en général sont beaucoup plus utiles que délétères, surtout pour un continent comme l’Afrique. ‘’On ne peut pas se permettre, dans nos pays, de refuser les vaccins. Je pense que ceux qui le disent n’ont simplement pas la bonne information. Il faut, néanmoins, savoir que tous les vaccins peuvent s’accompagner de production d’auto anticorps, c’est-à-dire des réponses qui peuvent entrainer d’autres maladies. C’est le cas, par exemple, du vaccin contre l’hépatite B qui a entrainé dans de petits, petits cas, même pas 1,5 %, des réactions auto-immunes qui pouvaient être à l’origine, pour quelqu’un qui était exposé génétiquement, d’une autre maladie’’.
 
A en croire l’ancien pratiquant des hôpitaux de Paris, les gens devraient plutôt faire confiance aux structures en place pour veiller à l’utilisation des vaccins. ‘’Lorsqu’un vaccin doit être testé, explique-t-il, il y a un comité éthique, un comité consultatif et il y a le ministère de la Recherche scientifique qui doivent regarder si ce vaccin a un intérêt, s’il est de nature à apporter une protection à la population, si les règles d’ordre éthique ont été respectées… Tous ces instruments sont là et nous avons également l’Institut Pasteur et les services de maladies infectieuses qui sont tout à fait habilités pour apprécier le bien-fondé ou non de l’utilisation d’un vaccin’’. 
 
Ainsi, sa position sur cette question est que : ce n’est pas à la France ou à n’importe quel autre pays de décider à la place des pays africains. Mais il serait quand même dommage que le continent soit exclu du processus pour des considérations moins scientifiques.
 
Chiffres à l’appui, il rappelle les bienfaits des vaccins dans la lutte contre des maladies qui faisaient des ravages en terre sénégalaise. ‘’Par exemple, argue Dr Alioune B. Diop, il fut un temps où, à Sokone, dans le bassin arachidier, il y avait des champignons qui transformaient l’hépatite B en un cancer du foie. On voyait ainsi nombre de jeunes, entre 30 et 40 ans, décédés de cette complication. A partir de 2000, on a introduit le vaccin de l’hépatite B dans le PEV. Grace à cela, le taux de cancer du foie qui tuait beaucoup de personnes, a été diminué de 65 %... On ne peut donc systématiquement écarter l’application d’un vaccin. Je suis à 100 % un pro-vaccin’’. 
 
MOR AMAR

 

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