Publié le 27 Mar 2015 - 15:09
VERDICT DE LA CREI

La grande contestation des droits-de-l’hommistes

 

Les organisations de défense des droits de l’Homme contestent le verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), une juridiction d’exception qui n’avait pas, à leurs yeux, la légitimité de statuer sur le cas Karim Wade. Ils invitent également l’Etat du Sénégal à abroger la loi portant création de cette juridiction.

 

La condamnation de l’ex-ministre d’Etat, Karim Wade, à six ans d’emprisonnement et 138 milliards d’amende n’est pas du goût des organisations de défense des droits de l’Homme. Elles regrettent, à l’unanimité, cette page tumultueuse de l’histoire de la vie politique du Sénégal. ‘’Nous sommes gênés mais également indignés par le délibéré de ce procès. Le verdict n’est pas crédible et viole les droits élémentaires de l’homme. La Crei qui ne répond pas aux normes et standards internationaux n’autorise pas le recours, ce qui est inadmissible, car c’est un droit élémentaire. Elle doit pouvoir accorder une double chance à un être humain, quelle que soit la faute commise‘’. Pour Alassane Seck, secrétaire exécutif la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme (Lsdh), ce dossier est loin d’être un dossier judiciaire.

Comme lui, ses autres confrères pensent que le nouveau régime n’était pas mû par le souci de réactivation des valeurs fondées sur la transparence, la bonne gouvernance ou la reddition des comptes en ressuscitant la Crei. ‘’C’est un instrument d’acharnement. Un instrument de règlements de comptes. Il ne va pas dans le sens de redressement de la démocratie’’, fulmine le secrétaire général de la Rencontre africaine des droits de l’Homme (Raddho), M Aboubacry Mbodj. Et d’ajouter : ‘’Nous avons toujours critiqué cette juridiction d’exception. Le déroulement du procès, de même que le mode de fonctionnement de la Crei, montre que la justice sénégalaise n’est pas indépendante, qu’il y a une injonction de l’Exécutif sur le Judiciaire. Le relèvement du procureur de la république, l’exclusion d’un avocat de la défense, Me Amadou Sall le prouvent à souhait.’’

‘’Il faut abroger la loi portant création de la Crei’’

Prenant la balle au rebond, le directeur exécutif de la Société internationale des droits de l'Homme (Sidh), Oumar Diallo, pense qu’il n’a pas été question d’un verdict. Et pour cause : ‘’Nous nous sommes toujours opposés au fait que Karim Wade soit jugé par cette juridiction d’exception qui ne garantit pas un procès équitable. Quand la machine a été lancée, nous avons suivi le processus, en tant qu’observatoire du procès. Nous avons depuis le début eu l’impression de suivre une rencontre politique.’’ Maintenant que le procès  de Karim Wade a connu son épilogue, l’Etat ne doit pas, pour lui, se limiter à ce stade. ‘’Il doit donner corps à la reddition des comptes. Dans un souci de transparence, il faut qu’il prouve que ce procès n’a pas des relents de règlements de comptes, en mettant tout le monde au même niveau et en traquant d’autres dignitaires qui ne soient pas uniquement du côté de l’opposition.’’

Quand certains plaident la suppression de la Crei, notre interlocuteur pense qu’il faut procéder à une ‘’évaluation du procès. Il faut également évaluer la Crei avant de se fixer sur son sort. Car nous avons toujours soutenu que c’est une juridiction du droit commun qui devait, pour des questions de transparence, statuer sur le cas Karim Wade, comme c’était le cas pour l’ancien Premier ministre Idrissa seck. Il fallait une juridiction qui présente des caractères du respect d’un procès équitable et des droits de la défense. La Crei a des problèmes en tant qu’institution’’.

Pour sa part, Aboubacry Mbodj, le secrétaire général de la Raddho, adopte une posture radicale. ‘’Nous estimons qu’il faut abroger la loi portant création de la Crei, vu qu’elle a montré ses limites. Elle doit être supprimée de l’arsenal juridique du Sénégal. Elle n’était pas habilitée à juger Karim’’. Alassane Seck, le secrétaire exécutif de la Lsdh prône une ‘’humanisation’’ de la Crei. ‘’Il faut l’abroger à défaut de l’adapter, la moderniser, la rendre plus acceptable, voire plus humaine.’’ Il ne manque pas d’émettre des critiques envers le Garde des Sceaux, Me Sidika Kaba, qui a anéanti des espoirs. ‘’On s’attendait à ce que l’actuel ministre de la Justice, Me Sidiki Kaba, un défenseur avéré des droits de l’Homme, propose une modification de la loi en vue de corriger les imperfections de la Crei, dans la mesure où les lois sont créées par l’Exécutif.’’

Les défenseurs des droits de l’Homme campent sur leur position

‘’La Crei viole les droits de la défense des personnes inculpées et ne garantit pas le droit à un procès équitable, conformément aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.’’ Pour des explications plus détaillées, le secrétaire général de la Raddho s’insurge contre le fait que la Crei n’ait pas respecté la présomption d’innocence de Karim Wade. ‘’Il y a plusieurs violations de ces droits, allant de la rupture du principe de l’égalité des armes des parties à la procédure, à l’absence de recours. On devait lui garantir la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit prouvée. La loi de la Crei n’est pas conforme à certaines dispositions de la constitution nationale qui est au-dessus de toute loi nationale’’.

Les droits-de-l’hommistes tirent à bout portant sur le Sénégal qui a violé les traités et conventions qu’il a ratifiés, tant au plan sous-régional qu’international.

Matel BOCOUM

 
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