Publié le 6 Sep 2017 - 15:26
VETUSTE PALAIS DE JUSTICE KOLDA

L’infrastructure malade de sa vétusté

 

L’ouvrage est vétuste, la dalle ne tient plus, une insécurité totale y règne, les juges et les justiciables vivent une inquiétude quotidienne. La liste est longue quand on énumère les maux du Tribunal de Kolda. Bâti avant l’indépendance, il croule sous le poids de l’âge, malgré des rafistolages et des réfections notées çà et là. Pour toucher du doigt les réalités de cet édifice, EnQuête s’est rendu, ce lundi 04 septembre, sur place. Pour un constat désolant.

 

Situé en plein cœur du centre-ville, en face du Trésor public, le palais de justice de Kolda est au bord du naufrage. Construit en 1952, il présente une image désolante qui témoigne de son état de dégradation très avancée. Les murs se lézardent et les fissures sur les plafonds sont béantes. La peinture se détache par plaquettes. Des toiles d’araignées colonisent les recoins des pièces. Quant au mur d’enceinte décrépi, l’on se demande si son aspect vert d’origine n’est pas devenu tout simplement du noir.

 Le bâtiment abritant le parquet est dans le même état bien qu’il soit récemment repeint. Inauguré le 02 novembre 1993, ‘‘il a été mal construit’’, soufflent certains occupants. Les gouttes d’eau fuitent de la dalle du parquet en dépit d’une réfection récente. A cela s’ajoutent des sachets en plastique, des gravats, des herbes, des buissons, entre autres déchets qui ornent le décor de la cour.

 ‘‘Le Palais de Justice de Kolda a longtemps été laissé à l’abandon’’, regrette Ndiogou Dème, clerc d’huissier de justice au cabinet de Me Sarr. ‘‘ L’administration de la Justice travaille dans des conditions piteuses et cela ne concourt pas à la bonne administration de la Justice. La région de Kolda mérite un palais de justice digne de son nom’’, clame-t-il.

Me Prosper Djiba, avocat à la Cour au Tribunal de Kolda, d’ajouter : ‘‘A Kolda, la justice est mise à nu. Le Palais de Justice est complétement dégradé. Le personnel judiciaire continue de travailler dans des conditions extrêmement difficiles. Nous vivons une inquiétude quotidienne.’’ Comme si cela ne suffisait pas, les vrombissements et klaxons de véhicules et motocyclistes, le brouhaha des passants et autres vendeurs installés aux alentours du palais troublent les audiences qui se tiennent les mercredis et jeudis. Difficile pour l’assistance d’entendre ou de comprendre ce que disent le Président du tribunal, ses assistants ou le procureur. La pollution sonore et le vacarme gouvernent les lieux.

 Pour bon nombre de personnes venues assister aux audiences, l’Etat a oublié le palais de justice de Kolda. ‘‘La région de Kolda est ignorée par tous les présidents de la République du Sénégal, de Senghor à Macky Sall. Tant que les populations ne se lèvent pas pour dénoncer ça, Kolda sera toujours laissée à son sort. Personne ne cherche à satisfaire les doléances des populations. Ni les hommes politiques, encore moins les autorités locales.’’

‘’Un véritable dépotoir d’ordures’’

 Outre la pollution sonore, le temple de Thémis dans cette partie Sud du pays est en passe de devenir aujourd’hui un véritable dépotoir d’ordures, de déchets, sans compter la pollution sonore. Des sachets en plastique, des ordures, de mauvaises herbes entre autres ont pris possession des lieux. Le constat est que la salubrité fait défaut dans toute la région, et particulièrement là où la justice est rendue. Dans certains bureaux poussiéreux aux sols crevassés, il n’est pas rare de voir s’échapper souris ou insectes, ou même des rats.

 ‘‘C’est vraiment triste de voir que le Palais de justice est si sale. C’est un lieu que fréquente la presque totalité des populations, pour diverses raisons’’, regrette Me Sène, avocat à la Cour du tribunal de Dakar, venu défendre la cause d’un de ses clients à Kolda.

 La salle d’audience n’est pas en reste. Le public qui vient souvent assister aux débats nettoie les bancs avant de s’installer. Nos tentatives de prendre les images pour illustrer ce constat sont restées vaines. Aucun des juges n’a accepté de répondre à nos questions, sous prétexte qu’ils n’ont pas d’autorisation de leurs supérieurs.

 ‘’Quand le juge appelle, on n’entend pas’’

 La salle d’audience du tribunal de Kolda est très petite. Elle mesure, selon Me Prosper Djiba, avocat à la cour du tribunal de Kolda, six mètres de large contre douze mètres de long. Il poursuit qu’elle est construite sans ‘‘que l’on ait prévu des toilettes pour les détenus. Parfois, certaines personnes qui viennent assister aux audiences n’ont pas de places dans la salle. Elles sont obligées de rester dehors et quand le juge appelle leurs affaires, elles n’entendent pas. On finit par juger leurs cas par défaut. C’est un gros problème’’, explique Me Prosper Djiba.

 L’avocat à la Cour d’ajouter que ‘‘pour la dignité des justiciables, il faudrait bien qu’une salle d’audience répondant aux normes modernes soit construite. Et c’est l’Etat qui doit s’en charger afin de sortir le personnel de la justice et les justiciables de cette situation insupportable’’.

 Ndiogou Dème, clerc d’huissier de Me Sarr d’ajouter que ‘‘le Palais n’a pas de cave digne de ce nom qui puisse abriter tous les détenus qui viennent au Tribunal. Vous avez constaté avec nous la promiscuité dans laquelle sont les gens ; et s’il y a des intempéries, même les justiciables sont obligés d’aller s’abriter dans d’autres endroits. Ce qui est anormal’’, dénonce-t-il, confirmant en outre les propos de Me Djiba sur les difficultés acoustiques pour les appels non entendus du juge. Samba Baldé, instituteur à la retraite et amateur des audiences au Tribunal, dira qu’en période de chaleur, les gens transpirent à l’intérieur de la minuscule salle d’audience comme un voleur poursuivi par une foule.

 La galère des parents de détenus

 Tous les jours, lors des audiences, la salle est pleine comme un œuf. Ici, l’émotion est tout le temps à son paroxysme. Chagrin et désespoir se lisent sur les visages des parents venus soutenir un parent en conflit avec la loi. Armés de courage et d’abnégation, ils sont là jusqu’à la fin des audiences. Si certains parents parviennent à avoir une place assise à l’intérieur de la salle, un bon nombre reste dehors,  assis à même le sol. Tous attendent impatiemment le sort qui sera réservé à leur parent.

 Coupures intempestives

 Le Palais de Justice est aussi souvent à l’arrêt  à cause d’incendies liés à des courts-circuits. Une situation qui s’explique par la vétusté des installations électriques. De 1952 à nos jours, l’édifice a subi plusieurs incendies, selon certains occupants. Le dernier date du 28 avril de l’année 2016. Ce jour-là, le tribunal d’instance a été complétement paralysé par une coupure d’électricité. Cet incendie a occasionné un arrêt du travail au niveau de cette juridiction qui produit les documents comme les actes de jugements de naissances, les certificats de nationalité, pour ne citer que cela.

 ‘‘Les incendies sont très récurrents au Palais. Cette situation handicape le fonctionnement dans les services de nos institutions qui travaillent avec des machines. Sans électricité, aucun dossier ne peut être traité ; pas de saisie encore moins d’impression’’, soutient Ndiogou Dème.

 L’insécurité règne en maître au tribunal

 L’établissement est défectueux et ne répond pas aux besoins actuels. Le danger est bien réel. Malgré tout, cet édifice continue d’accueillir le personnel judiciaire et des justiciables. Tous les jours ouvrables, de 8 à 18 heures, le lieu ne désemplit pas. Ils sont des centaines de Sénégalais et autres étrangers à prendre d’assaut le Tribunal. Hormis les procès qui vont parfois jusqu’à plus de 50 affaires par jour avec un lot d’assistance et de curieux, le service administratif est débordé. Il s’agit notamment des gens à la recherche de casier judiciaire, d’extrait de naissance, de certificat de mariage, de divorce, d’hérédité, de nationalité, ou de permis de visite aux détenus dans la prison, entre autres.

 C’est pendant la période de concours et examens (fin septembre à octobre), coïncidant avec les ouvertures des classes, pour les besoins de dossiers, que la ruée vers le Tribunal est plus forte. Les ASP postés au bureau de la police à l’entrée principale sont aussi débordés. Car du matin au soir, ils orientent les usagers vers les services compétents. Les procès drainent également du monde, souvent quand il s’agit des affaires entre voisins,  de meurtres, d’assassinats, de vol en réunion, de viol, de pédophilie, d’infanticide, d’escroquerie pour ne citer que ces délits. Le personnel judiciaire et les justiciables vivent la peur au ventre au vu de la dangerosité grandissante de l’édifice.

 Pourtant, les membres du comité de la protection civile ont tiré la sonnette d’alarme pour interpeller l’Etat sur la vétusté très avancée du palais de Justice. Malheureusement, aujourd’hui, force est de constater que les locaux sont délabrés. ‘‘Il est plus qu’urgent de construire un nouveau palais de Justice digne de nom que de le réfectionner’’, s’exclament les justiciables et les membres du comité de protection civile. Ils demandent à l’Etat de construire un nouveau bâtiment pour satisfaire la demande trop élevée. D’ailleurs, les collectivités locales sont aussi invitées à apporter leur contribution afin de sortir le personnel judiciaire du pire.

En attendant, un bâtiment a été conventionné au quartier Bantanguel, commune de Kolda, pour abriter l’administration de la justice, le temps que l’Etat puisse réfectionner les locaux du palais de Justice ou de construire un nouveau palais. Mais depuis 2014 jusqu’à nos jours, il n’y a pas d’évolution. Le personnel de la justice continue de vivre dans des conditions misérables. ‘‘La région de Sédhiou ne dispose pas de Tribunal de Grande Instance, Donc, le palais de justice de Kolda gère une dizaine de brigades de gendarmerie qui défèrent tous les jours des prévenus au même parquet. Le volume d’affaires est tellement important qu’il faudrait penser à agrandir les locaux afin de mettre le personnel judiciaire et les justiciables dans de bonnes conditions’’,  plaide Ndiogou Dème.

 L’internet fait défaut au Palais

 Le Palais de Justice de Kolda est un service à problème. Hormis la vétusté des locaux, l’insécurité grandissante, l’insalubrité, entre autres problèmes qui gagnent les locaux, il s’y greffe également le problème d’internet. Le réseau internet est aussi un lourd fardeau pour le personnel judiciaire, malgré les injonctions du Chef de l’Etat à l’ARTP, au mois de mai dernier, de couvrir tout le territoire national.

 Trouvé devant sa machine, cet employé du palais qui préfère garder l’anonymat martèle : ‘‘L’installation du réseau internet au Palais de Justice de Kolda n’existe que de nom.   En ce 21e  siècle, le réseau internet fait défaut. Il est donc difficile pour les travailleurs du palais d’envoyer des courriers électroniques dans le cadre de leur travail.’’

La promesse de Mimi Touré

 En marge du conseil interministériel tenu en 2013 à Kolda, l’ancienne ministre de la Justice et garde des Sceaux, Mimi Touré, avait promis la construction d’un nouvel édifice à l’issue de la visite des locaux.

Face à la presse, elle avait soutenu : ‘‘Il faut prendre des mesures dans l’immédiat. La première mesure prise ici à Kolda consiste à déménager de toute urgence, aussi bien le tribunal régional que départemental, vers d’autres locaux plus sûrs. Ce qui permettra aux personnels judiciaires, les magistrats, les greffiers et le personnel administratif de travailler dans de meilleures conditions. Le tribunal va être réhabilité en cours d’année. Car les bâtiments datent de l’époque coloniale’’.

 Depuis lors, la délocalisation du tribunal de Kolda reste un vœu pieu. Le personnel de la justice et les justiciables continuent de plus bel à fréquenter les lieux. Malgré les retouches, le palais de justice présente encore des risques, surtout en cette période de la saison de pluies.

‘‘Nous sommes fatigués de vivre dans le provisoire depuis plus de cinquante ans’’, déclare un magistrat. Le tribunal de Kolda a toujours été le parent pauvre. Installé dans un endroit exigu, il ne répond plus aux normes de sécurité depuis longtemps. La plupart des autorités judiciaires, administratives et chefs de service ont déclaré urgente et prioritaire la construction d’un tribunal digne de ce nom. Un projet jugé apparemment trop ambitieux, trop cher pour le ministère de la Justice.

Les juges face aux missiles mystiques

 La raison de renforcer la sécurité tient au fait que les attaques mystiques sont monnaie courante. Des talismans, des chats noirs égorgés entre autres missiles mystiques sont jetés dans la cour du palais pour effrayer les juges. D’ailleurs, un fait inédit avait causé le report du démarrage des audiences de la Chambre criminelle de Kolda tenue en juillet dernier. Des gris-gris ont été découverts accrochés à une fenêtre de la salle d’audience qui devait abriter la chambre criminelle.

 Ces missiles mystiques, selon l’expression couramment utilisée dans la capitale du Fouladou, étaient emballés dans un sachet noir. Cette découverte a créé une panique au niveau du personnel et de l’assistance et a suscité beaucoup d’interrogations sur l’identité des auteurs et leurs intentions. Ainsi, pour se débarrasser de ces talismans, les juges ont fait appel au planton, Boiro, qui a pris son courage à deux mains pour débarrasser la salle du colis indésirable.

‘’Nous vivons une insécurité totale. Parce que quand nous condamnons un prévenu, sa liberté et parfois ses biens sont hypothéqués. Devant cet état de fait, la personne ou ses parents sont remontés contre nous et ils cherchent tous les moyens pour nous intimider à leur manière. Mais c’est indépendant de notre volonté. Nous sommes obligés de travailler, malgré les menaces indirectes des personnes malintentionnées, parce que nous avons choisi ce métier et nous devons l’exercer en toute honnêteté et en toute franchise’’, explique une source judiciaire qui préfère garder l’anonymat. Une autre personne d’ajouter : ‘‘J’ai vu des chats noirs égorgés et jetés dans la Cour du palais. Le mur de clôture est très court, donc franchissable.

Sur le plan administratif et sécuritaire, nous sommes exposés. L’Etat doit revoir sa copie afin de nous sortir du gouffre.’’ Cette situation vient encore renforcer la crainte inspirée par les pratiques  mystiques  à Kolda. Il faut rappeler que la région n’a pas de commissaires-priseurs à cause d’une certaine croyance qui fait que ces auxiliaires de justice ont, comme certains agents de l’Etat, peur d’être affectés dans cette partie sud du pays supposée être une localité très mystique.

EMMANUEL BOUBA YANGA

 

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