Publié le 13 Jan 2018 - 21:07
VILLAGE FONDE PAR SERIGNE SIDY MOKHTAR

Keur Nganda, lieu de  retraite spirituelle *

 

Situé à plus de 50 km de la commune de Ngaye Mékhé, Keur Nganda est un village créé par le défunt khalife général des mourides, Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké. Ferveur religieuse et vie rustique, EnQuête est allé à la découverte de cette bourgade devenue célèbre avec l'accession de son fondateur au khalifat, en 2010.

Reportage.

Dans l’orthodoxie mouride, chaque khalife général a son village qui lui sert de retraite spirituelle. Un village qu’il crée dans le but d'enseigner à ses disciples les fondamentaux de la religion musulmane et les enseignements du fondateur du Mouridisme, Serigne Touba, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké. Serigne Abdou Lahad Mbacké avait fondé le village de Bélel. Serigne Saliou Mbacké se recueillait à Ndiouroul et Khelcom Djiaga. Le désormais ex-khalife général des mourides Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké, rappelé à Dieu avant-hier, se retranchait à Keur Nganda pour se ressourcer. Le village est situé dans la communauté de Lappé, à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Ngaye Mékhé, dans le département de Tivaouane, à quelque 160 km de la capitale sénégalaise.

Keur Nganda a été créé par le défunt khalife général des Mourides, il y a de cela une soixantaine d’années. El Hadji Mbaye Sall, un des premiers habitants du village, raconte : ''L’histoire de ce village a débuté au moment où le guide y a mis les pieds. À l’époque, il n'y avait rien ici et il était seul. Il passait tout son temps à lire les versets du Coran, à cultiver et à faire cultiver des champs. Ensuite, je suis venu le rejoindre. Nous avons fonctionné de la sorte jusqu’au jour où il est devenu khalife''. Le vieil homme à la barbichette blanche et au débit rapide semble honoré d'être habitant de ce village qui, selon lui, compte aujourd'hui plus de 30 pères de famille. Le village, dit-il, ne cesse de croître. ''Au départ, il n'y avait qu'une maison, puis cinq, ensuite une dizaine. Aujourd’hui, il y en a plusieurs''. Dans ce village de cultivateurs, les populations vivent des produits de leur labeur.

En ce  dimanche, le soleil est au zénith. Un vent chaud souffle sur les têtes des milliers de disciples qui sont venus de toutes les régions du pays renouveler leur acte d’allégeance au khalife. Ils sont des milliers à prendre d'assaut la petite bourgade d'habitude calme. Différents dahira en profitent pour venir verser leurs cotisations annuelles. Des sommes qui varient d’un groupe à l’autre et se comptent parfois en millions de francs CFA. La place publique du village (‘’pénc’’ en wolof), entourée par une dizaine de concessions,  est pleine de voitures en stationnement. Bus, 4x4, cars ''Ndiaga Ndiaye'' rendent problématique toute velléité de déplacement. Jeunes, enfants et adultes sont sur le qui-vive. Ils n’ont qu'une obsession : voir le khalife. Tout ceci se passe sur fond de déclamation des poèmes (khassaides) du fondateur du Mouridisme.

Le logement du guide est un grand bâtiment peint en jaune et vert. Il détonne dans le paysage, puisque toutes les autres constructions sont des cases. Comme la place publique, la grande cour de la concession du saint homme aussi refuse du monde. A l’entrée de la maison, à droite, sous un auvent en tôle de zinc, se trouve un lit traditionnel sur lequel sont posés plusieurs livres. Il y a aussi  le  cheikh. Les chambellans interdisent toute prise de photos du saint homme. La barbe blanche, des lunettes de couleur noire de marque Ray Ban, une grosse bague sur un doigt de la main gauche, Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké reçoit les fidèles par grappes. Ceux-ci viennent à la queue leu leu donner leurs présents et recueillent des prières, avant de céder la place  aux suivants.

 ''A la fin de chaque mois, il nous distribue des vivres''

À côté de ce tohu-bohu, les villageois gardent leur sérénité, sachant que les étrangers n'en ont que pour quelques heures, avant de retourner à leurs localités d'origine. Eux ont la chance de côtoyer régulièrement le saint homme. Même si, révèle El Hadji Mbaye Sall, ''à chaque fois que le guide est présent dans le village, c'est un ballet continu de véhicules et de personnes qui viennent lui rendre hommage''. La bourgade ne retrouve son calme que lorsque son hôte de marque prend le chemin du retour. Les autochtones ne tarissent pas d'éloges pour lui. Serigne Cheikh Sidy Mokhtar Mbacké est un guide dans tous les sens du terme. ''Le vénéré homme ne cesse de nous inviter à emprunter le droit chemin, de nous aimer les uns les autres et de nous comporter en vrais disciples mourides'', témoigne El Hadji Mbaye Sall.

De même, le respect des 5 prières quotidiennes leur est vivement recommandé, sans oublier l’assiduité dans la lecture du Coran et des recueils de poèmes de Serigne Touba (khassaides). Pour leur assurer sans doute une autonomie financière, il n’a de cesse de les inviter à ne pas rechigner à cultiver la terre. ''Avant son accession au khalifat, le village n'était constitué que de maisons en paille. Les gens ne vivaient que d’agriculture. Même s’il ne prend pas en charge les dépenses quotidiennes, à la fin de chaque mois, il distribue des vivres'', ajoute le vieil homme.

Rusticité conservée 

Adama Diouf ne dit pas autre chose. Elle habite Keur Nganda depuis 5 ans. ''À chaque fois qu’il séjourne au village, nous allons à son domicile préparer les repas. Pour nous faire plaisir, il immole des bœufs et/ou des chameaux''. C’est aussi des moments de grande ferveur religieuse. ''Pour animer le village, nous organisons chaque mercredi un dahira pour revisiter les enseignements du Prophète Mohamed. Nous passons notre temps à adorer le Bon Dieu, et suivre les recommandations du marabout, tout en évitant ses interdits''. 

Lorsqu’Adama Diouf venait dans le village, il n'y avait que peu d'habitants. Aujourd'hui, les choses ont bien changé. ''La vie est devenue très facile pour nous, depuis son avènement. Il est très compréhensif. Quand il est là, on évite les occupations mondaines. Les rares fois où il y a une fête, c’est lorsqu’il y a mariage’’. Cette proximité fait que lors du magal de Touba, ce sont les habitants du village qui s'occupent de tout dans la maison du khalife. Keur Nganda reste une bourgade au cœur du Kayor. Les marées humaines circonstancielles n’ont pas changé le mode de vie. Les villageois vivent toujours de l’agriculture, de l’élevage et de la cueillette. ''Nous sommes des cultivateurs. Nous nous nourrissons de l’arachide, du mil et du niébé, entre autres, que nous cultivons'' renseigne  Baye Mbaye.

*Ce texte a été publié en 2013

CHEIKH THIAM

 

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