Publié le 22 Jul 2018 - 00:26
VIOLENCE DANS LE DISCOURS POLITIQUE

Pouvoir et opposition s’accusent mutuellement

 

S’ils sont unanimes à déplorer le regain de violence noté dans le discours politique, l’opposition et le pouvoir se renvoient pour autant la balle. Chacune des parties accusant l’autre d’être à l’origine du mal.

 

Les récentes déclarations de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, appelant les jeunes de son parti à brûler les urnes et à bloquer le vote si jamais Karim Wade et Khalifa Sall sont écartés de la course à la présidentielle de 2019, continuent de susciter la polémique. Dans la mouvance présidentielle, c’est un appel de trop qu’il faut bannir de l’espace politique sénégalais. ‘’Comme beaucoup de Sénégalais épris de paix, je condamne ces discours irresponsables et ces appels à la violence d'où qu'ils viennent et quels que soient leurs auteurs. Rien ne peut justifier, en effet, de telles attitudes’’, s’insurge le porte-parole de la Ligue démocratique Moussa Sarr contacté hier par ‘’EnQuête’’.

Pour sa part, le secrétaire général du Front pour le socialisme et la démocratie/Benno Jubël, Cheikh Bamba Dièye, estime que toutes les formes de violence, qu’elle soit physique ou verbale, sont nuisibles à la sécurité, à la quiétude et à la stabilité d’un pays qui cherche à sortir du gouffre du sous-développement.

Le ministre-conseiller en communication du président de la République, El Hadj Hamidou Kassé, condamne, quant à lui, tout discours violent, ‘’l’injure gratuite’’, ‘’les propos irrévérencieux’’. ‘’Quelle que soit l’adversité, il y a un niveau de langage qu’on ne doit pas atteindre. Or, il y a malheureusement beaucoup d’insolence, de propos outranciers qu’on ne doit même pas tenir avec un ennemi, a fortiori à un adversaire politique’’, soutient-il.

L’attitude de l’opposition en question

Alors que la majorité condamne fermement cette sortie qu’elle juge malencontreuse de l’ancien président de la République, l’on essaie, au sein du Parti démocratique sénégalais, de relativiser. ‘’Le président Abdoulaye Wade a fait tout juste preuve d’une pédagogie. Parce que quand on organise des élections avec un matériel électoral qui sert à valider une candidature fondée sur l’exclusion de candidats issus des trois forces politiques du Sénégal, cela pose problème. On utilise le Conseil constitutionnel pour ne pas réduire son mandat, la Cour d’appel pour ignorer les décisions de la Cedeao, cette forme de violence est un hold-up, et donc la résistance à l’oppression est un principe de droit. Ce à quoi Me Wade appelle, c’est la résistance à l’oppression, le refus de l’organisation d’une fraude électorale’’, fulmine Pape Saër Guèye, Secrétaire national du Pds en charge des Sénégalais de la diaspora.

Si les différents acteurs politiques sont unanimes à déplorer certains écarts de langage dans le landerneau politique, ils ne sont cependant pas d’accord sur les origines de la violence. Pour les tenants du pouvoir, l’opposition verse toujours dans l’excès pour poser ses revendications.

‘’Les gens croient que l’insolence peut se substituer au débat serein, argumenté autour des programmes et de ce qu’on propose aux Sénégalais. Depuis 2012, nos opposants sont dans l’injure, dans l’invective, dans la calomnie, la désinformation et l’intoxication. Ce sont des professionnels de l’injure publique. Non contents d’insulter le président de la République et les institutions, ils s’en prennent maintenant à la magistrature, à la justice. Ils n’épargnent personne’’, charge El Hadj Hamidou Kassé. Pour qui il suffit de ne pas être d’accord avec eux (les opposants) pour qu’on t’insulte, qu’on te traite de tous les noms d’oiseaux. ‘’Ça, c’est inacceptable. C’est le lit de toutes les dérives et il faut éviter ça. Un ancien chef d’Etat doit faire preuve de pondération, de retenue et de sagesse’’, fulmine-t-il.

Pourtant, note Moussa Sarr de la Ld, la démocratie sénégalaise offre assez d'espaces de discussion de telle sorte que le recours à la violence n'a aucun sens, sauf à vouloir satisfaire ses intérêts personnels contre la volonté du peuple souverain. D’ailleurs, estime-t-il, ‘’ces pyromanes’’ n'ont pas saisi le sens de l'évolution politique du Sénégal. Car le contexte actuel est totalement différent de celui du début des années 80 où il y avait des manifestations de rue parfois violentes pour exiger le pluralisme politique, syndical et médiatique. ‘’Aujourd'hui, l'espace politique sénégalais est extrêmement ouvert et garantit aux acteurs une égale et libre expression de leurs idées et convictions. C'est pourquoi je pense qu’Abdoulaye Wade, qui a toujours été fasciné par la violence, ne comprend pas que les Sénégalais attendent plutôt des débats d'idées et non le recours à une violence gratuite’’, lâche-t-il d’un ton sec.

Procès du régime

S’inscrivant en faux contre un tel réquisitoire, Pape Saër Guèye accuse le pouvoir d’être la source du mal. A l’en croire, depuis sept ans que le président Macky Sall est à la tête du pays, le dialogue dans toutes ses formes est dévoyé.

‘’Nous constatons que le président Macky Sall et son groupe politique Benno Bokk Yaakaar ne font que de la domination. La première violence, c’est le mépris du dialogue et de la concertation sur les questions majeures’’, estime-t-il. Avant d’ajouter : ‘’Le dialogue étant un instrument de discussion, d’écoute et d’apaisement, si les gens ne se parlent pas, ils prennent des actes qui risquent de déteindre sur la stabilité du pays. Le fait qu’on ne respecte pas la liberté de manifester et d’expression, le libre accès de tous les acteurs du jeu politique aux médias d’Etat, la liberté de la presse surtout privée devenue une presse de propagande qui dévoie l’équilibre de l’information, c’est une autre violence initiée et entretenue par le palais’’.

Allant plus loin que son allié du Front démocratique et social de résistance nationale, le leader du Fsd/Bj est d’avis que la violence est dans ‘’le traitement inique des dossiers de l’Etat, dans l’injustice flagrante, dans le dysfonctionnement de l’Etat de droit et dans le fait, de manière récurrente, de refuser à des citoyens l’exercice de leurs droits et de leur liberté’’. ‘’Ça ne sert à rien de jouer au plus fou ou de verser dans la surenchère. Tout homme d’Etat qui fraude, qui utilise la justice, dérègle le système politique et le système électoral, est un fauteur de troubles en soi. Je crois fermement que la première source de violence est d’ordre étatique et dans les fondements de l’Exécutif, dans le mode et le management de l’Etat par Macky Sall’’, déclare-t-il.

Mais pour El Hadj Hamidou Kassé, tout ceci n’est qu’une accusation gratuite. Car, rappelle-t-il, ‘’nous sommes dans un Etat de droit qui respecte les libertés publiques et individuelles’’. Seulement, il estime que ce qui est nouveau dans ce que fait le régime, ‘’c’est la lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics qui épingle certains dignitaires politiques qui ont été interpellés, poursuivis et condamnés définitivement pour certains et en instance pour d’autres’’. ‘’Ça, une certaine classe politique ne l’admet pas’’, relève-t-il.

ASSANE MBAYE

 

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