Publié le 23 Sep 2023 - 23:50
VIOLENTS AFFRONTEMENTS ENTRE L'ARMÉE RÉGULIÈRE ET LES EX-REBELLES DU CMA, RETRAIT DES FORCES ONUSIENNES

Le nouveau front touareg qui embrase le Nord-Mali 

 

La résurgence du conflit entre l’armée malienne et les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) semble faire naître le spectre d’une nouvelle guerre touareg après 1962, 1990 et 2012 dans le Nord-Mali. Ce regain de tensions qui a lieu dans un contexte de retrait des troupes de la Minusma risque de profiter aux groupes armés terroristes qui entendent accroître leur contrôle sur le centre et le nord du Mali. 

 

Le Mali semble se diriger inexorablement vers une nouvelle guerre touarègue. Les derniers affrontements entre l’armée malienne et les rebelles touareg réunis au sein du CNSP DP se sont intensifiés depuis la prise du camp de Ber évacué par la Minusma. Le feu qui couvait entre l’armée malienne et les rebelles touareg semble s’étendre depuis l’annonce du départ des troupes onusiennes (Minusma) de leurs cantonnements et bases situés dans le Nord-Mali.

 Les tensions entre le gouvernement malien et les ex-rebelles touareg de la CMA membre du Cadre stratégique permanent et le développement (CSP-PSD), une coalition de mouvements politiques et militaires du Nord-Mali, se sont accentués sur fond de course-poursuite pour occuper en premier la base onusienne Behr près de Tombouctou en fin août.  Les ex-rebelles de la CMA déclarent que ces bases de la Minusma devaient passer sous le contrôle des forces touarègues en lien avec les accords de paix d’Alger en 2015.

De leur côté, les autorités maliennes soutiennent que ces bases reviennent à l’autorité légale qui est le gouvernement de Bamako. L’armée de l’air malienne a procédé à des frappes avant de prendre le contrôle de la base de Behr. Cette montée des tensions risque de s’exacerber après la mise en place de la seconde phase du transfert des bases de l’ONU, notamment celles de Ménaka, de Kidal, d’Aguelhok et de Tessalit, fiefs des rebelles touareg.

Aucun calendrier pour le retrait des troupes onusiennes de ces bases n’a été annoncé par l’ONU. 

La junte malienne a appelé, le 28 août dernier, les groupes armés du Nord signataires d’un accord de paix à renouer le dialogue avec elle.  Le 17 septembre, les membres de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) sont bien décidés à contrecarrer la tentative de projection de l’armée malienne dans le nord-est du pays, dans un contexte de retrait progressif des troupes de la Minusma de leurs bases et cantonnements.

Ainsi, les rebelles touareg ont revendiqué une attaque contre deux camps militaires à Léré, au sud-est de Tombouctou. Cinq soldats maliens ont été tués, 11 autres sont portés disparus et 20 ont été blessés, ont annoncé les forces armées maliennes (Fama) dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.

Selon un élu local, les groupes armés touareg auraient pris le contrôle des deux camps avant de se replier sans évoquer le bilan de leurs pertes. Des groupes armés du nord du Mali ont aussi attaqué, le 12 septembre, la ville clé de Bourem, entre Gao et Tombouctou. Ils ont revendiqué la prise de la ville clé de Bourem, alors que d’autres sources ont au contraire indiqué que le camp demeure sous le contrôle des Famas. Les accrochages entre l’armée malienne et les rebelles touareg se sont multipliés ces dernières semaines.

Selon plusieurs spécialistes, cette volonté de l’armée malienne de reprendre pied dans le Nord-Mali en se déployant dans les anciens cantonnements et bases de l’ONU, fait partie d’une stratégie de la junte soutenue par les mercenaires de Wagner de reprendre le contrôle du Nord-Mali. Ainsi, les bases de Goundam et d’Oussagou ont été aussi reprises par l’armée malienne.

De ce fait, un regain d’hostilité entre l’armée malienne et les rebelles touareg pourrait renforcer l'expansion du groupe terroriste (EIS) et d’autres groupes djihadistes dans le nord-est du Mali. Selon plusieurs sources sécuritaires, la ville de Tombouctou serait quasiment encerclée par les forces djihadistes du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) qui empêchent tout ravitaillement de la ville.

Les djihadistes ont aussi lancé un ultimatum d'une semaine, le 25 août, aux commerçants arabes qui ravitaillent les habitants depuis l'Algérie et la Mauritanie pour qu'ils cessent d'approvisionner la ville. Des opérations de sauvetage ou de désencerclement de la localité de la part de l’armée malienne pourraient entraîner une montée des tensions dans la zone.

Les accords d’Alger de 2015 au cœur des disputes

Le conflit entre l’armée et les rebelles touareg avait débuté en 2012, à la suite du déclenchement d’une nouvelle rébellion touarègue dans le nord du pays soutenue par des groupes djihadistes venus principalement de Libye. Les groupes djihadistes qui vont rapidement prendre le contrôle du Nord ont poussé les factions touarègues à se rapprocher des gouvernements malien et français qui, à la suite de l’opération Serval, ont repoussé les colonnes djihadistes qui voulaient conquérir le centre et le sud du pays. 

Les accords de paix d’Alger devaient sceller ce rapprochement en accordant une forte autonomie au Nord-Mali. Mais la promulgation de la nouvelle Constitution malienne vient remettre en question cette autonomie du Nord et la chaîne de commandement dans la nouvelle armée nationale reconstituée. L’accord prévoit alors des mesures de décentralisation, mais aussi l’intégration d’ex-rebelles dans l’armée nationale.

Selon les ex-rebelles, le processus de paix d’Alger avait aussi entériné l’autorité de la CMA sur les régions de Kidal, Gao, Ménaka, Taoudéni et Tombouctou qui forment l’entité dénommée Azawad. Le refus de la CMA de participer au dialogue national puis au référendum constitutionnel ouvrant la voie à une possible candidature d’Assimi Goita a aussi exacerbé les tensions entre les deux belligérants.

Le 10 août dernier, l'ex-rébellion touarègue du nord du Mali affirmait ne plus être en sécurité à Bamako. Elle avait alors décidé de faire quitter la capitale à tous ses représentants. Face à cette montée de la violence, la classe politique malienne est montée au créneau pour demander l’ouverture du dialogue pour résoudre le conflit et éviter une escalade qui pourrait embraser à nouveau le Nord-Mali. 

Minusma, un départ sous la confusion

La Minusma, qui a entamé son plan de retrait du Mali qui doit s’achever le 31 décembre 2023, va bientôt entamer la deuxième qui doit débuter dans quelques semaines. Ce retrait risque de s’avérer plus dangereux avec le démantèlement des camps basés dans le nord du pays :  Kidal, Tessalit et Aguelhok convoités par l’armée malienne et les mouvements touareg.

La Minusma a, tout au long de son déploiement, souffert d’un manque d’effectifs (13 000 hommes) et d’un flou autour de ses règles d'engagement qui est de protéger les populations. Le gouvernement malien et les acteurs de la société souhaitaient alors un mandat plus offensif, surtout contre les groupes armés terroristes. 

L’arrivée de la junte (2020) et la milice russe Wagner (2022) ainsi que le départ des forces françaises de Barkhane et européenne de Takuba semblent avoir freiné l’engagement de beaucoup de pays, notamment européens qui se sont progressivement retirés de la mission. En décembre 2022, des pays comme la Suède et le Royaume-Uni ont annoncé le départ de leurs contingents. Sans compter l’Égypte, la Côte d’Ivoire et le Salvador qui ont aussi fait de même.

Pour rappel, la Minusma a dénombré 281 morts durant ces 10 années de mission au Mali.

Ibrahima Harane Diallo, chercheur associé à Timbuktu Institut : ‘’Nous sommes déjà en guerre’’

Ibrahima Harane Diallo, chercheur associé à Timbuktu Institut, estime ne pas être surpris par la tournure des évènements avec ce cycle d’affrontements entre l’armée malienne et les ex-rebelles touareg.  ‘’Cette rétrocession des bases de la Minusma semble être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Nous avons déjà noté que le gouvernement de la transition a indiqué que des points et des dispositions contenus dans l’accord de paix d’Alger n’allaient pas dans le sens de l’unité nationale. Les ex-rebelles touareg ont aussi dénoncé la lenteur des autorités à mettre en œuvre ces accords d’Alger, notamment la composition d’une armée reconstituée qui devait se déployer dans le Nord-Mali.  Une nouvelle armée qui engloberait des éléments de l’armée nationale malienne, des éléments du CMA et ceux de la plateforme en vertu d’un cessez-le-feu de 2015’’, soutient l’enseignant-chercheur à l’université de Ségou.

Mais il s’empresse d’indiquer que ce climat de méfiance avait conduit les ex-rebelles touareg à quitter le Comité de suivi des accords d’Alger (CSA) pour dénoncer cette situation. D’après le politologue, l’absence de dialogue a précipité le conflit entre les deux belligérants. Et le chercheur à l’Observatoire sur la prévention et la gestion des crises au Sahel d’ajouter : ‘’Nous sommes déjà en guerre et si les membres du Gat venaient à s’allier aux rebelles touareg qui disposent d’une importante puissance de feu, on risque de revivre le scénario de 2012. Un embrasement qui pourrait ouvrir la voie aux groupes armés terroristes (GAT)’’, affirme-t-il.

 En conclusion, dit-il, ‘’nous sommes en face d’un conflit armé interne au Mali entre l’armée et les ex-rebelles. L’attaque du bateau de civils, le 7 septembre dernier, près de Tombouctou, a été l’œuvre du JNIM, témoigne de cette menace persistante.’’  

 Amadou Fall

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