Publié le 10 Feb 2012 - 13:21

VOUS AVEZ DIT INGERENCE ?

Awa Thiam

« M. GBAGBO, quittez le Pouvoir ! », « M. Khadafi, démissionnez , alors qu'il en est temps ! »

 

Combien de fois, vous et moi n'avions-nous entendu ce genre d'injonctions, alors que ces deux hommes -en tant que dictateurs- s'accrochaient indécrottablement au Pouvoir dans leurs pays respectifs, faisant fi des hécatombes qu'entraînait leur entêtement et, accusant, invariablement leurs auteurs d'ingérence inacceptable dans les affaires intérieures de leur pays. La suite, nul ne l'ignore : GBAGBO est à la CPI, Khadafi a été tué.

 

 

Aujourd'hui, les mêmes injonctions fusent de l'intérieur et de l'extérieur du Sénégal en direction de M. le Président A. Wade. Elles sont le fait non seulement du M23 qui regroupe l'ensemble des partis politiques de l'opposition et des associations de la société civile qui œuvrent pour la démocratisation de la société sénégalaise, mais également de régulateurs sociaux tels des chefs religieux, d' Etats étrangers tels que ceux de la France et des Etats Unis. Mais en vain. L'homme se fait sourd à ces injonctions et charge ses affidé-e-s de dénoncer une ingérence étrangère inadmissible.

 

 

Wade, une dictature évidente...

 

Ces exemples posent le problème de l'ingérence. L'ingérence d'un ou de plusieurs Etats dans les affaires intérieures d'un pays étranger. Mais qu'est-ce qu'une telle ingérence ? Est-il tolérable de parler d'ingérence inadmissible, quand un Etat étranger se solidarise avec un peuple qui se bat pour la démocratisation de sa société ? D'aucun-e-s parlent d'ingérence inacceptable dans les affaires intérieures d'un Etat, là où d'autres de solidarité. A titre d'illustration, à défaut de forces africaines d'intervention humanitaires prêtes à se rendre en Côte d'Ivoire, au moment où il le fallait, la France et les forces de l'ONUCI se sont engagées aux côtés des forces démocratiques ivoiriennes. Ce faisant, elles ont contribué à l'abolition de la dictature « gbagbienne », et à l'arrêt de la saignée provoquée par les massacres entre pro et anti Gbagbo ? Ce genre d'ingérence est-il condamnable ?

 

 

Lorsqu'un peuple peine terriblement à se départir d'une dictature, n'est-il pas judicieux qu'il sollicite l'expression d'une solidarité allant dans le sens de l'abolition de ladite dictature ? Et, dans ce cas, l'ingérence n'est-elle pas souhaitable et souhaitée ? Les récents conflits survenus en Afrique (en Côte d'Ivoire et en Libye, entre autres pays) ont été l'occasion de (re)mise en question du droit d'ingérence dans les affaires intérieures d'un pays. Et, pour ce qui est du Sénégal, un rappel historique s'impose.

 

 

Personne, au Sénégal, n'ignore que le Président WADE travaille à léguer officiellement le Pouvoir à son fils. A cet effet, un complot a été ourdi contre le peuple sénégalais. Malheureusement pour les comploteurs: le Sénégal n'est pas un royaume. De là, la résistance intense manifestée, ces jours derniers, par les démocrates de ce pays. Mais, il fallait, cependant, voir venir les choses.

 

 

M. Abdoulaye WADE s'y est pris savamment et méticuleusement par : la mise à l'écart d'éléments gênants quant à son projet de dévolution monarchique du Pouvoir (ses anciens alliés Dansokho, Niasse, Madior Diouf, Bathily, Savané,...) et nombre de militant-e-s du PDS ; le tripatouillage de la Constitution du Sénégal, après le boycott des élections législatives par l'opposition en 2007 ; la constitution de gouvernement dont presque 80% des membres (1) relève de l'ancien PS sénégalais ; son investiture par son parti et par ses allié-e-s ; la tentative de chercher l'onction occidentale en organisant un séminaire international dans lequel des juristes du monde occidental - entre autres - sont venus expliquer à la fraction du peuple sénégalais qui lui refuse un troisième mandat son droit à ce dernier ; décrétant , pendant que des femmes sénégalaises connues ou inconnues sont sur-violentées au Sénégal, une journée de « prisons sans femmes », précisément le jour où y débarque la « délégation d'observation » de l'Union européenne relative à l'élection présidentielle de cette année ; en s'habillant et en faisant s'habiller (2) en blanc des hommes et des femmes, des garçons et des filles mobilisé-e-s à à coups de boubous, de casquettes, de tee-shirts et de billets de banque, et en procédant à un lâcher de colombes pour faire croire qu'il est un pacifiste (3).

 

 

...Soutenue par des hommes et femmes juristes

 

Ainsi, l'homme s'est mué, au fil du temps, en un dictateur : c'est un fait. De là des meurtres, des agressions, des arrestations, des emprisonnements, des intimidations qui s'abattent sur les manifestations de l'opposition. ... Avec la complicité d'hommes et de femmes juristes. « Et silence, opposition ! Vous n'avez pas le droit de protester ! », semblent dire les autorités. D'un côté, il y a le droit de donner la mort, le droit de terroriser, le droit d'intimider,... le droit de GOULAGUISER le Sénégal, en toute impunité, et de l'autre le droit de ne presque pas avoir de droit.

 

 

La situation qui prévaut au Sénégal est on ne peut plus critique et amène à se demander si n'importe quel Etat étranger soucieux de démocratie n'a pas le droit de la dénoncer: une situation de dictature, avec un coup d'état constitutionnel en prélude à un coup d'état électoral si l'opposition n'y prend garde. Abdoulaye Wade n'a pas le droit d'agir en dictateur. A ceux et à celles qui font de lui un otage et lui susurrent quotidiennement : « Accrochez-vous ! (« naye degueur ! »), il y a lieu de dire que le DROIT n'est pas de leur côté.

 

 

A travers, tous les actes ci-évoqués, Wade apparaît ici sous les traits d'un manipulateur culpabilisateur (4) doublé d'un corrupteur. C'est un bourreau qui veut se faire passer pour une victime, s'empressant de tenter de retourner des situations qui sont en sa défaveur en situations à son avantage (cf. ses dernières accusations contre l'opposition sénégalaise relativement aux quatre personnes tuées en cinq jours, contre la France et contre les Etats Unis qui s'insurgent contre le bafouement actuel des droits humains par l'Etat sénégalais).

 

 

L'opposition, avec ses « candidats » à l'élection présidentielle aux candidatures invalidées - MM. Youssou Ndour, Kéba Keinde et Abdourahmane Sarr - a le droit et le devoir de résister face au régime d'un tel homme. La France et les Etats Unis ont le droit et le devoir d'intervenir relativement à la forfaiture que M. Abdoulaye WADE et ses affidé-e-s veulent imposer au peuple sénégalais.

 

Citoyens et citoyennes du monde, démocrates de tous les pays, le peuple sénégalais, dans son immense majorité, est en danger. A cet effet, il a besoin de votre solidarité.

 

 

Agir maintenant

 

Il faut agir maintenant pour préserver la paix au Sénégal, et ne pas attendre qu'il y ait des milliers de morts. Citoyens et citoyennes du monde, démocrates de tous les pays, usez de votre droit d'ingérence -qui est un droit réel pour mettre un terme à l'obsession meurtrière de WADE : l'installation monarchique de son fils à la tête de l'Etat sénégalais ! C'est un devoir. L'interdépendance économique, financière et culturelle des pays amène à l'interdépendance des États. Donc au DROIT et au DEVOIR d'ingérence. Les deux se conjuguent à un humanisme qui suppose la préservation des droits fondamentaux des humains, une citoyenneté mondiale qui renvoie aux notions de justice, de liberté et de démocratie.

 

 

Monsieur Abdoulaye Wade n'a pas droit à un troisième mandat. L'ensemble des démocrates de ce pays et d'ailleurs, tous ceux et toutes celles qui s'intéressent tant soit peu à la démocratisation de la société sénégalaise, doivent le lui faire admettre. L'opposition sénégalaise convaincue de ce que le peuple sénégalais est l'acteur fondamental de sa libération du joug wadien joue conséquemment sa partition ; cependant, elle a besoin de solidarité. Une solidarité agissante qui renvoie à l' « esprit de la Baule ».

 

 

La possibilité d'une intervention de l'armée sénégalaise mise provisoirement entre parenthèses, n'y a t-il pas lieu de faire appel à des dirigeants tels que MM. SARKOZY et OBAMA qui se sont déjà fait entendre relativement à « la crise sénégalaise actuelle » par le biais de certains de leurs collaborateurs ? Pourquoi Monsieur SARKOZY ? N'a t-il pas eu à dire, en 2007, dans le cadre de son discours de Dakar : « Si vous choisissez la démocratie, la liberté, la justice et le Droit, alors la France s'associera à vous pour les construire (2)», ce qui amène à penser à une France généreuse, une France humaniste : celle de la défense des droits humains. Le choix du peuple sénégalais est fait : il veut la démocratisation de sa société. Une démocratisation vraie.

 

Pourquoi Monsieur OBAMA ? N'a t-il pas eu à soutenir, le 11 juillet 2009, à Accra (Ghana), que «L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, elle a besoin d'institutions fortes.» Le peuple sénégalais n'est-il pas en train de se dresser avec détermination contre le piétinement de ses institutions ? J'ai fait allusion à deux grands dirigeants de ce monde, mais par-delà il est question de tou-te-s les dirigeant-e-s de ce monde qui ont effectivement le souci de la démocratie (5).

 

 

L'ensemble des ami-e-s du peuple sénégalais ont le devoir de se ranger à ses côtés, lui qui mène un combat pour la démocratisation de sa société, avec des mains nues. Devoir d'ingérence humanitaire, oui. Un devoir doublé du droit d'ingérence humanitaire.

 

Awa Thiam (chercheuse)

Chef du Laboratoire d'anthropologie culturelle

de l'IFAN – Université Cheikh Anta Diop de Dakar

 

1 - Que penserait le peuple français si M. le Président Nicolas Sarkozy vidait l'UMP pour confier 80% des plus hautes fonctions étatiques à des membres débauché-e-s du PS ?

2 - Malheureusement pour lui, le blanc, dans l'Afrique traditionnelle, est symbole du deuil. Serait-il celui du deuil l'alternance wadienne ? A. WADE a arboré et fait arborer le blanc, en janvier dernier , pour déclarer urbi et orbi qu'il était un pacifiste. Cependant, en faisant réprimer sauvagement les manifestant-e-s du « M23 » des 27 et 31 janvier 2012, il vient de révéler, au monde entier, sa véritable nature. Celle d'un homme violent, prêt à tout pour conserver le pouvoir : un vrai dictateur. Le pacifisme ne se proclame pas. Il se vit.

3Et, ne dites pas que non seulement c'est lui et lui seul qui a nommé lesdits membres, mais de plus qu'il n'est pas un vrai partisan de la parité : pas une seule représentante de la gent féminine au Conseil constitutionnel. Et, pourtant, l'homme se proclame le champion de la parité au Sénégal, de fait il se révèle être, à ce jour, un phallocrate. Les paradoxes et contradictions ne l'étouffent pas.

4 - Cf. Regard , J. (2005). La Manipulation : ne vous laissez plus faire ! Paris : Feyrolles pratique.

5C'est moi qui souligne.

 

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