Publié le 26 Jul 2014 - 12:10
YAKHYA DIOP DIT “YEKINI”

 “Les lutteurs doivent baisser leurs cachets”

 
Incommodé, Yakhya Diop dit “Yékini” l’est réellement par la situation présente de l’arène. Trois mois après l’entretien qu’il a eu avec EnQuête, l’enfant de Bassoul revient sur ses traces. Il évoque une crise de plus en plus présente dans l’arène, dresse un tableau noir de la lutte sénégalaise, parle des sponsors qui sont de plus en plus difficiles à décrocher et de l’absence de perspectives sérieuses, surtout pour la jeunesse. Yakhya Diop “Yékini” qui a régné dans l’arène sénégalaise ces 12 dernières années, avec 19 victoires sur 21 combats (un nul et une défaite) pense que le moment est arrivé de prendre à bras le corps l’avenir de la lutte sénégalaise. Il décortique la crise, propose des solutions et interpelle tous les acteurs de la lutte sénégalaise (Etats, lutteurs, Cng, promoteurs et sponsors). Si tout le monde doit lâcher, à son avis, du lest, il pense qu’en prenant en compte l’intérêt bien compris de chaque camp, des solutions peuvent être trouvées. Yakhya Diop dit “Yékini” parle aussi de ses futurs combats, des malentendus créés par ses dernières déclarations surtout à propos d’un possible face-à-face avec le lutteur de Mbour, Serigne Dia dit “Bombardier”… Que se passe-t-il dans l’arène ? On a l’impression que tout s’est subitement arrêté. Plus de grands combats, les chocs sont différés et c’est la grande morosité… 
 
 
Comme on est en ramadan, je demande d’abord pardon à tout le monde. Et je prie Dieu pour que l’année prochaine soit encore meilleure que cette année. Que nous soyons encore là pour la célébrer, dans la paix, la santé et la prospérité ! Pour répondre à votre question, je dirais qu’il y a effectivement une crise dans l’arène et si les choses continuent comme ça, on va directement sur le mur. Ce que je crois être à l’origine de la crise dans l’arène, c’est le départ des gros sponsors qui étaient là et qui sont presque partis, tels Orange, Tigo etc. Ce qui a engendré des difficultés pour les promoteurs qui, de ce fait, n’organisent plus de combats. L’arène ne peut fonctionner sans sponsors, ni promoteurs. Les lutteurs et le CNG (Comité de gestion de la lutte) seuls ne peuvent la faire fonctionner comme il le faut...
 
Cela signifie que sans argent, l’arène ne marche pas
 
Le promoteur qui monte son combat compte sur l’argent d’un gros sponsor pour l’organiser et dès lors qu’il y a un problème à ce niveau, la chaîne est bloquée. Et certains grands combats ne peuvent plus être organisés. Donc à mon avis, lutteurs, promoteurs et CNG doivent se concerter pour sortir la discipline de l’ornière. Et pour sauver la discipline, il faut que les lutteurs revoient à la baisse leurs cachets et de manière drastique.
 
Les lutteurs font partie des causes et des solutions de la crise ?
 
Oui. Ceux qui sont aujourd’hui en état de lutter pourraient en souffrir, mais c’est un mal nécessaire, qui profitera à leurs suivants, car chacun de nous a soit un frère, soit un neveu qui évolue dans l’arène. Donc il faut que les lutteurs acceptent de percevoir moins avec leurs cachets, à commencer par moi-même. Car je sais que je ne peux plus atteindre aujourd’hui le cachet que j’avais perçu, il y a deux ans de cela, situation oblige. Au-delà de cela, il faut voir comment mettre les sponsors à l’aise.
 
Ce qui signifie ?
 
Cela veut dire que celui qui investit son argent doit en voir les retombées. Qu’il se dise j’y gagne quelque chose. Sinon, ce n’est pas possible.
 
Veux-tu dire que les sponsors ne tirent pas profit de leur présence dans l’arène ?
 
Je ne crois pas que des gens qui tirent satisfaction d’une activité peuvent du jour au lendemain l’abandonner tous. Donc il y a forcément un problème. Et il ne faut pas se voiler la face, la crise est réelle et la raison est bien liée à la question du sponsoring. Quelqu’un d’autre peut te donner une autre explication ou les principaux intéressés donner une autre raison, mais c’est cela mon opinion sur la question.
 
Donc, à ton avis, l’heure est venue pour que tous les acteurs de l’arène se mettent autour de la table et réfléchissent sur des voies de sortie de crise, à l’instar de tes propositions.
 
Que les lutteurs se mettent autour de la table, je n’y crois pas. Et ce n’est même pas important, car nul ne sait mieux qu’eux que cette activité qui les fait vivre ne marche plus. Et comme ça ne marche pas, ils doivent se résoudre à faire en sorte qu’on sorte de cette situation.
 
Mais par où commencer, qui doit prendre la décision, qui doit actionner le levier du changement ?
 
Personnellement, n’est-ce pas que je dis que je veux lutter à nouveau ? Si un promoteur se présente à moi, je saurais quoi lui dire, c’est la première chose. Ensuite, tout ce qui se décide dans le milieu de la lutte passe forcément par le CNG, parce que c’est la structure de décision. Il est donc nécessaire que cette structure communique, avec les lutteurs, avec les promoteurs.
 
On avait discuté la dernière fois, il y a trois mois, dans un entretien, du rôle du CNG dans la lutte. Est-il un acteur de la crise ?
 
Absolument. Il est primordial de reconsidérer le rôle du CNG dans le fonctionnement de la lutte. Il est vrai qu’aujourd’hui le gros des tractations dans ce milieu se fait entre lutteurs, promoteurs et sponsors, mais c’est le CNG qui gère la discipline. Donc s’il s’emmure dans le silence alors que l’arène est en crise, ça ne va pas. Dans le dialogue entre lutteur et promoteur, le CNG doit intervenir pour un recadrage.
 
Quelle démarche Yékini compte-t-il initier pour aider à sortir de la crise ?
 
La démarche ne peut être que de communication. Réfléchir sur la question, mûrement, émettre des propositions et attendre en retour des réactions positives ou négatives. Ceux qui apprécient positivement l’idée avancée finiront tout ou tard par rencontrer celui qui l’a émise pour un enrichissement mutuel.
 
Mais au-delà de la parole, ne faut-il pas agir, d’autant que tu dis être prêt à donner l’exemple ?
 
Ce n’est pas compliqué. Comme je l’ai dit, l’arène dans laquelle j’évolue vit une crise financière, pour que j’y remédie, nécessairement, je dois serrer la ceinture et revoir mes cachets à la baisse. Voilà la part du lutteur dans la résolution de la crise, pour faciliter la tâche du promoteur. Lutteur et promoteur accordant ainsi leurs violons, le sponsor qui vient les accompagner n’en sera que plus à l’aise. C’est cela mon avis. Maintenant, le CNG a son rôle à jouer, qui est de mettre les choses en forme, en conformité avec la réglementation.
 
As-tu déjà parlé avec quelqu’un de cette idée, que ce soit le promoteur, le sponsor ou autre ?
 
Je n’ai encore fait aucune démarche dans ce sens, car ce n’est que le début. D’autant que j’étais jusque-là sur autre chose. Maintenant que j’ai le temps, je vais en parler du mieux que je peux. Ceux qui m’entendront et qui partagent mon avis ne manqueront pas de réagir.
 
Maintenant, au plan de la lutte, la distribution des cartes entre ténors n’est plus très claire dans la tête des gens. C’est comme une armée mexicaine avec Modou Lô, Balla Gaye 2, Eumeu Sène, Bombardier. Quelle appréciation fais-tu de cette situation ?
 
Il est plus facile d’édifier ceux qui font preuve de discernement.
 
Ce qui veut dire en clair ?
 
Je veux dire que si je me mets à énumérer les lutteurs, si j’en omets un, il s’empressera de dire que je ne le tiens pas en considération. Ce qui pose problème. C’est pourquoi quand je m’exprime sur le sujet, je nomme tous les ténors. Ce qui ne signifie pas non plus que quand je prononce ton nom, c’est pour te défier. Donc, quand j’énumère les ténors, je dis Eumeu Sène, Balla Gaye 2, Lac de Guiers 2, Bombardier, Gris Bordeaux. Cependant, je ne ferai pas plus de deux combats dans l’arène. Ça ne peut pas le dépasser.
 
Donc, en énumérant, je nomme tout le monde, par courtoisie, mais citer quelqu’un ne signifie pas que je veuille lutter avec lui. Il n’y a pas longtemps, j’ai parlé avec des journalistes et en énumérant les lutteurs, j’avais commencé par Eumeu Sène, parce que durant cette saison de lutte finissante, on devait s’affronter et il avait même reçu une avance pour cela. Alors pourquoi le journal en question n’a pas parlé de lui, mais a plutôt cité Bombardier ? Alors que le nom de Bombardier n’a été évoqué que dans l’optique d’un combat que j’accepterais de faire contre lui pour sortir l’arène de la crise.
 
Mais tu veux quand même lutter avec lui
 
Je veux ou je ne veux pas, là n’est pas la question. Mais franchement, pour être honnête, je ne voudrais pas qu’on s’épanche trop sur ce sujet.
 
Le sujet est difficile à éluder, parce que les amateurs ont besoin de combats entre ténors, qui suscitent la passion. Si ce n’est Bombardier, ce sera qui alors ? Qui contre Yékini ? 
 
C’est avec ceux-là que je dois lutter. Je t’ai cité cinq lutteurs, tout en disant que je ne ferai pas plus de 2 combats, donc j’en affronterais bien deux. Mais une chose me chiffonne dans cette arène où je n’ai que des frères. Bombardier, c’est mon jeune frère, bien qu’on ait lutté à plusieurs reprises. Si je cite son nom, ce n’est pas pour le défier, car je ne défie jamais un lutteur. Qu’on m’écoute bien. Je ne défie ni Bombardier, ni Eumeu Sène, ni un autre. Mais dans la discussion, si on cite Bombardier, c’est parce qu’il a bien travaillé, il a réalisé une très grosse performance pour revenir au top. Il serait même mal venu qu’on parle de lutte sans se référer à lui. Donc je ne pouvais ne pas parler de lui. C’est sans arrière-pensée…
 
Le problème, c’est qu’on te reproche d’avoir dit une chose et son contraire à son propos. Du wax waxeet…
 
Si j’avais déclaré que je voulais lutter contre Bombardier, on aurait pu dire que j’ai fait du ‘’wax waxeet’’ (que je me suis dédit). Mais discuter des affaires d’un quelconque lutteur n’était pas l’objet de mon déplacement ce jour-là. J’étais allé rendre visite à Bécaye Mbaye et auparavant on est allé chez Moussa Gningue. C’est parce qu’on voulait de la publicité autour de cela qu’on a fait appel aux journalistes, non pour parler d’un lutteur quel qu’il soit. C’est dans la discussion, en parlant de la crise dans l’arène, que le nom de Bombardier s’est invité. On m’a demandé si, par rapport à ladite crise, j’étais prêt à lutter avec untel. J’ai répondu que si c’est pour régler la crise, j’étais prêt.
 
Si on vous suit bien, c’est dans un contexte particulier que tu as fait cette déclaration
 
Voilà (Il insiste). C’est bien ça. Il faut que les gens écoutent bien et fassent preuve de discernement. C’est ce dont a besoin le milieu de la lutte aujourd’hui. La colère ne peut aucunement régler les problèmes.
 
Dites-nous, aujourd’hui, quels types de relations as-tu avec Bombardier, des relations cordiales, conflictuelles ?
 
Elles sont loin d’être conflictuelles. Après notre dernier combat, c’est lui qui m’a escorté de l’entrée de Mbour jusqu’à la sortie, un beau geste que j’ai apprécié. Ensuite nous partageons le même terroir, je suis de Joal, il est de Mbour. Nous n’avons aucun problème. Je dois pouvoir, en allant à Joal, transiter par chez lui et partager son repas avant de continuer ma route.
 
Pour revenir sur les prochains combats, parmi les ténors, qui veux-tu affronter par ordre de priorité ?
 
Si j’avais à choisir, je lutterais avec quelqu’un que je n’ai pas encore affronté.
 
Donc il s’agit de Eumeu Sène ?
 
Non, on est dans une discussion. Mais ce n’est pas le lutteur qui choisit seul ce qu’il fait. Le promoteur va voir un lutteur de ta catégorie avec lequel il y a un enjeu dans votre confrontation et vient te le proposer. Ce qui est sûr, c’est que je ne change pas de discours, et mes propos d’hier sont bien ceux d’aujourd’hui.
 
Les promoteurs ne t’ont donc rien proposé ?
 
Pour l’instant, non. Parce que la saison vient juste de se terminer.
 
Mais tu as bon espoir qu’ils vont te proposer quelque chose pour la saison à venir.
 
(Avec fermeté). Oui, je l’espère.
 
Est-ce que physiquement tu es prêt ?
 
Je suis prêt depuis très longtemps. J’ai toujours été prêt.
 
Es-tu toujours au même niveau de confiance qu’auparavant, c’est-à-dire avant ta chute ?
 
Aujourd’hui, ma confiance a doublé. Je suis à ce niveau où je fais ce que je dois faire et ensuite je remercie les gens et leur dis au revoir. Et pour arriver à cela, il faut une confiance en soi totale.
 
Pourquoi veux-tu restreindre à deux combats le reste de ta carrière?
 
Parce que j’en suis arrivé à ce stade. La lutte est un sport de combat très dur. Les entraînements en permanence finissent par t’user. Imagine qu’en ce mois de ramadan, on s’entraîne toujours. Il faut savoir mettre une fin à cet effort physique permanent et commencer à faire comme vous, mener une activité cérébrale par exemple, faire des affaires. Mine de rien, depuis 1992, cela fait 22 ans. Ça suffit.
 
Mais juste 2 combats, c’est trop peu et il y a certainement des lutteurs que tu sors de ta liste.
 
J’ai dit que citer un nom ne signifie pas vouloir lutter avec celui-là. Le reste est affaire de raison et d’intelligence. Quand je dis que je ne rechigne pas à lutter contre untel, cela ne signifie pas que je veux lutter avec lui, que ce soit clair.
 
On dirait que la situation t’est à nouveau favorable. Tu as battu Bombardier, qui a battu celui qui t’a battu, Balla Gaye 2 en l’occurrence. Retour à la case départ pour tout le monde… 
 
N’eût été la crise, on aurait pu jubiler et se frotter les mains, car les jeux sont à nouveau très ouverts. Plusieurs combinaisons peuvent être faites. Mais malheureusement, l’arène est en crise, tant et si bien que tu peux te retrouver face à quelqu’un contre qui tu ne dois peut-être pas lutter. Comme tu peux ne pas lutter avec quelqu’un que tu devais normalement affronter. Mais dans tout ça, je parle en qualité de lutteur et si on me demandait mon avis pour sortir de la crise, je répondrais qu’à mon prochain combat, je reverrais mon cachet à la baisse. Les lutteurs qui entendront cela et qui sont du même avis que moi, vont certainement l’approuver.
 
Au-delà du problème de baisse de cachets, il y a l’image de la lutte qui s’est beaucoup détériorée.
 
L’image de la lutte s’est trop détériorée et le CNG y a une très grande part de responsabilité.
 
Pourquoi ?
 
Parce que je vois que, parfois, des choses condamnables se passent, mais il faut qu’on les interpelle pour qu’ils se prononcent. Or, ils doivent redoubler d’efforts pour relooker l’image que renvoie l’arène. La lutte sénégalaise devrait être à un niveau tel qu’on puisse l’exporter. Si la boxe thaïe arrive à parcourir le monde, pourquoi pas la lutte sénégalaise ?
 
Qu’est-ce qui constitue le blocage à l’exportation de la lutte ? On ne peut pas par exemple organiser, avec des gris-gris, des bouteilles, des tournois etc. ?
 
Dans la boxe thaïe, tu ne vois pas les combattants porter des genres de gris-gris ? Moi, en tout cas, je ne porte que très peu de gris-gris. Donc c’est bien possible.
 
Mais la lutte demande à être modernisée quand même.
 
Oui. Mais c’est un travail qui incombe au Comité national de gestion de la lutte. Ils doivent s’y atteler, sinon ça n’ira pas.
 
Autre chose, le battage médiatique autour d’un combat qui quelquefois ne dure que quelques secondes, cela ne pose-t-il pas problème aussi ?
 
A un niveau personnel, cela n’est pas un problème. Seulement, on aurait pu revoir l’organisation. Il arrive que dans un combat de boxe cela se termine par un KO dès les premières secondes, alors que ce qu’on y investit triple ou quadruple ce qui est mis dans la lutte. Peut-être qu’on gagnerait à voir comment organiser des tournois, qu’il y ait des combats en deux manches par exemple. Si demain je me lançais dans l’organisation de combats, car je peux devenir promoteur de lutte plus tard, je pourrais par exemple organiser des tournois qui se termineraient par une finale. Je suis en train d’y réfléchir sérieusement. Le Claf en est un bon exemple. 
 
Le Claf qui a produit Balla Gaye 2…
 
Pas seulement lui. C’est par le Claf que sont passés tous ces lutteurs qui sont de grands champions aujourd’hui : les Balla Gaye 2, Modou Lo et autres. Dès que tu sors vainqueur de ces tournois, tu arrives chez les ténors.
 
Ce serait la lutte traditionnelle, donc sans frappe alors ? 
 
Mais non, pas seulement cela. Ce sont des tournois qui servent à sélectionner les meilleurs. Mais il faut que les sponsors soient de la partie. Car mobiliser un certain nombre de lutteurs pour un tournoi tel que je viens de le décrire, cela demande nécessairement de l’argent. Avant, on t’appelait pour te payer 200 mille francs et c’était terminé, mais aujourd’hui, les choses ont bien changé. Le niveau est tel que si avant on pouvait se contenter d’un million, maintenant il faut mettre deux millions parce que le prestige et le niveau de l’arène est à ce niveau. Les participants sont nombreux et donc il faut bien planifier tout cela. 
 
Tu parles de crise, mais par quel bout il faut démarrer les choses pour trouver une solution ? On a l’impression qu’il y a aussi un problème de leadership ?
 
Moi en tout cas, j’en parle. Et je considère aujourd’hui que personne ne doit parler avant moi. Je crois que je suis en train de faire mon devoir. Toute personne qui m’écoute et partage mon point de vue, doit parler. Mais si c’est pour parler d’un cadre indiqué, le CNG est là. Ils sont là pour l’arène. C’est l’Etat qui a installé les membres du CNG. On devrait bien voir comment faire pour mieux aider l’arène. Un jeune qui reste sur place après s’être bien entraîné, ce n’est pas trop sûr de le laisser comme cela sans lui organiser de combat. 
 
Parmi les problèmes, il y a aussi le fait que vous n’avez pas d’arène dédiée à la lutte malgré toutes les promesses ? 
 
Personnellement, j’en ai beaucoup parlé. On a tout dit là-dessus. Avant le site du Technopôle qu’on nous promet aujourd’hui, on nous avait promis celui qui est contigu au stade Léopold Sédar Senghor. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Cette réserve a été donnée aux calots bleus de Wade. J’attends de voir. Je ne dis pas que je n’y crois, j’attends seulement de voir. Maintenant si par malheur aucune solution n’est trouvée, je propose simplement qu’on se rabatte sur Diamniadio. 
 
Ce n’est pas un peu loin ? 
 
Non je pense même que c’est une très bonne zone. L’aéroport Blaise Diagne de Ndiass est en train d’être finalisé. On doit donc valoriser cette zone qui est un carrefour. Il faut y ériger des infrastructures. Pourquoi pas donc une arène ? Diamniadio va être une grande ville, mais pour cela, il faut penser à ce qu’il faut y mettre.  Une arène serait une bonne chose….
 
Apparemment c’est une idée que tu as déjà partagée avec les autorités.
 
Non, c’est une idée  que j’ai comme cela, je n’en avais jamais parlé auparavant. Et puis il y a d’autres avantages. Car quelqu’un qui doit venir de Joal, de Mbour, de Thiès ou de n’importe quelle région pour regarder un combat de Bombardier, Yékini ou Sa Thiès, il n’aura pas de problème de déplacement du fait que Diamniadio est un carrefour. Et même celui qui vient de Dakar, s’il est pressé, il lui suffit de prendre l’autoroute à péage et cela ne lui fera que quelques minutes de route. Finalement, ce serait une solution qui arrangerait tout le monde. Je crois modestement que cela peut être une bonne voie. 
 
On t’a vu te déplacer jusque chez Bécaye Mbaye, t’excuser… Qu’est-ce qui se passe donc ? 
 
Bécaye et moi, avons toujours entretenu de bonnes relations. Mais Satan qui a bien des astuces s’est incrusté entre nos deux personnes alors qu’on s’est toujours appréciés. Mais heureusement, il se trouve que nous avons un grand frère commun, qui est un homme de valeur et qui s’appelle Moussa Gningue de FASS. C’est l’ami de Bécaye et c’est pour moi un grand frère qui m’aime beaucoup même s’il n’est pas de l’écurie de Ndakaaru. Il a vu une situation qui lui a déplu ; lui qui entretient aussi bien de bonnes relations avec moi qu’avec Bécaye.
 
Il nous a appelés chez lui à FASS. Nous y sommes allés tous les deux lundi dernier. Nous avons discuté. Dans notre culture, lorsqu’on veut réconcilier deux personnes, on ne va pas dire que c’est toi qui as tort ou c’est toi qui as raison. On essaie juste d’apaiser tous les cœurs. C’est moi qui ai dit à Bécaye : voilà, celui-là, c’est notre grand frère à tous les deux. J’ai dit que lorsqu’il faut se signaler dans le bien, personne ne sera devant moi. On s’est serré la main entre quatre murs. Mais cela ne s’est pas arrêté là. Comme je suis son petit frère, je me suis déplacé jusque chez lui, à Grand Dakar. 
 
Votre orgueil personnel a dû en prendre un coup ? 
 
‘’Niit dou weesou nit te nit dangay nite. Bou bagne jotee bagnal, waaye bou def loubaax jotee bou la ci keene jiitu’’. Moussa Gningue n’y a aucun intérêt. Et s’il prend cette initiative, c’est juste pour faire du bien. Donc moi, je ne vais pas accepter qu’il s’engage plus que moi… 
 
N’as-tu pas aujourd’hui le sentiment qu’on a peur de toi ? 
 
Qui cela ? Les populations ?
 
Non, les lutteurs. Pourquoi personne ne veut lutter avec toi ? C’est quoi le problème ? 
 
(Rires…) Les gens ont beau dire, mais lutter avec Yakhya, ce n’est pas une chose aisée. Je ne dirais pas qu’ils ont peur car chacun se connaît soi-même. Mais je sais que ce n’est pas facile de lutter avec moi… 
 
On a même l’impression que c’est le même scénario au début des années 2000 lorsque Mouhamed Ndao dit ‘’Tyson’’ régnait en maître dans l’arène…
 
(Rires). J’insiste : ‘’coow li, coow li, bëre avec Yakhya yomboul’’. 
 
On te fuit ? 
 
Une chose est sûre, je ne néglige aucun détail lorsque je dois lutter. Le doigt sur la tempe : ‘’Pousso sax doumako bayi’’ (Je ne néglige aucun détail). Imagine que du dois lutter. Même pour marcher, c’est difficile tant tu traînes des douleurs. Malgré cela, tu acceptes de lutter. On te bat dans ces conditions-là. Tu ne dis rien. Je pense modestement qu’il faut avoir un certain sens du courage. Tu y vas, tu tombes. Pendant 13 mois, tu ne parles pas. Il faut rester digne. 
 
Ce combat t’a bien traumatisé, tu ne peux pas l’oublier…
 
Non je ne suis pas traumatisé. Je vais vous confier un secret : un vrai champion, il doit tomber pour revenir. C’est bon de toujours gagner, d’aligner les victoires. Mais avoir la preuve que tu es un vrai champion, il faut être capable de se relever de la défaite. (le doigt sur la tempe). Etre fort psychologiquement…C’est très difficile de réussir cela. Mais c’est le passage obligé du vrai champion. Vaincre la défaite, revenir au meilleur niveau, sortir du trou. 
 
Comment avez-vous fait pour sortir du trou ? 
 
(RIRES) Mais non, je ne suis pas revenu puisque je n’ai pas encore lutté et gagné à nouveau. 
 
Mais dites-nous : qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un lutteur lorsque vous tombez, c’est le Monde qui s’effondre ? 
 
La lutte est un sport bien spécial. Tu peux être là à aligner des victoires. Vous êtes champion. Un jour, vous tombez et vous êtes largué à la 20ème place du classement. Et que Dieu me pardonne, mais le Sénégal est un pays spécial. Et les Sénégalais ne sont pas toujours gentils.
 
C’est-à-dire ? 
 
Lorsque vous avez des problèmes et que vous êtes dans des difficultés, on vous abandonne. Tu le sauras le jour même où tu tombes. La plupart des gens disparaissent subitement alors que tu as besoin de soutien.
 
C’est une expérience vécue apparemment ? 
 
Oui, je l’ai vécue. 
 
Avec des proches ? 
 
Très proches. Des gens avec qui tu as tout partagé. Je leur donnais même mon argent. Parce que c’était animé – dafa xumboon – tout le monde était là. Ils disparaissent tous parce que cela a changé. Si tu es quelqu’un de digne, cela va te pousser à aller de l’avant. Si tu es un musulman, tu vas aller prier et essayer de reprendre des forces. 
 
Reprendre des forces ? 
 
Le sport est ainsi fait : lorsque vous démarrez le sport, vous êtes prêt à vous surpasser. Vous êtes jeune et donc vous pouvez même vous surpasser. Mais quand tu deviens champion, tu te limites juste à l’essentiel, à ce qui te fait gagner. Mais dès que survient la contre-performance de la défaite, te voilà remotivé pour reprendre l’apprentissage, revenir à tes débuts. Là, tu vas t’enfermer pour travailler dur afin de revenir. Il arrive qu’on te dise que tu ne peux pas voir Yahya, c’est simplement que certaines activités ne font pas bon ménage avec la parlote. Par exemple, le musicien qui veut sortir un album de qualité, il est obligé de se cloîtrer pour créer. Je suis un sportif, je pratique un sport de combat qui est la lutte sénégalaise, très particulière. Il me faut prendre du recul, m’isoler avec une ou deux personnes de mon entourage.
 
Mais le jour où tu as été terrassé par Balla Gaye 2, n’y a-t-il pas eu quelque chose d’essentiel que tu as perdu ?
 
Cela tout le monde le sait. Car Yahya ne supporte pas la défaite, plutôt mourir. Néanmoins, je sais reconnaître ma défaite, parce que c’est le sort de tout grand champion de connaître un jour la défaite.
 
Alors comment analyses-tu la défaite de Balla Gaye 2 face à Bombardier ?
 
Par la logique. Dans un combat, c’est généralement le lutteur le plus prêt qui l’emporte. C’est mon avis. Celui qui est globalement plus prêt, sur tous les plans, l’emporte. Mais pour un jeune, être défait n’est pas grave. Il suffit d’aller se réarmer pour revenir en force. La défaite, ce n’est pas la fin du monde. On m’a défait, je vais me préparer à nouveau et revenir.
 
Selon vous, Balla Gaye 2 est-il psychologiquement assez solide pour revenir ?
 
Oui, il doit pouvoir le faire, parce que c’est un champion, quoi qu’on dise. Il doit pouvoir le faire.
 
Penses-tu qu’un jour vous vous retrouverez dans un combat ?
 
Euh, c’est possible.
 
Ne le souhaites-tu pas, comme il est le seul à t’avoir terrassé ?
 
C’est possible. Il est dans le lot des adversaires dont on avait parlé au départ.
 
Mais dites-nous, comment Yékini passe-t-il ses journées ?
 
On est au mois de ramadan et quand je me réveille, je ne fais rien, sinon je lis le Coran jusqu’à 13h. Je fais mes ablutions, puis je rejoins la salle d’entraînement où j’accomplis la prière de la mi-journée (tisbar). Je m’entraîne de 14h à 16h, puis je reviens à la maison. Là, je prends mon chapelet et si j’ai des courses à faire…
 
Tu fais du sport, tu sues et tu ne manges pas ?
 
On diminue la charge pondérale. Durant le ramadan, je ne fais que de la musculation.
 
Et en dehors du ramadan ?
 
En temps normal, si je n’ai pas de combat en vue, j’ai deux séances d’entraînement par jour. Je peux faire du footing à l’aube. Vers 10 heures, je vais en salle et l’après-midi soit je fais du contact avec les jeunes, soit je vais au footing. Je ne m’arrête jamais, car même ceux qui ne font pas la lutte doivent faire du sport. Mais comme c’est mon métier, je fais le sport d’abord, je me repose ensuite, puis je vais vaquer à d’autres occupations.
 
A part ces activités liées à la lutte, quelle est ta vie sociale ?
 
La lutte est prenante. Tu n’as que 2 jours de repos dans la semaine durant lesquels tu ne peux aller rendre visite à tout le monde. Mais tu t’arranges pour quand même aller dans les cérémonies familiales, rendre visite à quelques parents et amis etc. C’est malheureusement le prix à payer. 
 

 

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