Publié le 7 Mar 2016 - 19:36
YOUSSOU TOURE

 Versatile mitrailleur politique 

 

Dans le landerneau politique sénégalais, ses semblables se comptent sur le bout des doigts. Youssou Touré appartient à la catégorie de ces hommes volubiles qui font feu de tout bois. Ses adversaires sont dans la majorité présidentielle comme dans l’opposition, le champ syndical. Cet ‘’éternel locataire’’, devenu propriétaire d’une maison de près de 100 millions, est aussi un adepte du ‘’wax waxeet’’. Cet habitué des frasques voit, depuis quelque temps, des histoires d’argent au relent de scandale lui coller à la peau. L’une des raisons de sa démission avortée de mardi dernier.

 

En une journée, il a presque ravi la vedette au référendum pourtant très bien présent dans l’actualité sénégalaise. Youssou Touré s’est projeté au devant de la scène, suite à une démission avortée. Dans un premier temps, il a quitté son poste de secrétaire d’Etat à l’alphabétisation et démissionné de l’Apr, en accusant le Président de l’avoir trahi. Puis, il a fait un revirement à 180°. ‘’Je me suis rendu compte que j’ai eu une mauvaise compréhension de la situation. Je me suis complètement fourvoyé’’, a-t-il admis, avant de présenter ses excuses au président de la République.

Immédiatement, les Sénégalais se sont rappelé une autre sortie, faite plus de 4 ans auparavant. Invité de l’émission Sortie de Walf Tv du dimanche 11 septembre 2011, Youssou Touré, emporté par ses sentiments à l’encontre du ministre de l’Education nationale Kalidou Diallo et du régime de Wade, avait fait une annonce des plus surprenantes. "Je démissionne officiellement de mon poste d’instituteur et de directeur d’école", avait-il lancé, demandant à l’Etat de mettre son salaire dans le financement du plan Takkal.

Si pour la démission de mardi dernier, il a reçu la visite de la première dame et de Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire de Bennoo Bokk Yaakaar, en 2011, par contre, il a été pris au mot. Kalidou Diallo, le ministre de tutelle, lui a coupé son salaire pendant plus d’un an. Le malheur ne venant jamais seul, celui qui a eu son premier poste à Goudouri a été par la suite débarqué de la tête du secrétariat général de l’Organisation des instituteurs (OIS) par ses camarades qui l’accusaient de mettre en avant sa casquette politique. Ce départ de la tête de l’OIS a occasionné la perte de la tête de la Coordination des forces sociales (CFS).

C’est pourquoi, il ne pardonnera jamais à Kalidou Diallo la privation à laquelle il l’a soumis. Lorsque l’ancien membre de la Génération du concret a quitté le Pds pour l’Apr, l’instituteur l’a immédiatement rejeté. ‘’Il ne sera jamais mon camarade de parti. C’est mon ennemi. Entre lui et moi, ce sera un mortal kombat’’.

Adversaire comme partisans : tous à la guillotine

Débit mitrailleur, gesticulation à outrance, Youssou Touré fait partie, avec Moustapha Cissé Lo et Moustapha Diakhaté, des loquaces du parti présidentiel, cette catégorie de responsables qui affichent leur position sans ambages, même si ça doit aller à l’encontre de la parole donnée du Président. Criant à tue tête, vociférant à la limite, il met toute son énergie à défendre son mentor Macky Sall et à combattre ses adversaires personnels. Dans la forme, n’attendez surtout pas de lui la mesure, l’élégance ou la courtoisie dans l’adversité. C’est à se demander même s’il ne prend pas ses rivaux comme de réels ennemis. Et pour cela, l’homme à la tête toujours rasée (apparemment pour cacher une calvitie naissante) dit avoir beaucoup souffert de cette intransigeance, combattu à la fois sur le plan politique et syndical.

Visage large sur lequel traîne un nez épaté, ce géant tonitruant au teint clair est de la trempe de Me El hadji Diouf. Il a habitué son public à des sorties fracassantes. Et comme son alter ego, il ne fait pas de différence entre l’opposant et le frère de parti avec qui il a une différence de vision. Même la solidarité gouvernementale ne le lie pas. Il faut peut-être chercher la raison dans une déclaration faite dans une émission de télé à la 2Stv. ‘’Je n’aime pas dire le contraire de ce que je pense’’, affirmait-il.

Youssou Touré peut s’en prendre aujourd’hui à un opposant irréductible tel que le leader de Rewmi, Idrissa Seck, demain, à un ministre-conseiller du Président coupable d’une déclaration jugée déplacée. «Il faut qu’Amsatou Sow Sidibé comprenne que son poids électoral est quasiment nul’’, avait-il répondu, lorsque cette dernière s’était plainte de n’être pas suffisamment consultée par le chef de l’Etat. Le jour d’après, ce fut le tour d’un camarade de parti ou de syndicat, Abdoulaye Daouda Diallo, pour des questions d’intégration dans l’administration, ou encore Serigne Mbaye Thiam, suite à la décision de la Cour suprême au sujet des élèves-maîtres exclus pour fraude ; auparavant, c’était Ameth Souzanne Camara, membre du réseau des enseignants apéristes.

Il solde ses comptes avec 2Stv et boycott GFM

Même les médias qui lui servent de relais pour ses frasques ne sont pas épargnés. Invité sur le plateau de la 2Stv, l’animatrice Ya Awa lui a demandé de dire un dernier mot. Il en a profité pour solder ses comptes avec Pape Alé Niang, lui demandant d’être plus ouvert pour ses émissions politiques. Le Groupe futurs médias (Gfm) n’a également pas été épargné. Sur le plateau de la TFM, il a été malmené par le porte-parole du Pds, Babacar Gaye, lors d’un débat. Il a alors fait porter le chapeau à la direction du groupe. ‘’J’ai été stigmatisé et traîné dans la boue par les responsables du groupe Futurs Medias. Je pense qu’à un niveau plus élevé, il doit y avoir des choses à revoir par rapport au traitement de l’information dans ce groupe de façon générale’’, avait déclaré un Youssou Touré qui s’était d’autant plus senti trahi qu’il affirmait avoir été hospitalisé. Qu’il a fallu lui enlever ses perfusions pour venir répondre à l’invitation.

C’est que l’ancien élève du lycée Charles De Gaulle est un homme spontané et bouillant. Il n’est pas de la classe des politiciens qui ont le culte de la nuance. Il n’est pas non plus parmi les hypocrites qui usent de la langue de bois. Ainsi, il n’hésite pas à rappeler publiquement que, du temps où il était dans l’opposition, son téléphone restait si longtemps sans sonner qu’il lui arrivait de croire qu’il était éteint. Une fois qu’il a eu les moyens de l’Etat, les appels se succèdent, sans trouver répondeur évidemment. ‘’Si on ne se parlait pas avant, on ne se parle pas maintenant’’, se justifie-t-il.

Bombardé président du conseil d’administration de la BHS en octobre, au lendemain de la deuxième alternance, il a été vivement contesté.  La Commission bancaire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), qui a son mot à dire sur ces questions, n’a pas voulu avaliser cette nomination purement politicienne. Ce qui ne l’a pas empêché de prendre fonction. Mais il a été donc contraint de quitter, non sans faire une révélation avant de partir. ‘’Depuis que je suis entré dans cette banque, j’ai été confronté à des problèmes de santé. J’ai été hospitalisé à trois reprises et je n’en ai jamais parlé. Aujourd’hui, alors que je venais juste ici pour récupérer mes affaires, j’ai eu la désagréable surprise de trouver des gris-gris et tout un arsenal mystique sous le fauteuil sur lequel je m’asseyais d’habitude’’.

Locataire en 2013, propriétaire en 2015

L’ex-collégien de Notre-Dame, affecté à l’école Pikine 3b en 1992, est alors devenu ministre-conseiller. Mais avant Pikine, il a fait Tamba et Saloum. Il a fini par devenir le directeur de l’école 3A. Depuis lors, cet homme âgé aujourd’hui de 57 ans fait son chemin sur le champ syndical et politique. Mais depuis qu’il est aux affaires, il traîne un parfum de scandale financier. Dans un premier temps, il a été accusé de détournement de l’argent destiné au réseau des enseignants de l’Apr dont il est le coordonnateur. Puis, c’est sa maison acquise à près de 100 millions qui fait polémique. Son salaire d’instituteur peut-il lui assurer une telle maison, même s’il a fait plus de 30 ans de carrière ? Il y a de quoi se poser une telle question.

Car, pas plus tard qu’en novembre 2013, sur la 2Stv, réagissant à un différend avec ses camarades de l’OIS au sujet de logements, Youssou Touré déclarait ceci : ‘’Dieu merci, je n’ai jamais eu besoin d’un terrain. Je suis un éternel locataire. Je ne me suis jamais battu pour des choses terrestres.’’ Que s’est-il passé alors entre 2013 et 2016 pour que ‘’l’éternel locataire’’ devienne subitement propriétaire, même si on dit qu’il s’agit d’un prêt à la banque. Il a fallu un changement de conviction pour que celui qui ne s’est ‘’jamais battu pour des choses terrestres’’ cherche enfin une demeure.

Et il ne faut surtout pas compter sur lui pour mettre un terme à ses revirements. Car au-delà de conseiller à Macky Sall de faire un mandat de 7 ans, il a pris la décision sur lui de changer d’opinion quand bon lui semble. ‘’J’en ferai encore, parce que je suis un être humain avec mes limites mentales, psychiques et intellectuelles. Jusqu’à ma mort, je continuerai à faire du ‘’wax waxeet’’ parce qu’une parole qui ne change pas ou ne périt pas, c’est du domaine de Dieu’’. Du Youssou tout craché !

BABACAR WILLANE

 

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