Publié le 7 Oct 2015 - 11:28
ZENABA BASSOU NGOLO, VEUVE DU JOURNALISTE SALEH NGABA

« Hissein Habré a fait disparaître mon mari parce qu’il était hadjaraï »

 

La veuve d’un journaliste opposé au régime de Hissein Habré, un journaliste proche de l’ex-Président à l’époque ainsi qu’un ancien maréchal des logis ont été entendus hier, par la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Le trio a pour dénominateurs communs d’être des hadjaraïs et d’avoir été victimes, selon leurs dires, du régime de l’ex-Président tchadien jugé pour crimes internationaux.

 

‘’Si jamais je suis arrêté, on ne se verra plus car Hissein Habré va me tuer.’’ Cette prémonition faite par le journaliste Saleh Ngaba à son épouse Zénaba Bassou Ngolo s’est révélée juste. Puisque, depuis son arrestation survenue en 1987, dans la localité de Mongo, le journaliste indépendant en service à l’Agence de presse tchadienne (APT) et également correspondant de plusieurs organes étrangers, comme RFI et l’AFP (Agence de presse française) n’a plus été revu. 28 ans après, la veuve du journaliste attend toujours d’être édifiée sur la disparition de son époux.

‘’Je veux que Hissein Habré explique pourquoi il a fait disparaître mon mari. Je ne sais pas s’il est mort et enterré, mais je sais qu’il a été arrêté, car je l’ai appris à la radio nationale tchadienne’’, a lancé avec amertume la veuve du journaliste, entendue hier à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Si la conseillère municipale sous la bannière du Mouvement patriotique du salut (MPS) ignore les circonstances de la mort de son mari, la vérité se trouve dans les archives de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).

Selon ces archives, Saleh Ngaba est décédé le 12 février 1988 d’une dysenterie chronique. Sa mort est intervenue sept mois après sa seconde arrestation, puisque le journaliste avait été mis aux arrêts pendant 11 jours en 1982. A sa libération, Saleh Ngaba était parti en France pour y faire une maîtrise en journalisme. Mais deux ans plus tard, le journaliste engagé est revenu au Tchad. ‘’En France, il continuait ses envois en tant que correspondant, mais il a décidé que nous rentrions, car il disait qu’il voulait être sur le terrain’’, a confié la partie civile.

Et il résulte des éléments de la procédure, qu’à son retour au Tchad, le journaliste est devenu plus qu’engagé car il est désigné parmi les membres fondateurs de l’aile politique du Mouvement pour le Salut National du Tchad (MOSANAT). C’est à cause de son activisme que Saleh s’est retrouvé sur la liste des cadres hadjaraïs à abattre. Cependant, lorsqu’il a eu vent de ladite liste, il a quitté N’Djaména pour se réfugier dans la ville de Mongo. Et pour échapper aux hommes de Hissein Habré, il s’était déguisé en paysan, pendant trois mois, avant d’être trahi par un de ses cousins, qui sera à son tour exécuté, après sa traîtrise.

D’après la veuve du journaliste, l’ex-Président tchadien Hissein Habré est le seul responsable de l’arrestation de son époux, puisqu’il était le seul donneur d’ordres dans un Tchad où ‘’tout opposant était considéré comme un ennemi’’. D’après elle, le tort de son époux a été d’appartenir à l’ethnie hadjaraï. Une ethnie devenue opposant au régime de Hissein Habré, suite à la mort de son leader Idriss Miskine, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement. ‘’Mon  mari a été tué, parce qu’il était hadjaraï’’, a clamé l’actuelle secrétaire au ministère des Finances.

Sur sa lancée, elle a réfuté l’argument selon lequel son époux appartenait à la rébellion tchadienne. En fait, à l’époque de la disparition du journaliste, un communiqué du ministère tchadien de la Communication affirmait que Saleh Ngaba a été tué par une patrouille de militaires à Nguéra pour avoir tué deux paysans. Quant à l’Ambassadeur du Tchad aux USA, il alléguait que le journaliste avait été arrêté pour détention d’arme. ’’Mon mari n’était pas un combattant. Il a été arrêté à Mongo et il n’a jamais touché ni détenu d’arme. Sa plume était sa seule arme’’, a soutenu la veuve qui avait été obligée de vendre la bibliothèque et les appareils de photo de son époux pour survivre. Un époux qui, a-t-elle confié, s’évertuait à lui dire : ‘’Il faut que des têtes tombent pour qu’on ait la liberté.’’ Ainsi la tête de Saleh Ngaba est tombée sans voir sa fille née après son décès et qui ne le connaît que sur photo.

‘’Habré a commandité mon élimination mais Dieu a orienté les balles’’

Contrairement à Saleh Ngaba, son frère hadjaraï et confrère, Djédé Kourtou Gamar n’est pas tombé, bien que, le 21 avril 1983, il fut victime d’un attentat. ‘’Alors que je revenais de mon bureau, avec des collègues, des éléments de la BSIR (Brigade spéciale d’intervention rapide) à bord d’un L200 ont déversé une rafale de balles sur moi’’, a raconté l’ancien directeur de cabinet du ministère des Transports tchadien. Pourtant au moment des faits, il était un proche collaborateur du Président Hissein Habré, puisqu’il était directeur de l’Agence tchadienne de presse et directeur de la Presse.  

L’enseignant reconverti journaliste a soutenu à la barre que son seul tort a été d’appartenir à l’ethnie hadjaraï. Alors s’est-il désolé : ‘’Je servais loyalement Habré, avant même qu’il n’accède au pouvoir. J’ai été un combattant armé et j’ai dirigé le journal ‘’Al wataan’’  (un quotidien créé en 1980), pendant que nous étions dans le maquis. Mais à peine 10 mois plus tard, voilà le sort qui m’attendait.’’ Et Djédé porte toujours les stigmates de l’attaque, puisqu’il a été amputé de la jambe droite et porte une prothèse. En plus de boiter, il dit souffrir de diabète et de problèmes de nerf. Lorsqu’il a fini sa déposition, le procureur général Mbacké Fall lui a demandé pourquoi ses bourreaux ont visé ses pieds, s’ils voulaient le tuer. ‘’C’est Dieu qui a orienté les balles, mais ils voulaient me tuer et non m’intimider’’, a répliqué d’un ton catégorique le journaliste.

A la question de Me Yaré Fall, un des conseils des parties civiles de savoir s’il avait porté plainte à l’époque, Djédé a répondu par la négative. ‘’Personne ne pouvait porter plainte contre un proche de Hissein Habé. Son régime était une dictature. Si quelqu’un le faisait, il se retrouvait au trou’’, a-t-il soutenu. Si à l’époque il n’avait pas porté plainte, il n’a pas hésité à le faire devant les CAE. Car, a-t-il expliqué à Me Assane Dioma Ndiaye, ‘’la première raison, je suis handicapé à vie et je demande que justice soit faite.

Je continue de souffrir’’. La seconde raison, a-t-il avancé, ‘’c’est un devoir de mémoire et en ma qualité d’intellectuel, je ne peux pas me taire sur des choses qui se sont passées’’. Ses arguments n’ont pas convaincu la défense dont une seule question taraude l’esprit. Mes Mbaye Sène, Abdou Gningue et Mounir Ballal n’ont pas compris comment le journaliste a pu servir Hissein Habré, jusqu’en 1988, et échapper à la répression des hadjaraïs, si tant est que les cadres de cette ethnie étaient ciblés. ‘’On a parlé d’arrestations systématiques de cadres hadjaraïs, pourquoi vous y avez échappé ?’’ a lancé avec insistance Me Sène.  ‘’C’est parce que Habré ne l’avait pas décidé, mais j’ai fait l’objet de plusieurs tentatives d’arrestation, de 1983 à 1989, et si je ne suis allé en prison, c’est parce qu’après l’attaque, j’étais comme un cadavre’’, a rétorqué Djédé le ‘’miraculé’’, comme l’a surnommé Me Assane Dioma Ndiaye.

Service, miraculé d’une exécution  

D’ailleurs, il n’a pas été le seul miraculé à défiler hier, à la barre de la Chambre. Le maréchal de logis Chef à la retraite, Service Brahim Shéka, l’est également pour avoir survécu à une exécution. L’ancien gendarme dit avoir été arrêté en 1988, car soupçonné de participer à des réunions visant la création d’une rébellion que préparait son ethnie, les hadjaraïs. Après 17 jours de détention, une nuit, il fut conduit au pied d’une montagne avec quatre autres codétenus, menottés et les yeux bandés. Face à leur refus d’avouer leur appartenance à la rébellion, les militaires les ont criblés de balles. ‘’J’ai été touché au pied et j’ai fait le mort.

Après leur départ, j’ai rampé et j’ai rencontré un berger qui m’a conduit auprès du chef de village’’, a narré l’ex-gendarme. Bien qu’ayant reçu les premiers soins, puis conduit à l’hôpital, son cauchemar était loin d’être fini. Car à cause du contexte généralisé de peur qui régnait, ‘’le miraculé’’ fut remis à la DDS. Pendant plusieurs mois, Service a valsé dans les différents lieux de détention de la DDS. Soumis à la torture au quotidien, il n’avait droit qu’à un seul repas, du riz servi dans une petite boîte de tomate vide. ‘’On buvait dans ces pots, mais lorsqu’un chef généreux était de service, on avait droit à un litre d’eau qu’il dissimulait sous sa tenue’’, a narré l’ancien gendarme libéré sans être jugé. 

FATOU SY

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