Publié le 8 Aug 2019 - 23:59
ZULU MBAYE - ARTISTE PEINTRE

‘’Il faut que les artistes arrêtent de croire que c’est l’Etat qui va les nourrir’’

 

Il fait partie des artistes qui ont écrit les lettres d’or de l’histoire de la peinture au Sénégal. L’on ne peut nier que Zulu Mbaye est un peintre talentueux, qui a contribué à développer le secteur des arts plastiques au Sénégal. Dans cet entretien, il donne son avis sur l’organisation du Salon des arts par le ministère de la Culture et de la Communication, entre autres questions.

 

Comment est né votre surnom de ‘’Père du Off’’ ?

Le Sénégal a décidé, en 1996, d’africaniser la Biennale, parce que c’était une biennale ouverte au monde. J’ai trouvé une manière de ghettoïser l’art africain. Nous n’avions aucune structure culturelle, pas de musée, ni de galerie. Nous n’avions pas de marché de l’art. Le fait de nous recroqueviller sur nous-mêmes n’aurait pas été bien. Quand j’ai compris ça, moi un artiste qui était invité à travers le monde, j’ai fait une exposition que j’ai appelée ‘’Amour interdit’’, en 1996. Cette exposition constituait le premier Off de la Biennale et ce sont des journalistes qui m’ont surnommé le ‘’Père du Off’’. Il n’était pas comme les off d’aujourd’hui.

Le mien était un boycott, parce que la Biennale avait 12 nationalités et chez moi, il y en avait 14. D’ailleurs, les ministres venaient, parce que moi, je me suis toujours investi sans l’aide de l’Etat. Je suis dans un métier qui est une vie. C’est un champ de connaissance, de recherche, de réalisation de soi en tant que personne et c’est ma démarche. Ce qui fait que j’adopte certaines attitudes qui peuvent être incomprises. Je suis un politique.

Ce Salon des arts que le ministère de la Culture veut organiser prochainement, par exemple,  n’est pas pour moi, le salon des artistes sénégalais. Il ne faut pas qu’il nous utilise pour leur politique. Quand les artistes ne sont là que pour exposer, ce n’est pas leur salon, c’est le salon du ministère. Le salon des artistes sénégalais, c’est comme celui de 1987 qu’El Hadj Sy a organisé ou celui de 1988 que Zulu Mbaye a organisé. Le ministère nous aide, nous donne des subventions et nous, de notre côté, allons cherchons d’autres subventions ailleurs, parce qu’il faut que les artistes arrêtent de croire que c’est l’Etat qui va les nourrir. Ce n’est pas possible.

Qu’est-ce qui vous frustre dans cette organisation ? Que c’est l’Etat qui organise ou le fait que les artistes ne se prennent pas en charge ?

J’ai du mal à en parler, parce qu’on peut me répondre en me disant : ‘’Mais monsieur, vous dites cela parce que ce n’est pas vous qui organisez.’’ Mais pour moi, le premier tort, aujourd’hui, dans la situation des artistes plasticiens, ce sont les plasticiens eux-mêmes. Ils ne sont pas en mesure de s’organiser, d’être au fait de ce qui se passe et de savoir comment gérer ce métier qu’ils pratiquent. Pour moi, c’est la première erreur. Et elle est celle des artistes.

Si on s’était organisé en association nationale, qu’on revendique notre salon, on l’obtiendra et on demandera après à l’Etat de nous subventionner. Si on l’avait fait, on n’en serait pas là aujourd’hui.

Qu’est-ce qui fait aujourd’hui que les artistes plasticiens, ceux de votre génération, n’arrivent pas à taire leurs divergences et faire cause commune ?

Je sais que tant qu’on n’a pas une association nationale comme dans les autres disciplines artistiques du pays, on ne nous donnera pas une certaine considération. Nous, nous n’avons même pas cette conscience de s’organiser. Un Etat ne reçoit pas des individualités, sauf quand il le veut, comme c’est le cas ici. Ils appellent des gens qui peuvent collaborer même au détriment de leur communauté. Ils veulent contourner l’histoire pour créer d’autres canevas. Ça ne passe pas. Moi, j’ai dit niet. Je ne veux plus diriger quoi que ça soit, même pas le village des arts. Même pour la présidence de l’association du village, cela fait plus de deux ans que je ne fais rien. Cela fait quarante ans que je suis là en train de me battre pour des nullards.

Je ne marche pas dans le faux. Ce que les gens ignorent un peu des plasticiens, c’est qu’ils sont de nature un peu différente par rapport aux acteurs des autres disciplines artistiques. Les artistes plasticiens sont des gens très pudiques. Ils ne sont pas des gens de scène. Ils sont des solitaires. Le cinéma est un art de groupe, le théâtre pareil. Chez nous, chacun se croit supérieur à l’autre. Ce ne sont pas des excuses. Je suis d’avis qu’il ne faut pas se recroqueviller sur soi. Malheureusement, c’est le cas des artistes plasticiens.

Je vais à toutes les rencontres cinématographiques, littéraires, je vois que ce sont des gens organisés et qui essayent de promouvoir leur travail à travers une organisation. C’est très intelligent de leur part. On n’est plus dans les cavernes. S’organiser n’a rien à voir avec ce que nous faisons dans nos ateliers.

Le thème du salon est la place de l’artiste dans le Pse. Est-ce que les artistes du village des arts seraient prêts à accueillir une exposition sur ce thème ?

Mais ils vont l’accepter, parce qu’ils ne savent pas ce qu’on leur dit. Ils ont leur préoccupation politique. Je suis d’accord, je le leur concède. Mais qu’il me laisse ma liberté et ma nature d’artiste. Quand je ne suis pas d’accord, c’est mon rôle de le dire, c’est ma participation à la construction de ce pays. Il faut travailler dans son atelier pour se faire connaitre et non pas en participant dans l’organisation d’un salon, par exemple. Nous sommes des citoyens sénégalais. Nous avons droit à cette cité. Nous ne sommes pas des subordonnés du ministère de la Culture, encore moins de la Direction des arts. Nous sommes leurs collaborateurs. Le ministère de la Culture doit être celui le plus souple du gouvernement, parce que les gens qu’il administre sont des gens particuliers dans la société. 

FATMA MBACKE ET LENA THIOUNE (STAGIAIRES)

 

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