Publié le 18 Jul 2014 - 10:03
ÉDITO DE MAMOUDOU WANE

Le fantôme du Général

 

L’ouvrage du colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, ‘’Pour l’honneur de la Gendarmerie sénégalaise’’, telle cette comète venue d’univers lointains, a imprimé un point d’impact bien visible dans la Gendarmerie, jusque-là épargnée par les scandales récurrents au Sénégal. Mais au lieu de voir, après cette ‘’chute’’, s’il ne reste pas encore de la matière explosive dans l’appareil, si les informations qu’il transporte sont crédibles, on s’intéresse exclusivement au mécanisme qui a propulsé l’engin jusqu’à la planète Terre, aux arrière-pensées, lapsus et non-dits’’ du ‘’maudit cerveau extra-terrestre’’ qui l’a engagé dans l’orbite de Ndakaaru. La bonne vieille méthode de l’Autruche…

L’essentiel des réactions porte en effet sur…l’obligation de réserve et la ‘’raison d’Etat’’. ‘’Le Colonel Ndaw n’aurait pas dû parler’’, ‘’un officier de ce rang ne peut pas se permettre de s’épancher de cette façon-là’’, ‘’ce sont des paroles d’un colonel frustré de n’avoir pas été promu…général’’. Certains poussent la galanterie jusqu’à parler de ‘’paroles d’un amateur de vin rouge’’ etc. On a bien sûr vu quelques personnes citées dans l’ouvrage réagir dont l’ancien Directeur général de la Loterie nationale sénégalaise (Lonase). Il est dans son droit.

Mais personne ne veut mettre le doigt dans la plaie. La plaie ? Ce sont justement les faits soulevés dans l’ouvrage. Sur plus de 400 pages, en deux Tomes, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw pointe, sans utiliser s’il vous plaît le conditionnel, une dizaine de scandales. Ndaw parle avec assurance d’une affaire grave (liée à l’assassinat d’Oumar Lamine Badji), d’un suspect refroidi dans les locaux de la Gendarmerie, alors qu’on a fait passer sa mort pour…un simple accident. Il évoque plusieurs affaires dont un marché d’acquisition de ‘’plus de 350 véhicules de tout gabarit (Berline, 4x4, camionnettes, motos et camions, sans oublier les engins spéciaux)’’ à exécuter  à hauteur de 6 milliards. Il parle de l’argent du Frontex, de magouilles autour du carburant, du marché des tenues, de l’enrichissement (illicite) d’officiers qui montent des business parallèles.

Mieux, des noms sont avancés dont celui du milliardaire Saleh, propriétaire de Magic Land. Les procédures par lesquelles l’argent public est soustrait des caisses du Trésor sont décrites avec une précision chirurgicale. Plus grave, il y a comme un parfum de haute trahison qui se dégage de l’ouvrage lorsque l’auteur évoque la crise en Casamance, un encens bien macabre, dans une ambiance de trafic de toutes sortes et de pacte non écrit entre brigands, comme dans la mafia sicilienne dans les années 40. Les faits sont donc graves. Dans ce contexte, la bonne méthode ne devrait-elle pas consister à inverser la perspective. Plutôt que de s’intéresser aux intentions, motivations et frustrations de l’auteur du brûlot, la question principale ne devrait-elle pas être axée sur le niveau de crédibilité de ce qu’il écrit ?

A supposer que malgré son statut respecté d’ancien numéro deux de la gendarmerie, que le colonel Ndaw ait fait un montage sordide pour couler un adversaire, la conséquence serait doublement terrible pour lui. Car, non seulement le père de famille qu’il est devra affronter la justice mais aussi la redoutable opinion publique sénégalaise. Cette hypothèse qui s’assimile à un suicide, est en vérité très peu crédible. Cela voudrait dire que Ndaw s’est volontairement mis une balle dans la tête et qu’il ne mérite même pas d’être un officier… Supposons- hypothèse crédible – que Ndaw ait raison. Il faudrait alors engager des poursuites contre le Général Abdoulaye Fall qui a occupé les plus hautes fonctions de la Gendarmerie nationale, un corps qui assure aussi la Sécurité du Président, du gouvernement, de l’Assemblée nationale et autres institutions.

Dans tous les cas de figure, il faudra dénouer cet imbroglio. Et sans doute le chemin le plus court est d’engager immédiatement la justice dans la partie. Ce, dans l’intérêt de l’Etat, qui ne se confond pas avec les intérêts particuliers d’un  groupe,  mais qui est l’intérêt souverain du seul Peuple. C’est en principe cela qui fonde notre obéissance à la loi. Il ne saurait y avoir une République à double vitesse avec des citoyens qui sont hors du champ du Droit. Si un groupe d’individus, par la grâce d’une certaine posture de pouvoir et pour des raisons mercantiles, profite de sa situation pour remettre en cause l’intégrité territoriale, il doit alors payer.

La raison d’Etat ne peut pas se confondre avec la raison d’intérêts particuliers bien définis. Qu’on ne nous oppose surtout pas l’obligation de réserve qui ne peut constituer, en la circonstance, un horizon indépassable. On peut toujours convoquer le droit à l’information qui est aussi un droit fondamental, garanti par la Constitution. Ce serait très dangereux de diluer le problème dans des sophismes primaires pour embrouiller les cerveaux des pauvres citoyens. L’essentiel est de tirer cette affaire au clair. L’accessoire, c’est tout le tintamarre créé autour pour un effet de diversion recherché.

Il est dans ce contexte difficile de comprendre ce qui s’apparente à une frilosité d’Etat, d’autant plus que l’actuel régime n’est pas lié aux faits incriminés dans l’ouvrage du colonel Ndaw. A son grand bénéfice, le pouvoir aurait dû engager immédiatement une procédure au niveau judiciaire ; ne serait-ce que pour éviter que des indices ne soient définitivement cachés ou qu’un lobbying ne soit enclenché pour faire taire de potentiels témoins.

Mais au lieu de rassurer les citoyens en faisant preuve de fermeté, on pointe l’œil du pistolet sur l’auteur du brûlot qui, selon les propos du ministre des Forces Armées Augustin Tine, doit savoir à quoi s’attendre. La messe est dite. Pourtant tout le monde sait déjà qu’en tant qu’officier supérieur, Abdoulaye Aziz Ndaw a franchi une ligne rouge. L’intéressé lui-même en est si conscient qu’il a confié ceci à EnQuête : ’’j’ai outrepassé mes droits... C’est normal qu’il y ait des poursuites lorsque vous accusez les gens (…). Mais dénoncer des crimes est autrement plus important’’.

Il faut donc savoir ce que l’on veut. On ne pas désirer une chose et son contraire. La transparence et l’opacité à la fois, le droit et le non-droit. L’ombre et la lumière. L’Emergence et les égouts labyrinthiques. Il urge de faire un choix clair pour éviter que les plus et les moins ne continuent à se percuter tout le temps dans l’espace public, pour finalement donner un effet…Nul. 

MAMOUDOU WANE

 

Section: