Publié le 8 Jun 2015 - 12:20
L’ÉDITO DE MAMOUDOU WANE

Mi-temps !

 

Quatre ans ! Juste quatre petites bougies. Lorsqu’on jette un regard panoramique sur les titres qui font la concurrence au Sénégal, pour utiliser un jargon bien du milieu de la presse, nous pouvons humblement constater que nous ne sommes pas les derniers de la classe. Du moins pas encore ! Point n’est cependant besoin de bomber le torse, le chemin, que nous espérons bien parcourir avec vous, étant long et escarpé, chers lecteurs. 

Etant nés en pleine tempête politique, au moment où beaucoup prédisaient le déluge sur la ‘’terre Sunugaal’’ du fait de réformes constitutionnelles que Me Wade voulait, en 2012, engager au forceps, notre souci est plus orienté sur le pays que sur nos petits nombrils si éphémères de mortels…   Le souci du pays, c’est peut-être cela qui est notre pulsion du moment. Nous espérons bien que cette pulsion va continuer à nous habiter encore.

Le souci du pays ? C’est bien tout un programme. Lorsque nous observons bien la société dans laquelle nous vivons, lorsque nous appliquons la loupe sur ce petit bout de territoire perdu dans ce petit coin de terre d’Afrique occidentale, on ne peut manquer de tressaillir devant l’ampleur des défis qui nous interpellent et devant le chemin si escarpé qui nous attend.

Qu’est-ce qui se donne à voir ? Le culte de l’argent facile, des ordures partout, une économie contrôlée par des étrangers, une presse détraquée, des enfants qui mendient dans la rue à longueur de journée sans que cela ne choque une opinion publique bigarrée, une émergence plutôt ‘’cha-cha’’ et un orgueil disproportionné… Cette dernière denrée ne manque d’ailleurs pas chez nous, elle est aussi familière que les sachets de plastique noirs sur le paysage sahélien de l’axe Dakar-Saint-Louis.

Et pourtant, que de Sénégalais, patriotiques, se sont dépensés dans le passé, se dépensent encore, souvent dans l’anonymat pour gagner un point de croissance pour le pays, un vaccin, un prix international à l’image de ce jeune dont personne ne parle, Mohamed Mbougar Sarr pressenti comme futur nobélisable en littérature ! Le Sénégal qui bouge est souvent le Sénégal qui ne parle pas. Le vrai Sénégal qui bouge n’est pas ce Sénégal bavard, caquetant des revues de presse, dans les ambiances tonitruantes du Grand Théâtre national pour une musique et une chorégraphie qui ne se vendent d’ailleurs…qu’à Dakar.  En vérité, nous sommes en panne, pas encore sèche, mais suffisamment ‘’humide’’ pour que nous continuions à glisser sur la pente raide.

Depuis Diouf avec ses plans d’ajustements qui ont grandement contribué à appauvrir le monde rural, à destructurer à la racine le secteur de l’éducation et à rembourser à la vitesse de la lumière, les dettes contractées par l’Etat du Sénégal aux bailleurs de fonds, on est dans le gouffre.

Me Abdoulaye Wade n’a pas stoppé le mécanisme. Bien au contraire, il l’a destructuré de façon plus profonde encore, la société. Pour utiliser une métaphore médicale, c’est comme si par un processus complexe, on accélérait la dégénérescence des cellules au point de métastaser le cancer. L’image peut être violente, mais objectivement, quel secteur dans ce pays a échappé à la destructuration. En 12 ans, de 2000 à 2012, on a assisté à une agression très sévère des modèles et statuts sociaux. N’importe qui pouvait devenir milliardaire, ministre, directeur général de société etc. L’Etat devient banal alors que l’unité de mesure est le milliard. C’est pourquoi Wally Seck peut parader encore au Grand Théâtre arrosant la place en billets rouges. Vrais ou faux, on ne sait d’ailleurs plus.

Le problème transcende dangereusement la politique. Sans vouloir jouer les Cassandre, est-ce un bon indice pour un pays qui aspire à l’émergence, que Thione Seck pris avec des milliards en fausses coupures, soit le nouveau mur de lamentations ? Au point que Youssou Ndour, Baaba Maal et le pays entier se mettent à caqueter : ‘’Libérez Papa Thione !’’. Quelle hypocrisie alors ! Et si Papa Thione avait réussi à injecter tout cet argent dans l’Economie réelle, quel effet cela aurait-il par exemple sur le chômage des jeunes, l’inflation, l’Education ? Pèse-t-on bien nos mots lorsqu’on prononce : ‘’Bayileenko waay ! (libérez-le !’’). D’où vient ce laxisme ambiant, s’il n’est pas simplement révélateur d’une profonde crise des valeurs dans un pays où on veut une chose et son contraire. La transparence et l’opacité à la fois !

Peut-être un messie ! On avait espéré que Macky Sall, arrivé au pouvoir, allait casser tout ce système, mais les signaux sont encore bien contradictoires. L’impression qui se dégage, c’est que les réflexes grégaires de la politique à l’africaine prennent le pas sur l’instinct révolutionnaire, la nécessité de changer ou de périr.

Pudiquement, cela s’appelle chez nous, ‘’faire de la politique’’.  

 

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