Publié le 14 Feb 2017 - 15:25
POSITIONS DU SENEGAL DANS LES RAPPORTS INTERNATIONAUX

Une appréciation à géométrie variable

 

Les autorités sénégalaises ont une drôle de manière d’accueillir les rapports internationaux. A chaque fois que le Sénégal est bien classé, l’on célèbre la reconnaissance d’une vision suivie de réalisation. Mais si jamais le pays occupe les premières places de la queue, le document est alors contesté, méprisé et voué aux gémonies.

 

Après l’élaboration d’une feuille de route, suivie d’une réunion de partage en début décembre, les différents services de l’Etat se sont retrouvés lundi dernier autour du Premier ministre pour valider les choix. Objectif : figurer dans le top 100 du doing business. Quelques mois auparavant, un rapport avait placé le Sénégal 7ème  pays le plus prospère du continent africain. A peine cette information, qui en réalité date de juin 2016, est-elle mise sur la place publique par l’Agence Ecofin que le ministère de l’Economie et des Finances inonde de communiqués les rédactions. Le but visé ne souffre d’aucune ambigüité : célébrer et porter à l’attention du public ce qui est considéré comme une grande performance économique. Cette réaction n’est pas sans rappeler une autre. En effet, il a suffi que le rapport Doing business 2017 soit publié pour que le Directeur général de l’Apix Mountaga Sy s’invite au journal de 20h de la RTS pour se féliciter de la place du Sénégal dans ce classement ô combien ‘’prestigieux’’ aux yeux des autorités du pays.

Cet accueil réservé à ces deux rapports pose la question de l’attitude des tenants du pouvoir face aux différents classements internationaux dans lesquels figure le Sénégal. En effet, l’on se rappelle encore la réaction du président de la République suite à la publication du rapport Doing business 2014. Macky Sall avait failli s’étrangler du fait que la Banque mondiale avait classé le Sénégal à la 178ème place sur 185 pays. ‘’J’ai eu beaucoup de regrets lorsque j’ai lu le dernier rapport Doing Business de la Banque mondiale où véritablement, ce qui a été noté est aux antipodes de l’ambition que j’ai pour ce pays’’, a d’emblée lancé le chef de l’Etat.

Dans sa stratégie de contestation, Macky Sall fustige le fait que, selon lui, ‘’les dernières mesures d’amélioration du climat des affaires durant le troisième trimestre de l’année 2013 n’aient pas été prises en compte’’. Dans cette amertume, le président Sall est allé chercher consolation auprès d’autres institutions, notamment la Fondation Mo Ibrahim, le Forum de Davos, The Finacial Times, ainsi que Standard and Poors qui, rappelle-t-il, ont tous accordé une bonne note au Sénégal.

‘’Le Doing Business ne peut plus être un référentiel…’’

Si le chef de l’Etat a contesté le rapport, son ministre de l’Investissement de l’époque lui est allé plus loin. Diène Farba Sarr avait même émis des réserves sur la crédibilité de la Banque mondiale sur cette question. ‘’Je doute de la sincérité des résultats proclamés dans le cadre du Doing Business 2014. Avec le classement du Sénégal, je subodore que le Doing Business ne peut plus être un référentiel pour les investisseurs et un outil de travail pour les administrations. De plus, les indicateurs retenus ne suffisent plus comme étant des éléments déterminants pour attirer les investisseurs’’, disait-il à nos confrères de l’APS.  

Pourtant, en Conseil des ministres, suivant la publication, Macky Sall, une fois l’émotion dissipée, à décidé de se soumettre au verdict de la Société financière internationale (Sfi), la filière de la Bm qui fait les enquêtes. Il invite alors le gouvernement à faire ‘’une lecture réaliste et dynamique’’ du rapport. Il recommande à ses hommes de ‘’faire plus d’efforts dans l’amélioration de l’environnement des affaires ‘’par l’accélération des réformes majeures attendues’’.

Ainsi, lorsque l’année suivante (2015), le Sénégal fait un bond important, quittant les bas-fonds pour se hisser au sommet, la réaction fut tout autre. Macky Sall est cette fois-ci totalement en phase avec la Banque mondiale. Il se veut même plus ambitieux. ‘’Ce matin, j'ai dit au Premier ministre que c'est bien mais il faut 10 ou 20 points d'ici l'année prochaine. Le Sénégal est placé parmi les 10 pays les plus réformateurs’’, se félicite-t-il. Se souvenant de ses propos tenus il y a 12 mois auparavant, celui qui a en charge l’orientation de la politique économique du Sénégal tente de se justifier. ‘’L'an dernier (2014), je n'ai pas caché ma surprise, parce que nous étions derrière, à la 178ème  place. Nous n'avions dépassé que 4 pays’’, se souvient-il avant de se réjouir des progrès réalisés.

‘’Le Sénégal n’a pas à rougir’’

Le concert d’autoglorification venait d’être ouvert. Ce rapport à la ‘’sincérité douteuse’’ et aux ‘’indicateurs insuffisants’’ il y a seulement 12 mois devient subitement plus que crédible. Des réactions fusent de partout, l’Apix en premier. Dans un communiqué, l’équipe dirigée par Mountaga Sy justifie la place du Sénégal par, d’une part ‘’des réformes effectuées dans le domaine du raccordement de l’électricité (gain de 10 places), du transfert de propriété (gain de 18 places) et d’autre part, du maintien de sa performance parmi les cent (100) premiers dans le domaine de la création d’entreprises (gain de 6 places), et de la fermeture des entreprises (gain de 8 places)’’. Le ministre de l’Economie et des Finances Amadou Ba renchérit : ‘’Nous considérons ce classement comme un encouragement à rester sur la bonne voie tracée par le Plan Sénégal émergent (Pse), en matière d’amélioration de l’environnement des affaires.’’

Une réaction de l’argentier de l’Etat tout à fait différente de celle qu’il a eue à la suite d’un autre rapport. Cette fois-ci, il s’agit du FMI, ‘’le frère’’ de la Banque mondiale qui classe le Sénégal parmi les 25 pays les  plus pauvres au monde. C’est encore le deuil au sein du gouvernement. Amadou Ba n’hésite pas à qualifier l’information de fausse. ‘’Le dernier cadrage macroéconomique arrêté avec le FMI table sur un PIB de 8 150 milliards F Cfa en 2015 contre 7 741 milliards de F Cfa en 2014, soit un taux de croissance en termes nominaux de 5,3%’’, réplique-t-il. Son patron, le Premier ministre, n’hésite pas à marcher sur les traces du locataire du palais pour égratigner l’Institution de Bretton woods. “Le Sénégal n’a pas à rougir. Il faut être fier de nos performances et mettre le pays sur la voie de l’émergence et du progrès. Notre ambition est d’être dans le top 10 des économies africaines’’, lance Mahammed Dionne.

La version de Seydou Guèye

Le ministre qui lui est délégué est dans le même registre. Seydou Guèye, par ailleurs porte-parole du gouvernement, dans un communiqué, propose une autre lecture, après avoir longuement insisté sur le taux de croissance et autre déficit. Selon ce responsable de l’APR, l’appréciation du dollar de 19,2% par rapport à l’euro (de 494 F CFA à 588 F CFA) entre 2014 et 2015 fait que le PIB nominal du Sénégal exprimé dans la monnaie américaine baisse, même s’il a augmenté en F Cfa. ‘’Il faut noter que le PIB par tête est passé de 553 849 F CFA en 2014 à 567 758 F CFA en 2015, soit une progression de 2,5%. Dès lors, la vraie appréciation des performances de notre économie doit s’appuyer sur des données en monnaie locale’’, préconise-t-il. Et lorsqu’en 2015, le Sénégal passe de la 9ème à la 10ème place du rapport Mo Ibrahim, le Directeur de la promotion de la bonne gouvernance Ibrahima Dème, interrogé par Radio Sénégal, préfère retenir les 3 points gagnés par le pays plutôt que le recul sur le classement. Ainsi sont donc accueillis les rapports au Sénégal. Ils sont célébrés quand ils sont jugés positifs. Par contre, ils sont ignorés, méprisés voire brocardés s’ils ne vont pas dans le sens de la propagande politique. 

BABACAR WILLANE

 

Section: