Publié le 27 Sep 2017 - 04:54
DIEGANE SENE (PORTE-PAROLE DE L’URD)

‘’Le meilleur hommage qu’on puisse rendre à Djibo Kâ…’’

 

C’est un Diégane Sène visiblement très affecté par la mort de l’ex-secrétaire général de l’Union pour le renouveau démocratique, Djibo Leyti Ka, que ‘’EnQuête’’ a rencontré avant-hier à sa maison sise à l’Université Cheikh Anta Diop. Du Mouvement national des jeunesses socialistes au comité de rédaction du journal ‘’Jaxan Faxé’’, en passant par la naissance de l’URD, il revisite les moments passés avec son leader et ami. Dans cet entretien, Diégane Sène aborde également l’avenir de l’URD sans son fondateur et souligne que le meilleur hommage que son parti puisse aujourd’hui rendre à son défunt secrétaire général, c’est de lui survivre.

 

Comment vivez-vous la disparition de Djibo Leyti Kâ ?

C’est une disparition brutale. C’est toujours très difficile à vivre. C’est vrai qu’il était souffrant il y a une dizaine d’années, mais il s’en était bien remis. Le reste, pour moi, c’était la fatigue physique. Parce que Djibo, c’est quelqu’un qui était toujours sur la brèche. Un gros travailleur comme on en voit rarement de nos jours, travailleur intellectuel et travailleur physique. Il ne se passait pas de week-end, en tout cas pas deux mois, sans qu’il n’aille dans son Djolof, dans le cadre de tournées politiques, pour tenir des réunions avec les responsables de son parti, avec les populations. Donc, il avait une activité très intense qui faisait que, naturellement, il était fatigué physiquement comme tous ceux qui s’adonnent à ce genre de tâche. Mais de là à le voir partir comme ça, il y avait, dans nos esprits, un pas qu’il était difficile de franchir, surtout quand on sait que la maladie et la mort ne sont pas forcément intimement liées. Cela explique donc le fait que l’annonce de sa disparition était un choc terrible. Un choc qui a surtout eu cette particularité d’être vécu tout au long de ces jours qui sont passés. Ça revenait en permanence, le film de la vie, de ce qui est vécu avec lui. Tout cela ça revenait.

Comment a-t-il vécu ses derniers instants ?

Là, je ne sais pas vraiment. Je ne saurais le dire. Parce que, pour tout vous dire, je ne savais même pas qu’il était hospitalisé. La seule chose que je sais, c’est que nous avons communiqué juste une semaine avant sa mort. C’est lui qui m’a appelé, certainement de son lit d’hôpital ou de clinique. C’était le jour de la Tabaski. Je l’ai appelé la veille, certainement il était tard. Il était déjà couché et je n’ai pas pu le joindre. Et le lendemain, voyant que je l’avais appelé avec insistance, il m’a rappelé. Entretien très court, 30 secondes à peine, mais où il a transmis un message qui, de mon point de vue, résume toute sa vie. Ce message était, d’abord le jour où a lieu notre conversation, c’était un jour de pardon et lui, il demandait pardon. Ça, c’est l’humilité. C’est un croyant et c’est surtout l’homme qui est conscient de ce que notre passage sur terre est jalonné d’un certain nombre de ruptures au cours desquelles on a forcément peut-être à demander à se faire pardonner sans forcément avoir commis une faute. C’est sûr que ce pardon que Djibo demandait précisément, il était presque rituel. Mais je ne me souviens pas qu’il ait fait vraiment de mal à quiconque, en tout cas tout le temps que je l’ai connu et que j’ai vécu avec lui.

Alors, le second message, c’est son parti. Aussi curieux que cela puisse paraître, et le sentant très essoufflé, donc imaginant qu’il n’allait pas très bien, mais toujours pour moi dans le cadre de cette fatigue dont je parlais tout à l’heure, cette fatigue physique liée au rythme de son travail, une fatigue passagère, me croyant toujours dans cette situation, je me disais qu’il ne fallait pas que l’entrevue soit longue. Mais il a eu justement le temps de parler de son parti, en me demandant d’abord les nouvelles du parti, ensuite en m’exhortant à faire en sorte que ce parti continue son développement, continue de vivre et continue d’exister sur l’échiquier politique. C’est quelqu’un qui avait une hantise, il m’a parlé depuis plus de 10 ans maintenant, de ce que serait l’URD quand lui-même ne serait plus là. Ça le hantait.

Donc vous voyez le personnage, un croyant et un compagnon très attentionné, fidèle en amitié et qui est conscient que tout ce qui a été construit par lui et autour de lui devait lui survivre.

Pensez-vous qu’après sa disparition, l’URD lui survive en tant que force politique ?

Je ne sais pas. Seul l’avenir nous le dira. Que l’URD lui survive comme parti de masse, nous verrons. Mais qu’elle lui survive comme idée, ça c’est évident. Tant qu’il existera sur terre un membre fondateur du parti, l’idée de l’URD existera toujours. Ça, c’est évident.

Djibo Leyti Ka, c’est quelqu’un qui a marqué l’histoire politique du Sénégal. Si vous devez résumer sa carrière, qu’allez-vous nous dire ?

Sa carrière, tout le monde s’accorde à dire qu’elle est bien remplie. Elle a été bien remplie, parce que lui-même a cherché qu’elle le soit. Djibo, c’est d’abord un homme d’engagement. S’il s’engage, il va jusqu’au bout. Un tel personnage, évidemment, ne peut que bien remplir ses différents passages de sa vie. C’est un homme qui est méconnu de beaucoup de Sénégalais. Mais comme c’est toujours le cas en pareille situation, sa disparition fait ressurgir sa véritable personnalité et il n’est compris qu’après avoir cessé d’être là. C’est le cas de Djibo Ka. Et cette compréhension permet, aujourd’hui, de nous mettre d’accord sur le constat unanime qui a été dressé résumant ses qualités et que nous, on avait perçu très tôt et qui a fait qu’on a cheminé avec lui, à ses côtés. Il a fait de son passage sur terre un sacerdoce permanent et aussi des objectifs qu’il n’a cessé d’atteindre au fur à mesure.

Au plan politique, sa carrière ministérielle est d’une richesse sans précédent, d’abord par sa durée. Jamais, dans l’histoire du Sénégal, on a vu un ministre d’une telle longévité. C’est vrai, c’est une longévité entrecoupée, mais de quelques années seulement, et qui forme deux blocs très homogènes, entre 1981 et 1995, 2004 et 2012. Ça vous fait quand même plus de 22 ans. Aucun, dans l’histoire du Sénégal, n’a eu une telle longévité ministérielle.

Les réalisations ensuite. Partout où il est passé, il a posé des actes qui ont abouti à un certain nombre de choses qu’il a faites, qui sont autant de cathédrales qu’il nous laisse. C’est le cas à l’Information, son premier poste. C’est le cas partout, pour ne pas citer les nombreux ministères dont il a eu à diriger. Ce sont donc des résultats qui sont là, qui nous interpellent nous et tous ceux qui revendiquent son héritage, et qui interpellent aussi de façon générale la classe politique sénégalaise.

Vous êtes l’un de ses plus fidèles compagnons. A quand remonte votre compagnonnage ?

De très loin et de très longtemps. On s’est connu alors que j’étais secrétaire général de la cellule des élèves du Parti socialiste du lycée Malick Sy de Thiès. Vous voyez que ça ne date pas d’hier. Et lui secrétaire du Bureau politique chargé de la jeunesse du PS et directeur de cabinet de Senghor. Ça, c’est la dernière année où Senghor est président de la République et s’apprêtait à quitter le pouvoir. Depuis lors, nous ne nous sommes plus quittés. Parce que j’ai très tôt vu en lui les qualités que je cherchais chez un leader politique. Djibo est humble, contrairement à l’idée que beaucoup ont voulu donner de lui. C’est quelqu’un de très attentionné, de très respectueux, de fidèle en amitié. Il a beaucoup de qualités, en plus d’être ce travailleur dont les traits n’ont cessé d’être brossés depuis maintenant une dizaine d’années par le commun des Sénégalais.

Quels sont les moments forts qui ont jalonné ce compagnonnage ?       

Ils sont nombreux. Mais je n’oublierai jamais les quelques réunions qu’il présidait de notre comité de rédaction de ‘’Jaxan Faxé’’, le journal des jeunesses socialistes. Il nous est arrivé quelques fois, alors que je n’étais pas encore membre à part entière de ce comité de rédaction, d’assister à ces réunions auxquelles nous conviait très souvent Max Magamou Mbaye qui était à l’époque l’un des principaux responsables. Il s’agissait de réunions au cours desquelles, après avoir fait la critique de notre action passée, on se projetait vers l’avenir pour voir ce qu’on va devoir faire comme modification substantielle dans le journal, quelles orientations nouvelles lui imprimer et comment faire en sorte qu’il soit plus attractif, ce qui est rarement le cas des journaux des partis politiques. Ces réunions m’ont révélé un homme politique très attentif à ce que font ses collaborateurs comme d’ailleurs les audiences que j’ai eues ultérieurement avec lui en tant que secrétaire général du Mouvement des étudiants socialistes et lui ministre de l’Information, où on apprend toujours beaucoup en termes de comportement. Il brasse des idées qui sont toutes ou presque suivies d’actions.

Djibo, ce n’est pas un parleur, contrairement à ce que les gens pensent. Il agit plus qu’il ne parle. Et ça, pour le voir aujourd’hui parmi nos hommes politiques, ce n’est pas évident. Et tout le monde pense à 1998 avec le courant du Renouveau démocratique. Mais avant 1998, il y a bien eu 1996 et 1997. Ce sont des moments extraordinaires de notre compagnonnage où il fallait, après avoir créé un courant du Renouveau démocratique, le faire vivre, l’amplifier et le rendre attractif. Et là, il fallait beaucoup de communications qui étaient principalement pilotées par trois personnes : feu Modou Amar, Tidiane Daly Ndiaye et moi-même. Cette communication nous a paru quelque chose de très important et qui se faisait sous la complicité amicale du groupe Sud Communication qui nous a, à l’époque, largement ouvert les colonnes du journal ‘’Sud Quotidien’’. Tout cela a abouti à notre percée de 1998 qui a été certainement le premier pas vers l’alternance politique au Sénégal. Sans 1998, Djibo Kâ et l’URD, il n’y aurait certainement pas le 19 mars 2000. Ça, c’est au moins quelque chose que tous les analystes admettent aujourd’hui comme relevant d’une banale évidence.

Djibo Leyti Ka laisse derrière lui certes une famille biologique, mais aussi une famille politique orpheline. Selon vous, comment va s’organiser sa succession au sein de l’URD ?

Il faut dire que nous n’y pensons pas encore. On n’a pas encore fini notre deuil. Nous sommes toujours dans une période de deuil. C’est ce qui explique d’ailleurs que la parole est très rare chez nous et je crois que tout le monde le comprendra. Depuis son décès, malgré les sollicitations, il y en a eu tellement venant presque de tous les journaux, vous êtes le premier auquel je m’adresse, dix jours après la disparition. Parce qu’il fallait au moins laisser passer le huitième jour qui est une période de deuil intégral qu’on ne peut pas associer avec autre chose que la pensée pieuse et la prière. C’est dire que nous ne savons pas encore ce qu’il conviendra de faire immédiatement et quand le parti va reprendre ses activités. Mais ce qui est sûr, c’est que passé une certaine période qui, certainement, dépassera ou atteindra 40 jours, nous allons nous réunir pour essayer de voir comment reprendre les choses sans Djibo. Ça va être très difficile, c’est vrai, mais on va essayer d’y arriver.

Que prévoient les textes de votre parti en cas de disparition de son leader ?

Les textes de l’URD prévoient, comme tous les partis d’ailleurs, que si le leader n’est plus là, il faut un congrès, car seule cette instance peut élire une direction. Mais puisqu’il est rare de pouvoir convoquer tout de suite un congrès, il y a la pratique qui s’impose comme une jurisprudence au niveau de tous les partis politiques. C’est qu’il y a toujours un adjoint ou un adjoint de l’adjoint, etc., jusqu’au dernier des membres de la direction du parti. Donc, ce qui est prévu naturellement, il y aura un secrétaire général par intérim.

Le secrétaire général intérimaire sera-t-il l’adjoint immédiat du secrétaire général ?

Pas forcément. Si ça l’intéresse, oui. Parce qu’il faut d’abord que ça l’intéresse lui. Deuxièmement, il faut que les gens, dans le parti, acceptent. C’est une jurisprudence qui peut être remise en cause. Parce que la volonté majoritaire s’impose toujours. Si la direction du parti l’accepte, ça va passer comme lettre à la poste. Donc, il y a deux acceptations : une primaire, le principal intéressé, et une autre qui vient de la direction du parti qui entérine son acceptation. Dans ce cas, il y a un secrétaire général intérimaire qui se trouve être le second du secrétaire général du parti.

C’est qui ?

Peu importe. L’essentiel, c’est qu’il existe et vous verrez, le moment venu, peut-être dans quelques semaines, quand nous aurons fini notre période de deuil.

En tant que fidèle compagnon de Djibo Ka, est ce que vous êtes intéressé par le poste de secrétaire général ?

Je vois la question autrement. Ce qui m’intéresse véritablement, c’est la préservation de l’héritage politique de Djibo Leyti Ka. Ça va au-delà des personnes, a fortiori de ma modeste personne qui ne compte pas devant cette exigence politique. Pour tout membre de l’URD, il faudra œuvrer à la préservation de cet héritage. Parce qu’il était obsédé à ce que deviendrait le parti sans lui. Ça l’a beaucoup habité tout au long de ces 10 dernières années. Le meilleur hommage que nous puissions lui rendre, après avoir prié pour lui, c’est de faire en sorte que ce parti, non seulement lui survive, mais aussi et surtout, survive dans d’excellentes conditions pour qu’il redevienne le grand parti qu’il a été. Je crois que l’espoir est permis quand on se réfère à la vague de sympathies qui nous viennent de partout dans le pays et dans le monde. Figurez-vous, de Russie, nous avons reçu tellement d’appels de condoléances ; cela m’a surpris. Je ne savais pas qu’il y avait autant de Sénégalais en Russie. Ailleurs en Asie, en Amérique, en Europe, etc., je sais qu’il y a beaucoup de Sénégalais dans ces régions. Mais venant de la Russie, ça m’a quand même beaucoup surpris.

L’URD est un allié du régime, dans le cadre de BBY. Comptez-vous, à ce niveau, marquer une rupture ?

Que le parti quitte BBY, je ne militerai jamais pour ça. Je militerai plutôt pour le contraire. Mais puisque c’est le parti qui décide, il décidera le moment venu.

Avec la disparition de Djibo Ka, que va devenir l’URD dans son fief à Linguère ?

L’URD, la force de sa base politique, c’était surtout Linguère. Mais pas exclusivement. Ça, c’est vrai, ce n’est pas une idée reçue. Parce que si on fait le détail de l’action et surtout des retombées de l’action politique de l’URD au plan électoral, on voit que Linguère, c’est le département que nous avons toujours gagné, au moins jusqu’en 2012, souvent seul. C’est le cas en 1998, en 2001 et les élections locales qui sont intervenues depuis. A partir de 2012, la donne a changé, parce que c’est un nouvel arrivé qui a gagné, mais pas un ancien concurrent. La situation s’est alors inversée et l’URD est, malgré tout, restée très forte à Linguère. Ces temps derniers, juste avant notre entrée dans la mouvance présidentielle, on sentait qu’il y avait un début de reprise au niveau de ce département, dans le cadre de l’URD. Notre entrée dans BBY a simplifié les choses pour la majorité comme pour nous-mêmes. Mais on oublie de dire que l’URD est un parti national qu’il ne faudrait pas réduire à Linguère. Il suffit simplement de voir les résultats des élections depuis 1998 et vous verrez que Linguère ne fait même pas le tiers de l’électorat de l’URD. C’est une base inexpugnable du parti, mais ce n’est encore qu’une base parmi d’autres. Mais la base de l’URD, de Djibo Ka, c’était une base nationale.

Que va devenir l’URD dans ces conditions ?

L’URD va rester un parti très présent à Linguère. Je suis souvent prudent dans mes déclarations, mais vous pouvez noter que l’URD restera toujours un parti très présent à Linguère. Ça, j’en suis sûr et certain. Parce que je connais Linguère avec Djibo Ka, je sais très bien que son parti a une forte implantation locale et les camarades, sur place, nous ont rassurés de leur engagement à continuer à massifier le parti.

On va parler un peu de l’actualité politique avec le récent remaniement ministériel. Comment voyez-vous les choix opérés par le président de la République ?

Il est très difficile de commenter un remaniement ministériel. Parce qu’il est évident que ce qui motive le président de la République, il est le seul à le savoir. Donc, à quoi sert de disserter sur le statut des anges ? Ce qui fait que je n’ai pas voulu m’étendre là-dessus. Mais on peut faire confiance au président de la République qui, je le disais tantôt, a des informations que nous n’avons pas.  

PAR ASSANE MBAYE

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