Publié le 5 Dec 2017 - 22:59
VOTE DU BUDGET DU MINISTERE DE L’INTERIEUR

Un Mortal Kombat entre opposition et pouvoir

 

C’est une première. Depuis sa nomination le 7 septembre 2017, l’opposition fuyait tout contact formel avec le ministre de l’Intérieur. Refusant même de participer au dialogue. Hier à l’hémicycle, le contact a été inévitable. Opposition et pouvoir se sont livrés à un choc frontal. En attendant des concertations plus larges.

 

Dès qu’il s’agit d’élection, de politique, les passions se déchainent. Les esprits s’échauffent. Hier encore à l’hémicycle, cette tradition a été respectée. Des députés qui tirent à boulets rouges sur l’Administration. D’autres qui s’érigent en boucliers de cette dernière. Des députés qui fustigent une fraude ‘’massive et délibérée’’ aux dernières législatives. D’autres qui défendent véhémentement le contraire. Les mots ont parfois volé tout bas. Tantôt accompagnés d’applaudissements, tantôt de chahuts.

C’est Mamadou Diop Decroix qui lance, le premier, les hostilités. Il dit haut et fort : ‘’Avant, le pouvoir s’acquérait par les armes. Cette période est révolue depuis belle lurette. De nos jours, il s’obtient, de manière civilisée, par le vote. Au Sénégal, de 1992 à 2014, il en a été ainsi. Ce n’est plus le cas depuis le référendum de 2016. Il faut éviter d’installer ce pays dans une situation de violence. Ce n’est dans l’intérêt de personne. Il faut mettre en place les conditions d’une élection démocratique et transparente.’’

D’autres parlementaires de la Coalition gagnante Wattu Senegaal ont été encore plus durs, plus va-t-en-guerre. C’est le cas de l’élue d’Italie Mame Diara Fam, qui est catégorique. Interpellant directement le ministre, elle dit : ‘’Vous êtes aveuglément partisan. Vous ne méritez pas la confiance de la classe politique. Vous êtes en train de mettre en place une stratégie pour confisquer le suffrage des Sénégalais. Nous n’allons pas vous laisser faire. Et que vous sachiez qu’il n’y aura jamais d’élection dans ce pays sans notre candidat Karim Wade.’’

A sa suite, son frère Toussaint Manga enfile le boubou de la contestation. Le jeune libéral de poser une kyrielle d’interrogations avec la même hargne. ‘’Pourquoi, demande-t-il, vous obstinez-vous à refuser d’appliquer la loi qui prévoit le statut de l’opposition ? Si vous, en tant que ministre de l’Intérieur, vous refusez de respecter la loi, quelle obligation a le citoyen de la respecter ?’’. Sur un autre registre, le secrétaire général de l’Ujtl peste : ‘’Dans ces conditions, on ne peut vous faire confiance. Nous vous récusons, demandons une personnalité qui fait l’unanimité de tous les acteurs. Cela ne sert à rien de remplacer Pierre par Paul. Ce que vous faites, c’est du cinéma. Ce n’est pas un dialogue. Dans ce pays, il ne peut y avoir de dialogue crédible sans Karim Wade et Khalifa Sall.’’

Cheikh Bamba Dièye : ‘’Il faut arrêter la cabale et la diabolisation des opposants…’’

Pour le député Bamba Dièye, membre de la Coalition Mankoo Taxawu Senegaal, ‘’le dialogue et le respect sont indispensables’’ pour des élections transparentes. ‘’Si le gouvernement ne change pas d’attitude, le dialogue restera une chimère. Il faut de l’équité et de l’égalité entre les acteurs. Notre vieille démocratie est devenue une machine à broyer des opposants et c’est inacceptable. Il faut arrêter la cabale et la diabolisation des opposants. Montrez-nous que vous êtes sincères et nous vous accorderons du crédit’’, pestifère l’ancien maire de Saint-Louis.

C’est dans cette ambiance électrique que le budget du ministère de l’Intérieur a été adopté. Les députés de  Benno Bokk Yaakaar n’ont pas été en reste. Ayant une majorité écrasante, leurs réponses ont été parfois cinglantes. Comme à l’accoutumée, ils n’ont pas manqué de mettre l’ancien régime au banc des accusés. Citant, pêle-mêle, leurs carences et leurs nombreuses casseroles. Dans ce concours, c’est le député ressortissant de Louga, Mberry Sylla, qui a remporté la palme, en rappelant de manière très violente les morts de Balla Gaye, Mamadou Diop… de même que la profanation de la Zawiya El Hadji Malick Sy en 2012 et en les imputant à l’ancien président Abdoulaye Wade et à son ministre de l’Intérieur d’alors. (Ousmane Ngom, aujourd’hui souteneur de Macky Sall Ndlr).

Dans la même veine, s’inscrivent d’autres attaques qui ont fusé de partout. Aymérou Gningue, Président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, a été beaucoup plus responsable. Appelant pouvoir et opposition à dépasser les clivages, afin de mettre en place des règles consensuelles. ‘’Président, dit-il en s’adressant à Madické Niang, venez dialoguer pour qu’on puisse trouver ensemble des solutions. Si vous n’y allez pas, le processus sera conduit à terme sans vous. Dans une République, il y a des moments pour faire de la politique et des moments pour travailler. On ne peut pas être dans une campagne électorale permanente’’.

Quant à Me Madické Niang, il a estimé que le Pds et ses alliés ont toujours été favorables au dialogue. ‘’Mais nous ne sommes pas vos marionnettes. Soyez sincères en acceptant que vous avez failli et votre main tendue sera acceptée. Vous ne pouvez pas vous asseoir sur les bulletins et demander de venir dialoguer. Ce n’est pas responsable’’, a-t-il affirmé.

ALY NGOUILLE NDIAYE SUR LES LEGISLATIVES

‘’On sait tous qu’on peut mieux faire’’

Répondant aux différentes interpellations, le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, est revenu sur l’argent consacré à la fabrication des cartes d’identité biométriques Cedeao. Selon lui, le Sénégal, jusque-là, n’a pas dépensé plus de 20 milliards. Par rapport aux interpellations des députés libéraux de Touba qui défendent que le scrutin y a été saboté, car l’électorat étant avec le ‘’talibé’’ Abdoulaye Wade, il rétorque : ‘’Nous sommes dans une République. Vous n’avez pas plus de droits que moi à Touba, car j’ai deux maisons dans cette ville. Arrêtez de faire des amalgames. Touba a eu à voter pour un catholique et pour Abdou Diouf. Il faut arrêter de faire de la confusion.’’

Très en verve, le ministre de l’Intérieur a également porté la réplique au député Mame Diara Fam qui exige la participation de Karim Wade. ‘’Nous allons tenir les élections, qu’il pleuve ou qu’il neige, avec ceux qui seront présents. Ceux qui ne seront pas là, cela ne nous empêchera pas de voter’’, répond-il sèchement.

 Quant au statut du chef de l’opposition, il a évoqué un problème de texte. Selon lui, les textes ne sont pas précis. ‘’Le dialogue politique est une occasion pour fixer les modalités de désignation du chef de l’opposition. Est-ce le parti le plus représentatif en termes de député ? Est-ce la coalition qui vient en deuxième position ?… Tout cela est à préciser’’, suggère-t-il. Il a réitéré son appel au dialogue en priant l’opposition. ‘’Par rapport, aux législatives, on reconnait tous qu’il y a eu des difficultés. On peut avoir mieux que ce qui a été fait. D’où le sens du dialogue. Je vous renouvelle mon appel à la concertation. Je vous ai déjà envoyé les termes de référence. C’est le moment de discuter de toutes ces questions’’, a déclaré le maire de Linguère.

Pour le ministre de l’Intérieur, la présidentielle de 2019 se prépare maintenant. Il demande la confiance des acteurs : ‘’Il faut qu’on se fasse confiance. Passons aux concertations jusqu’à voir les motifs de les rompre. Le dialogue pouvait s’arrêter ici, car il y a toutes les obédiences. Mais c’est pour inclure d’autres parties prenantes qui ne sont pas présentes à l’Assemblée que nous le tenons en dehors.’’

MOR AMAR

Section: