Publié le 13 Aug 2018 - 09:25
MOUHAMED NEJIB AYED (DG JCC)

‘’Le Sénégal est un grand pays de cinéma’’

 

A la tête d’une délégation, le directeur général des Journées cinématographiques de Carthage (Jcc), Mouhamed Nejib Ayed, a séjourné cette semaine à Dakar pour rencontrer les autorités sénégalaises. Lui et ses collaborateurs ont échangé avec des responsables du ministère de la Culture sur la participation sénégalaise aux 29es Jcc. Le Sénégal est l’un des pays invités d’honneur avec l’Inde, l’Irak et le Brésil. Un choix qui s’explique doublement : l’amitié qui lie les deux pays et la place qu’occupe le cinéma sénégalais en Afrique. M. Ayed en parle d’ailleurs dans cet entretien.

 

Vous préparez la 29e édition des Journées cinématographiques de Carthage (Jcc) et le Sénégal est parmi les pays invités d’honneur. Pourquoi ce choix ?

Je ne dirais pas que le Sénégal est parmi les pays invités d’honneur. Le Sénégal est invité d’honneur. Ce n’est pas une loterie, mais un choix. Le Sénégal a été coorganisateur et coproducteur de ce festival créé en 1966 par Tahar Cheriaa (Ndlr : le père du cinéma tunisien).  Il avait à côté Sembène Ousmane qui non seulement est resté vraiment le partenaire principal du directeur et il a été le premier à obtenir le Tanit d’or qui est la récompense la plus importante du festival.

Sembène a été ainsi le lauréat du Grand Prix de Carthage. Le choix du Sénégal s’explique également par le fait que quand on parle du cinéma africain, on parle avant tout de cinéma sénégalais qui a été précurseur dès le début des années 1960. Et dans cette logique de production cinématographique, il y a des films qui sont partis à Cannes en 1964 comme celui de Paulin Soumano Vieira. Le Sénégal est un pays de cinéma. Et la dernière chose est que nous avons vu, ces dernières années, de belles choses avec une volonté de l’Etat sénégalais d’aider le cinéma d’une manière claire. On a noté cela aussi bien dans la production des films que dans la réouverture des salles de cinéma et avec cette nouvelle vague de jeunes réalisateurs qui est en train d’arriver sur le marché.

Donc, nous nous sommes dit que c’est un pays de cinéma et il pourrait devenir à nouveau un pays de belles productions et de belles promesses du 7e art. 

Qu’est-ce que vous attendez concrètement de la participation sénégalaise à cette 29e édition ?

En fait, nous avons envie de voir le cinéma sénégalais sur un podium, lui donner l’occasion d’être plus visible, aussi bien pour les autres participants étrangers que pour le public tunisien. On veut montrer le cinéma sénégalais dans sa progression, de ses débuts à aujourd’hui, en montrant ce que font les jeunes réalisateurs. Ça, c’est la première chose. La deuxième chose, c’est qu’on voudrait également qu’il n’y ait pas seulement une présence cinématographique, mais également une présence artistique et culturelle. On voudrait qu’il y ait de la danse, du chant et qu’il y ait une présence de ces artistes dans les rues. Que leurs prestations ne soient pas vues seulement pas les invités du festival. On veut que leur présence soit visible qu’on puisse les écouter chanter, danser avec eux, etc. La dernière chose est l’organisation d’une soirée sénégalaise avec une présentation des arts culinaires sénégalais et ça permettra de montrer le Sénégal dans toute sa diversité. Pour moi, c’est le Sénégal qui est invité d’honneur et non pas le cinéma sénégalais.

Certains voient à travers cette invitation du Sénégal une volonté d’effacer la frontière entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb. Vous le voyez comme tel ?

Je le pense, oui. Comme je l’ai déjà dit, il y avait une sorte de rupture entre le nord du Sahara et le Sud. On avait l’impression d’être différent en pensant qu’il y a les Arabes et les Africains, et cela me fout en rogne. C’est pour cela que je veux établir cet équilibre entre les Africains subsahariens et les Africains de façon général. Je sais que je vais y arriver. On a commencé l’année passée et cette année, cela va être très visible.

Avez-vous une idée des films sénégalais qui seront en compétition et pensez-vous qu’ils ont une chance de remporter de grands prix ?

Je l’espère. Pour les films documentaires, vous avez beaucoup de chance, beaucoup de possibilités. Pour les films-fiction, je ne vois pas pour le moment. En fait, je ne vois même pas encore le Sénégal en compétition, parce que jusque-là, je ne vois pas de films importants du Sénégal. Il nous reste encore une petite semaine. Si, d’ici là, il va y avoir de nouveaux films présentés, tant mieux, mais ça m’étonnerait. Mais pour le documentaire, il y a une forte chance que l’un des Tanits soit sénégalais. 

Techniquement, les Jcc ont-elles tout le matériel adéquat pour les projections, surtout pour les films produits dans les années 1960 ?

J’ai déjà vu presque tous les films programmés dans le ‘’Focus’’ (Ndlr : films choisis par la Direction du cinéma pour être projetés en hommage au cinéma sénégalais). Tout est pris en compte. On est en train de pousser pour obtenir les meilleures copies. Là où c’est difficile, ou bien on change de film ou on contribue nous-mêmes en aidant à améliorer la qualité des copies pour que ça soit projeté.

Vous venez de boucler une visite de 3 jours au Sénégal. Etes-vous satisfait de votre mission ?

 En réalité, nous avons fait 4 jours qui ont été très bien préparés. C’est-à-dire, je ne suis pas venu les mains vides. Je suis venu avec un projet qui était déjà envoyé, négocié et discuté avec le ministre, le chef de cabinet, le directeur de la Cinématographie et beaucoup d’autres responsables. Tout a été clair à la base. Donc, on n’est pas venu pour discuter, mais pour finaliser le projet. Ce qui a facilité notre travail ici et l’a rendu intéressant au cours de ces quatre jours.

On rentre avec beaucoup d’enthousiasme et d’amitié. J’ai retrouvé des amis que je n’ai pas vus depuis quelque temps. J’ai vu des personnes très accueillantes. Je peux dire que c’est la nature de la relation entre le Sénégal et la Tunisie depuis toujours. Moi, je ne suis pas très jeune. Le nombre d’amitiés que j’ai au Sénégal, c’est vraiment impressionnant. C’est des personnes que je retrouve avec plaisir. Ce sont des gens que j’ai connus ici, à Tunis ou dans d’autres pays et que je fréquente. Cela m’a plu d’être aussi bien accueilli. J’étais totalement à l’aise et j’ai senti les gens à l’aise avec nous.

On pense de plus en plus à des coproductions Sud-Sud. Vous êtes producteur à la base. Pensez-vous qu’il est possible que la Tunisie et le Sénégal puissent travailler sur ce chantier ?

Evidemment ! Ce qui se passe, c’est que dans les années 1970 et 1980, il y avait beaucoup plus d’accointances entre les professionnels tunisiens et sénégalais. Il y avait aussi la Fédération panafricaine de cinéastes (Fepaci) qui était présidée par la Tunisie et dont le secrétaire général était sénégalais. Ça a apporté beaucoup d’eau à notre goût, surtout du côté de notre coopération et de coproduction, entre autres. Quand on produisait le film de Sembène ‘’Camp de Thiaroye’’, j’étais le directeur de production.

Je me suis donc occupé de ce dossier pour le finaliser. Après, la société d’Etat tunisienne, la Setrec, n’existait plus et là, l’Etat a décidé de sortir de ce domaine et nous a laissé dans de graves problèmes, parce que la place de cette société n’a jamais été comblée. Au Sénégal, je sais que l’intérêt de l’Etat était moins important à l’époque que maintenant, surtout dans les années 1990 et 2000. Ce n’est que maintenant que cela reprend. Finalement, des deux côtés, les choses n’étaient pas tout à fait au point, mais là, je pense qu’elles le sont. En Tunisie, nous avons une très belle structure qui s’appelle le Centre national du cinéma de l’image.

Au Sénégal, il y a une vraie politique pour aller d’abord de l’avant dans le cinéma et pour le rayonnement de ce dernier. Le fait que ça soit le ministre de la Culture qui va diriger la délégation qui prendra part au festival signifie que ce dernier accorde une certaine attention à cette activité. A cette occasion, on va probablement signer quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas encore. Mais on fera quelque chose ensemble et je veillerai à ce que ce quelque chose soit pratique. Car, comme le dit notre chargé des relations internationales, il vaut mieux faire un accord sur de petits points et qu’on les réalise que de le faire sur vingt points et de ne rien faire. Sur ce plan, on va essayer de tout faire pour qu’il y ait de vrais accords. On le fera dans la direction de la complémentarité entre les deux pays.

Vous avez décidé d’augmenter le montant alloué aux lauréats, cette année. Qu’est-ce qui a motivé une telle décision de l’organisation ?

Malheureusement pour nous, parce que les prix que nous donnons, c’est des prix en dinars tunisiens convertibles évidemment. Le dinar tunisien est en chute. Donner à un grand prix par exemple quelque chose comme cinq mille euros, c’est ridicule. Avant, nous donnions 7 000 ou 7 500 euros. Aujourd’hui, nous donnons 20 000 euros et ça commence à être intéressant pour appuyer les professionnels. Avant, c’était donné uniquement au réalisateur. J’ai trouvé que ce n’était pas logique, parce qu’un film est porté par un réalisateur et par un producteur. Donc, les prix devraient être partagés de moitié entre eux. Si le réalisateur est en même le producteur, il aura tout. Mais si ce sont deux entités différentes, ils se partageront l’enveloppe. Le producteur doit être considéré comme un porteur de projet et pas seulement comme un gestionnaire. Il est bien de récompenser l’un et l’autre.

BIGUE BOB

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