Publié le 30 Aug 2018 - 03:04
REPORTAGE

En Italie, le racisme va crescendo

 

L’Eglise peine à faire entendre son message sur l’accueil des migrants depuis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite et du Mouvement Cinq Etoiles. A Pistoia, en Toscane, un Gambien a été attaqué et des néofascistes ont perturbé la messe.

 

«Bâtard, nègre.» Le 2 août, Buba Ceesay, un Gambien de 24 ans, faisait son footing non loin de la paroisse Santa Maria Maggiore de Pistoia, lorsque deux jeunes à bicyclette ont commencé à l’insulter. Puis, à l’improviste, alors qu’il poursuivait son chemin, ils lui ont tiré dessus à l’arme à feu alors qu’il était de dos. Buba Ceesay n’a pas été blessé mais, pour Don Massimo Biancalani, le prêtre qui accueille une centaine de migrants dans cette ville de Toscane, «le climat délétère dans le pays est très préoccupant». Car l’agression contre le jeune Gambien n’est que l’un des nombreux actes xénophobes enregistrés ces dernières semaines en Italie. Précisément une trentaine de cas de violences ou de tirs à caractère raciste (dont deux mortels) ont été recensés depuis l’accession au pouvoir, début juin, du gouvernement populiste formé par l’extrême droite et le Mouvement Cinq Etoiles.

Pour le dirigeant de la Ligue du Nord et ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, qui rencontre ce mardi à Milan le Premier ministre hongrois Viktor Orbán,«il n’y a pas d’alarme raciste. Les Italiens sont des gens bien». Une position partagée par le vice-Premier ministre (Cinq Etoiles), Luigi Di Maio, pour qui «l’opposition cherche à attaquer Salvini».

«Boutade»

En première ligne dans la défense des migrants, dans les pas du pape François, Don Massimo Biancalani considère, lui, que des barrières sont en train de sauter. «Il est urgent de réveiller les consciences», explique ce quinquagénaire, ancien enseignant qui a embrassé la prêtrise sur le tard. D’autant que les deux agresseurs de Buba Ceesay, rapidement appréhendés, n’ont que 13 ans. Les ados ont admis leur responsabilité tout en évoquant un simple amusement, sans caractère raciste. «Cette affaire m’interpelle, insiste au contraire Don Massimo. Je ne veux pas criminaliser ces deux jeunes mais cela veut dire que le discours sur la peur de l’autre s’imprègne dans la société.» Un véritable défi pour l’Eglise de François qui, même dans un pays aux profondes racines catholiques comme l’Italie, peine à contrecarrer les messages politiques de repli et de rejet des étrangers.

Les cheveux mi-longs, lunettes carrées, Don Massimo ferme parfois les yeux avant de parler : «Le fait que les deux jeunes agresseurs de Buba soient apparemment issus de familles normales, sans difficultés particulières, me trouble.» Presque plus, confie-t-il, que l’irruption ce mois-ci d’une quinzaine de militants néofascistes de Forza Nuova en pleine messe. «Ils avaient annoncé qu’ils viendraient vérifier le contenu de mon homélie. On pensait à une boutade mais ils sont vraiment arrivés», se désole le curé, coupable aux yeux de l’extrême droite d’avoir publié sur Facebook une photo montrant les demandeurs d’asile de son centre en train de se baigner dans une piscine.

En plein été, le cliché avait provoqué une avalanche d’insultes contre Don Massimo. Matteo Salvini y était allé lui aussi de son commentaire, s’en prenant au prêtre de Pistoia «anti-léguiste, anti-fasciste et je dirais anti-italien». Dans la nuit, les pneus des bicyclettes des migrants avaient été crevés avant que Forza Nuova ne fasse irruption durant la messe dominicale : «Ce jour-là, des militants antifascistes et des centres sociaux sont venus me soutenir mais les membres de Forza Nuova ont été escortés par la police pour rentrer dans l’église», se rappelle le prêtre, qui a tenu normalement son homélie avant que les néofascistes ne repartent le bras tendu. «Même durant le régime mussolinien, on n’avait jamais assisté à l’irruption d’une force politique dans une église pour intimider le prêtre, s’indigne-t-il. Mais désormais, il n’est plus seulement question d’une minorité d’activistes de Forza Nuova. C’est comme si l’ADN des personnes avait été modifié et que l’on voulait minimiser les actes xénophobes», met en garde celui qui est régulièrement pris à partie sur les réseaux sociaux et même menacé de mort.

«Fronde»

«Vade retro Salvini» a, pour sa part, titré fin juillet le magazine Famiglia Cristiana, avec en couverture l’ombre d’un prêtre posant sa main sur un portrait du ministre de l’Intérieur. «Ce n’est pas une prise de position politique mais un rappel à l’Evangile, Jésus dit à Pierre : "Viens derrière moi, suis mon chemin", tient à souligner Luciano Regolo, vice-directeur du principal hebdomadaire catholique du pays. Nous avons voulu faire écho aux nombreux prélats qui s’inquiètent d’un langage qui attise la colère sociale.» Que ce soit les traversées des migrants sur des embarcations de fortune qualifiées par Matteo Salvini de «croisières» ou les ONG décrites comme des organisations criminelles.

«Il y a une recrudescence des actes à caractère xénophobe. On ne peut pas continuer à jeter des allumettes dans des pinèdes arides», souligne Regolo. De l’évêque sicilien Antonio Stagliano, pour qui «Salvini ne devrait pas dire "priorité aux Italiens pauvres, avant les Africains". […] Les étrangers ont toujours le droit humain d’être écoutés», au président de la Conférence épiscopale italienne, Gualtiero Bassetti, qui invite à «ne pas fermer les ports quand arrive un navire plein de malheureux», la hiérarchie catholique se mobilise.

Mais le message passe difficilement dans un pays chauffé à blanc par l’extrême droite. «On nous traite de musulmans ou de communistes. Des internautes nous souhaitent la guillotine», constate amèrement Luciano Regolo. Même le pape n’est pas épargné par les critiques. S’il reste apprécié par 71 % des Italiens, sa popularité a chuté de 17 % depuis le début de son pontificat en 2013. Chez les moins de 24 ans, le recul est encore plus fort : - 25 %. «Il paie sa défense des migrants» pour le quotidien La Repubblica, qui a publié le sondage avec ce commentaire du sociologue Ilvo Diamanti : «Il semble que ses paroles contre ceux qui construisent des murs réels ou imaginaires se heurtent à la demande croissante de fermeture et de surveillance des frontières.»

A l’inverse, Salvini, qui s’est présenté en campagne électorale avec une Bible et un rosaire en main, s’envole dans les sondages. De 17 % aux élections législatives en mars, la Ligue est aujourd’hui créditée de plus de 30 % des intentions de votes. Parmi les catholiques qui se rendent à la messe au moins une fois par semaine, ils sont près de 32 % à soutenir le ministre de l’Intérieur, deux fois plus qu’il y a cinq mois.

«La popularité de François est en recul mais elle est encore très haute»,tient à relativiser le vaticaniste du quotidien La Stampa Giacomo Galeazzi. Il reconnaît que le message de l’Eglise est moins prégnant en raison notamment de la sécularisation de la société italienne : «Il n’y a plus que 18 % de pratiquants et l’âge moyen dépasse les 60 ans. Alors que le gouvernement n’a pratiquement pas d’opposition politique, l’Eglise essaie de faire barrage au discours populiste mais c’est comme combattre des blindés avec une fronde, car l’institution est peu présente sur les réseaux sociaux. Le message évangélique arrive avec difficulté et, quand il arrive, il est accueilli avec défiance, notamment dans les banlieues où, face au malaise social, les gens demandent pourquoi il faudrait aider les migrants avant les Italiens.»

«Maladies»

Depuis sa paroisse de Pistoia qui couvre environ 6 500 âmes, Don Massimo Biancalani vit au quotidien cette distance : «Depuis que j’ai commencé à accueillir des migrants en 2015, des parents ont décidé de ne plus envoyer leurs enfants au catéchisme. Leur nombre est passé, en moyenne, de 50 à 25 par an. Les préjugés sont très forts avec, par exemple, la crainte de la diffusion de maladies.» Pour lui, «la doctrine sociale de l’Eglise qui était très

forte dans le monde politique italien a commencé à reculer avec le pontificat de Jean Paul II, lorsque l’accent a été mis sur les "thèmes non négociables" comme l’euthanasie ou la bioéthique. Un patrimoine a été perdu. Avec François, il y a un rééquilibrage mais le mal est fait.»Combatif et même un brin provocateur avec une banderole indiquant «racisme et fascisme sont nos ennemis» déroulée à côté de son église, Don Massimo dénonce son isolement : «Sur une centaine d’ecclésiastiques présents dans la province de Pistoia, nous ne sommes que cinq à organiser l’accueil des migrants.»

«Silence»

«Seules 20 % des églises de Rome ont répondu à l’appel du pape François d’ouvrir les presbytères aux migrants», remarque Giacomo Galeazzi de La Stampa. Sous la pression des fidèles, certains curés renoncent à prendre des positions plus fermes. D’autres ne cachent plus leur sympathie envers le ministre de l’Intérieur. L’évêque de Chioggia, Adriano Tessarollo, a par exemple retiré Famiglia Cristiana de la vente depuis sa couverture sur Matteo Salvini. «Mon évêque me conseille de travailler en silence mais je sens le devoir de dire les choses», insiste Don Massimo, qui espère que «tout l’engagement de François ne sera pas jeté aux orties après son pontificat».

Liberation.fr

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