Publié le 30 Aug 2018 - 18:45
DEMBA KANDJI, PREMIER PRESIDENT COUR D’APPEL

Un juge à l’épreuve des régimes

 

Après Habré, Inno, l’affaire de l’incendie de la Mosquée de Niary Tally, El Hadji Amadou Sall… l’actuel Premier président de la Cour d’appel de Dakar, Demba Kandji, qui aura bientôt 65 ans, scellera aujourd’hui le sort de Khalifa Sall et de ses coprévenus dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Retour sur son parcours atypique au sommet de la hiérarchie judiciaire.

 

Dans le giron de la magistrature, on ne le présente plus. Lui, c’est le juge Demba Kandji. Adulé par certains, il est honni par une partie de l’opinion publique nationale. Sur ses épaules repose le sort de Khalifa Ababacar Sall et de ses coprévenus dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Pendant longtemps, les commentaires sont allés bon train. Les menaces et autres diatribes ont fusé de partout. Enfin, le jour tant attendu est arrivé. Ce matin, face au tribunal, Khalifa Sall et cie, s’ils comparaissent, n’auront pas droit à la parole. Ils n’auront que leurs yeux pour regarder. Ou pour pleurer. Que leurs oreilles pour écouter, entendre la sentence du seul homme qui tient entre ses mains leur avenir. Il s’agit de l’enfant de Sékhawaye (région de Thiès), l’éminent juge Demba Kandji. Chez les avocats du maire de Dakar, on croise les doigts et on attend le verdict final ‘’sans grand espoir’’, confie l’un d’eux.

Au tribunal, la pression risque d’être terrible du côté du public. Des larmes peut-être couleront. Peut-être aussi, même si les chances sont très minces, des rires pourraient illuminer les visages. Mais Demba Kandji, à coup sûr, restera ‘’imperturbable’’ comme à son habitude. ‘’Quand il croit en quelque chose, il y va jusqu’au bout. Peu importe, pour lui, les qu’en dira-t-on’’, témoigne, très laconique, ce spécialiste du Droit sous le couvert de l’anonymat. C’est que le Premier président de la Cour d’appel doit être bien immunisé face aux menaces et autres diatribes. Lui qui, selon nos sources, a été à la base de l’inculpation du Président tchadien Hissein Habré dans les années 2000. La liste des grands dossiers pilotés par le natif de Sékhawaye est loin d’être exhaustive. Les grands hommes qu’il a envoyés ou élargis de prison font aussi florès. Toujours avec la même sérénité. Avec la même sévérité.

Mais derrière son visage sévère se cache, si l’on en croit nos interlocuteurs, un homme modeste, profondément attaché à la dignité humaine. Le magistrat, selon ses propres termes, doit toujours rester digne, loyal. Il déclare : ‘’L’exercice de ce métier exige un rapport particulier avec le temps. En toute circonstance, vous devez vous conduire en digne et loyal magistrat.’’ C’était en janvier dernier, lors de la sortie de la dernière promotion de magistrats. Etre digne et loyal, selon le Premier président de la Cour d’appel, c’est ‘’reconnaître la qualité du justiciable à travers le respect de son droit à la parole, à l’écoute de sa défense, à l’analyse méticuleuse de ses acquis… Juger, continue-t-il, c’est aimer, écouter et vouloir comprendre’’.

Ainsi parlait l’homme qui capitalise aujourd’hui plus de 37 ans d’expérience dans la magistrature. Ce qui fait de lui une sommité et une référence dans la corporation. Toute une vie de juge, et même d’instruction. Monsieur Kandji a simplement fait toutes les classes. Comme il a traversé tous les régimes, de Diouf à Macky. ‘’Il fait aujourd’hui partie des magistrats les plus anciens. Si ce n’est le plus ancien. Que je sache, aucun de ses promotionnaires n’est en activité’’, nous confie un magistrat. Un autre témoin de préciser qu’en fait, Cheikh Tidiane Coulibaly (frère du ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly) est de la même promotion que lui. Mais il est parti à la retraite. Demba, lui, est toujours à la place. Lui qui serait né en 1955.

A quelques mois de la retraite, il pourrait bénéficier de la loi Sidiki Kaba portant l’âge de retraite à 68 ans pour certains magistrats. Une loi jugée ‘’scélérate’’ par l’Union des magistrats sénégalais. Il n’y a donc plus son deux comme disent les Ivoiriens.

Venu de loin, très loin, Demba Kandji est parti de son modeste patelin à Khombole. Il a vite gravi les échelons. Grand de taille, sobre et calme en apparence, il a, comme bien des enfants de son village, fait l’école coranique. Côté académique, il est passé par l’école élémentaire de Thiénaba, le lycée Charles De Gaulle avant de déposer ses baluchons dans la capitale du Rail, où il obtient son baccalauréat en 1975. Et cap sur Dakar où il s’inscrit à la Faculté des sciences juridiques et politiques. Quatre ans plus tard, il obtient sa maîtrise et passe avec succès le concours d’entrée à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam). Magistrat, il est d’abord affecté à la Cour d’appel de Diourbel en tant que suppléant. De la base, le patron du ressort de Dakar a bataillé ferme pour se hisser au sommet de la pyramide judiciaire sénégalaise. Depuis huit ans, il trône en effet majestueusement à la tête de ‘’la juridiction la plus stratégique’’ du pays, en l’occurrence la Cour d’appel de Dakar. En tant que Premier président, il a un droit de regard sur tout ce qui se fait d’important dans la capitale qui concentre les dossiers d’affaires les plus signifiants du pays. Mais aussi les affaires les plus sensibles.

Des couleuvres, Demba a dû en avaler tout au long de son riche parcours. Sous Diouf, sous Wade et désormais sous le Président Sall, il aura aussi cumulé les galons. ‘’C’est quelqu’un qui ne rechigne jamais à la tâche’’, caricature un témoin qui ironise : ‘’Il a même travaillé un dimanche. Ce qui était inédit. C’était au cours de l’été 1999 (fin juillet début août) dans l’affaire des Baye Fall qui avaient incendié la mosquée des Ibadous à Niary Tally, dénommée Darou Arkhan. Ce jour-là, il y avait, selon nos sources, une pression terrible qui avait fini par faire flancher, ce qui est rarissime, selon toujours notre source, l’imperturbable juge. Il a dû par on ne sait quelle manie écourter son repos dominical pour faire libérer les délinquants, arrêtés deux jours seulement plus tôt. Soit le vendredi précédent. En effet, les Baye Fall avaient alors assiégé la prison de Rebeuss, réclamant la libération immédiate et sans condition de leurs condisciples. Peut-être pourrait-il évoquer la raison d’Etat.

Un homme qui a traversé les régimes

L’Etat, Demba Kandji le connaît. Lui qui a servi avec dévouement sous tous les régimes. En effet, son entrée dans la magistrature a coïncidé avec l’avènement au pouvoir du Président Abdou Diouf. Ce dernier accède à la magistrature suprême en 1981 ; dans le même temps, Kandji sortait fraîchement de l’Enam. Entre lui et l’ancien SG de la Francophonie, les rapprochements ne se limitent pas là. Le destin aura voulu placer le juge à la tête du tribunal régional de Louga, la ville natale du Président Diouf, quelques années seulement après sa sortie de l’école. C’était en 1984. Auparavant, il avait fait le Baol comme juge suppléant. Sept ans seulement après sa sortie de l’école, Demba Kandji regagne la capitale dans un contexte très bouillant, celui de l’élection présidentielle de 1988. Cette fois, il change de rôle, passant du jugement à l’instruction, au troisième cabinet. Mais ce n’est pas pour longtemps. Dès l’année suivante, en 1989, il sera promu président de la 1ère Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar. Poste qu’il occupe jusqu’en 1996…. Plusieurs dossiers célèbres passeront ainsi entre ses mains.

Depuis lors, Demba Kandji n’a presque plus quitté le sommet. Après son bref passage au troisième cabinet comme instructeur, son long bail à la Chambre correctionnelle, il est nommé au poste très convoité de Doyen des juges, où il connaîtra de l’affaire des délinquants  Inno et Alex, de l’affaire du dictateur tchadien Hissein Habré.

 Mais il était dit que le Premier président de la Cour d’appel devait se séparer du Président Diouf à ce poste, ce dernier ayant été en effet ‘’renversé’’ en 2000 par un raz de marée bleu. Un vent de changement venait de souffler sur le Sénégal. Il emporta dans la foulée le doyen des juges qui, plus tard, quittera le siège pour le Parquet. Mais pas à n’importe quelle station. Demba est en effet nommé avocat général à la Cour d’appel, sa première nomination d’envergure sous le règne de son ancien détracteur Abdoulaye Wade.

Il cesse ainsi momentanément d’être juge, donc ‘’indépendant’’, et devient magistrat debout, donc aux ordres de ses prétendus anciennes victimes. Était-ce pour accomplir une purge des socialistes décriée par certains à l’époque ? On ne saurait le dire. Sans entrer dans des commentaires hasardeux sur le caractère coercitif ou promotionnel de cette mesure, on peut avancer sans risque de se tromper que Demba Kandji donne satisfaction durant son passage à cette épreuve du feu. Trois ans après, il retrouve ses amours en tant que président du tribunal régional hors classe de Dakar. Ce, jusqu’en 2007. A partir de cette année, il est promu Président de la chambre civile et commerciale, celui qui a en charge la supervision de tous les dossiers à milliards.

Un juge super puissant

Dans une histoire plus récente, Demba Kandji avait montré qu’il n’est pas un béni-oui-oui. En effet, en 2013, face à la volonté des autorités de recaser les marchands ambulants déguerpis de Sandaga à côté du Palais Lat-Dior, il n’hésite pas à faire une sortie musclée contre la mesure. Dans le Quotidien, il fulminait : ‘’Les commerçants ne peuvent pas être recasés ici. Non, c’est inadmissible. Incroyable. C’est même regrettable. Un marché qui fait face à un Palais de justice, cela n’existe nulle part au monde. Ce n’est pas possible. Un Palais de justice ne peut pas côtoyer un marché.’’ En tant que Premier président de la Cour d’appel de Dakar, il avait ainsi dit niet. Et le moins que l’on puisse dire est que son plaidoyer a été reçu 5/5. Preuve qu’il est un magistrat super puissant, lui qui a encadré bien de ses jeunes collègues. Il argumentait ainsi son refus : ‘’On ne peut pas exiger à la justice de notre pays de se hisser au rang des standards internationaux et en même temps lui mettre en califourchon un marché dans son espace. La justice est un pouvoir, comme l’Exécutif, comme le pouvoir législatif. Donc il lui faut un espace propre. Quoi qu’il en soit, cet espace ne peut pas accueillir un marché…’’.

Dans l’affaire Me El Hadji Amadou Sall également, tranché en audience spéciale par la Cour d’appel, il a eu la main peu lourde pour l’opposant accusé du délit d’offense au chef de l’Etat, en prononçant une peine de trois mois assortis du sursis. Ce qui correspondait, faut-il le préciser, à la volonté de la chancellerie représentée par le procureur général.

La face invisible du juge

Connu pour être un magistrat très compétent, Demba Kandji est aussi, selon certaines sources, un amoureux du sport. Notre source en veut pour preuve son passage à Louga, où cumulativement à sa fonction, il était directeur de la Fédération de football de la localité. Ainsi il servait la cause du peuple de Ndiambour par le foot. Comme il en faisait également pour les activités culturelles. Avec Demba Kandji, on est loin de toutes nos surprises. Il y a de cela quelques mois, il avait défrayé la chronique dans un registre on ne peut plus people qu’on ne lui a presque jamais connu. Loin des frontières sénégalaises, le discret juge se dévoilait dans une chaîne française. Ses révélations étaient à vous couper le souffle, à ruminer de colère le Goorgoorlu sénégalais. Dans un documentaire intitulé ‘’la France, un nouvel eldorado du tourisme médical, il se montrait très familier avec le personnel de l’hôpital. Pour son bilan de santé, le journaliste affirmait que le juge sénégalais avait dépensé 1 000 euros (655 000 F Cfa) Compte non tenu des frais de voyage, d’hébergement et de restauration. Lui-même précisait : ‘’ça vaut le coût’’. Peut-être que cela n’aurait pas suscité des polémiques si son check-up était resté strictement privé.

Du point de vue de ses qualités professionnelles, le magistrat fait l’unanimité. Même ses pires détracteurs lui reconnaissent son savoir-faire. ‘’C’est un orfèvre du Droit’’, commente ce professeur, s’appuyant sur l’arrêt rendu par rapport à l’applicabilité de la décision de la Cedeao. La tâche s’annonçait périlleuse car, explique-t-il, reconnaître sans réserve la décision de la Cour communautaire équivaudrait à un revirement jurisprudentiel spectaculaire des magistrats sénégalais connus pour leur tendance trop souverainistes, hostiles aux décisions ayant un caractère d’extranéité. En revanche, l’écarter complètement allait fragiliser la justice communautaire et mettre les magistrats et le gouvernement sénégalais au banc des accusés.

D’une manière majestueuse, Demba Kandji coupe la poire en deux en réaffirmant : ‘’la force obligatoire attachée aux arrêts de la Cour de justice n’autorise pas pour autant la haute juridiction à se substituer aux juridictions nationales…’’, mais s’empresse-t-il d’ajouter : ‘’il est indéniable que l’arrêt rendu le 29 juin 2018 produit des effets obligatoires’’. Il ordonnait ainsi le paiement de l’amende par l’Etat du Sénégal, tout en prononçant le rejet de la demande de nullité formulée par les avocats de la défense. Suffisant pour que ce professeur de Droit s’exclame : ‘’Il est très fort. C’est un artiste.’’

Mor Amar

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