Publié le 3 Sep 2018 - 23:04
MAUVAISE QUALITE DES INFRASTRUCTURES

Ces virus qui affectent les chantiers de l’Etat

 

Samedi dernier à L’harmattan, des experts ont passé en revue les multiples maux qui gangrènent les travaux publics. C’était à l’occasion de la cérémonie de dédicaces de deux livres de l’ingénieur en génie civil, Claude Moïse Dembélé, intitulés : ‘’Comment réussir un chantier de travaux publics’’ et ‘’Etude de prix dans les entreprises de travaux publics’’.

 

Certains sont prompts à dire : ‘’Le Sénégal dispose de ressources humaines de qualité.’’ Parfois, cette certitude de plusieurs décennies est sérieusement mise à mal par des faits et actes d’entrepreneurs ‘’incompétents’’ ou ‘’véreux’’. Pas plus tard que la semaine dernière, avec les fortes pluies qui se sont abattues sur Dakar, les limites de nos ingénieurs ont été mises à rude épreuve. L’amphithéâtre ‘’flambant neuf’’ de la faculté des Lettres et sciences humaines a été envahi par les eaux, alors même que plus de 1 500 étudiants se penchaient sur leurs copies d’examen. La révélation a été faite, ce samedi, par un professeur d’histoire à l’Ucad, à l’occasion de la cérémonie de dédicaces des deux livres de Claude Moïse Dembélé (responsable à Eiffage) intitulés respectivement ‘’Comment réussir un chantier de travaux publics’’ et Étude de prix dans les entreprises de travaux publics’’. Ce qui pose, une fois de plus, la lancinante question de la qualité des ouvrages publics.

‘’80 % des malfaçons sont dus à une mauvaise maitrise du coût’’

Des ponts qui s’affaissent. Des routes qui se dégradent, alors même qu’elles n’ont pas été réceptionnées. Des bâtiments qui tombent ou qui suintent… Interpellé, Claude Moïse, ingénieur en génie civil, bâtiment et travaux publics, répond sans ambages : ‘’80 % des malfaçons sont dus à une mauvaise maitrise du coût.’’ Avec plus de 45 ans d’expérience, le responsable à Eiffage va plus en profondeur et dissèque les multiples secrets qui se cachent derrière cet état de fait.

A l’en croire, trois éléments peuvent être à l’origine des malfaçons. D’abord, le matériel. ‘’Si l’entreprise choisie ne dispose pas de matériels nécessaires et suffisants pour la réalisation des travaux, elle va essayer de trouver des subterfuges pour exécuter son travail. Et cela peut engendrer des conséquences néfastes’’, analyse l’auteur.

Ensuite, vient la main-d’œuvre. Selon lui, on ne peut faire un travail de qualité sans main-d’œuvre qualifiée. Et c’est justement là un sérieux problème, selon des intervenants qui pensent que nombre d’entreprises se mettent dans le pétrin, tout simplement, parce qu’au lieu de se trouver un personnel compétent, elles privilégient des agents bon marché avec toutes les conséquences qui vont avec. ‘’On n’achète pas une Mercedes avec le prix d’une 2 Chevaux d’occasion. Les bons ouvriers ont un prix. Il faut payer ce prix pour les avoir. Il faut aussi les mettre dans de bonnes conditions’’.

L’ingénieur de déplorer la précarité dans laquelle certaines entreprises installent leurs éléments. ‘’Très souvent, renchérit-il, cette main-d’œuvre n’est pas mise dans une situation d’embauche ou ne bénéficie pas de l’ensemble de leurs droits et avantages, tel que stipulé dans le Code du travail et les conventions collectives. Quand on trouve des ouvriers payés 1 000 F l’heure, des ouvriers qui n’ont ni retraite ni caisse de sécurité sociale, qui n’ont aucun avantage, ce qu’ils vous donnent, vous le prenez tel quel. Ce que l’entreprise néglige, c’est que quand il y a problème, tout lui tombe dessus. Elle est entièrement responsable’’.

Haro sur les mains-d’œuvre bon marché et les matériaux nuls

En sus du matériel et du personnel qui peuvent être la source de désagréments dans la réalisation des travaux publics, il y a un troisième facteur non moins important. La recherche effrénée du gain pousse, parfois, des entreprises à prendre des marchés sous n’importe quelles conditions.  L’essentiel étant d’avoir des marchés. D’où le problème du choix des matériaux. L’ingénieur explique : ‘’Il y a des matériaux nobles, des moins nobles et des matériaux que je pourrais qualifier de nul.’’ A ce niveau, se pose également un problème avec certains maitres d’ouvrages. Selon Dembélé, quelquefois, ce sont ces derniers qui permettent à leurs contractants d’user de matériaux inadaptés. Il donne l’exemple de la Vallée ou du Delta où il n’y a pas de matériaux nobles.

‘’On nous permet parfois de réaliser des travaux avec des agrégats de latérite. Ce que l’entrepreneur ne sait pas, c’est qu’en le faisant, il engage sa responsabilité. Cet agrégat de latérite n’aura jamais la résistance voulue’’. Eiffage, selon lui, ne l’accepte pas. ‘’Nous faisons abstraction et proposons des matériaux nobles que nous transportons sur 200 ou 300 km et nous incluons le prix. Le client, soit il accepte nos conditions, on travaille ensemble. Soit il ne les accepte pas et il choisit celui qui travaillera avec des matériaux latéritiques. Dans ce cas, l’ouvrage durera une année et parfois même pas’’.

Mais ce n’est pas tout. Le gérant du Bureau d’études Pro Conseils Btp est aussi sur un tas d’autres facteurs qui font que les travaux publics peuvent connaitre souvent des durées de vie très courtes. ‘’Il y a tout un processus. Pour la réalisation d’ouvrages durables, il faut également contrôler quel type de ciment utiliser, quel dosage de ciment utiliser. L’entreprise a-t-elle mis des feuilles d’étanchéité ? Quel type d’étanchéité ? Tout ceci est normé et plus les normes sont sévères, plus les produits vont être chers…’’.  Autrement dit, pour faire un travail de qualité, il faut y mettre le prix.

MOR AMAR

 

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