Publié le 5 Sep 2018 - 21:33
MARCHE OPPOSITION

La bataille de Washington n’a pas eu lieu

 

Malgré l’interdiction préfectorale, l’opposition a tenté, hier, de rejoindre le ministère de l’Intérieur pour protester contre ce qu’elle considère comme des dérives du régime. Au moins, 12 manifestants ont été interpellés.

 

C’était parti pour être un grand flop. Et la police sauva l’opposition. Jusqu’aux environs de 16 h, les opposants sont introuvables, hier, dans tout le centre-ville. ‘’Mais où sont les leaders ?’’. ‘’Sont-ils arrivés ?’’, s’interrogent, çà et là, quelques garçons et filles téméraires qui ont bien voulu braver l’interdiction préfectorale, répondant à l’appel d’Oumar Sarr et Cie, sous un soleil accablant. Peu nombreux, ils se sont disséminés à travers les allées de la capitale, pour échapper à l’œil vigilant des policiers très nombreux. Moussa Faye est bouillant de rage. Venu des Parcelles-Assainies pour manifester sa colère, il en veut terriblement au régime du président Sall. Il proteste : ‘’C’est vraiment un État policier. Pourquoi mobilisent-ils autant de monde juste pour mater des citoyens qui ne réclament que leurs droits ? Macky Sall n’a qu’à savoir que seul le pouvoir de Dieu ne s’épuise.’’

Sur place, le dispositif sécuritaire est simplement impressionnant. Pour barrer la route à l’opposition, les forces de défense et de sécurité n’ont pas lésiné sur les moyens. Tôt dans l’après-midi, elles se sont positionnées sur toutes les voies qui mènent à Washington (siège du ministère de l’Intérieur). 15 h 30 : la place mythique est totalement déserte. Seuls des policiers y déambulent à gauche et à droite. C’est parti pour un après-midi tranquille, pense-t-on. Le préfet de Dakar peut même se permettre de rigoler avec deux commissaires en face du bureau d’Aly Ngouille Ndiaye. Pour le moment, c’est Ras. ‘’Aucun mouvement de foule’’, entend-on des talkies walkies qui ne cessent de distiller des informations.

L’atmosphère est le même partout. Sandaga, Ponty, Corniche, bref, tout le Plateau attend désespérément les figures de proue de l’opposition. Ces opposants en chef ne se signaleront que vers les coups de 17 h. Au compte-gouttes. La police maitrise la première manche, avec presque zéro grabuge. Les populations vaquant tranquillement à leurs occupations, même s’il était formellement interdit de se pavaner dans les allées de la place Washington.

Les manifestants stoppés à Sandaga

Ainsi, tout était sous contrôle. Soudain, un petit attroupement se dessine à quelques jets du rond-point Sandaga. Des éléments de la police se ruent sur un homme d’une trentaine d’années, vêtu d’un Lacoste orange estampillé Rewmi. Cloué au sol par une dizaine de flics, en civil comme en tenue, le bonhomme se débat comme un mouton sur le point d’être sacrifié. Aux policiers qui le frappent, il répond par des injures. Les témoins tentent d’immortaliser le moment avec leurs portables. Gare à ceux qui se font remarquer. Avec beaucoup de difficultés, le ‘’rewmiste’’ finit par être neutralisé et jeté sans ménagement dans une L200.

D’autres manifestants, massés à quelques mètres, protestent contre le traitement dégradant infligé à leur camarade. Pour les disperser, quelques grenades lacrymogènes sont jetées au milieu de la foule. En un laps de temps, le centre-ville, jusque-là calme, est transformé en grand bazar. Des jets de pierres s’ensuivent. Et les commerçants s’empressent de fermer boutique. Clédor Sène crie son ras-le-bol. ‘’C’est vraiment indigne. Nous ne réclamons que nos droits. Macky Sall ne veut pas mettre à notre disposition le fichier électoral, comme le recommande la loi. C'est un recul démocratique. Macky Sall ne veut pas organiser des élections crédibles. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Nous sommes prêts à sacrifier nos vies pour notre pays’’, grogne-t-il.

12 personnes, dont au moins 5 leaders arrêtés

Comme ragaillardis par les évènements, des responsables daignent enfin se montrer. D’abord, c’est Oumar Sarr, Coordonnateur du Parti démocratique sénégalais, qui défie la police pour porter secours au jeune manifestant arrêté. A son tour, il est embarqué manu militari dans le panier à salade. Une vieille dame, vêtue de bleu, gronde devant les policiers : ‘’Vous n’avez qu’à nous tuer. Nous continuerons à exprimer nos doléances.

Macky Sall ne peut nous empêcher de réclamer nos droits.’’ Quelques minutes après, Déthié Fall franchit le Rubicon. Alors qu’il tente de s’adresser à la presse, il est vite cueilli. Il n’a pu placer que quelques mots : ‘’C’est la dictature. Nous sommes des citoyens. Nous avons le droit de marcher.’’ Le député, non plus, n’a eu droit à aucun traitement de faveur. Venu avec une chemise blanche immaculée, un pantalon kaki sur mesure, il s’est retrouvé dans un état pitoyable. La furie policière n’a pas non plus épargné Thierno Alassane Sall qui a également été interpellé avec ses compagnons de guerre.

Mais s’il y a un leader qui a vraiment donné du fil à retordre aux flics, c’est bien Mamadou Diop Decroix. Invité à les suivre dans le panier à salade, il s’y est opposé avec véhémence. Face à la détermination de ses adversaires, il s’est assis sur le goudron et s’est battu avec tout ce qu’il a comme muscle. Mais les policiers ont fini par avoir raison de sa détermination. Les éléments ont fini par le porter dans leurs bras, comme un nourrisson.

Selon nos informations, au moins 12 manifestants ont été interpellés par les forces de défense et de sécurité, y compris le leader d’Agir, Thierno Bocoum.

A signaler que Serigne Mansour Sy Djamil était sur les lieux, mais il n’est pas descendu de son véhicule.

MOR AMAR

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