Publié le 6 Sep 2018 - 00:07
AN III CRASH APPAREIL SENEGALAIR

Le pilotage à vue toujours de rigueur

 

Après un rapport accablant du Bureau d’enquête et d’analyse (Bea) sur le crash du 5 septembre 2015, l’aviation sénégalaise a déploré d’autres accidents aériens ou incidents. Sans aucune issue judiciaire.

 

Depuis le 13 avril 1947 et les 6 morts de l’Avro 685 York I (G-Ahez) de la British South American Airways, l’aviation civile sénégalaise est régulièrement secouée par des catastrophes. Sept autres crashes ont été répertoriés par la page aeroport-dakar.com, la page d’informations de l’aéroport international Blaise Diagne. Une liste actualisée au crash du 5 septembre 2015 où 7 personnes à bord de l’aéronef médicalisé Hs 125-700 de Sénégalair ont perdu la vie. Passés l’émoi, la consternation et les mesures conservatoires évanescentes, la situation n’a pas changé d’un iota. Pour preuve, une série d’accidents aériens d’envergure similaire ou de moindre importance est survenue depuis trois ans.

En novembre 2015, un Fokker S27 de l’armée de l’air sénégalaise a évité, de justesse, de crasher, grâce à un atterrissage en catastrophe à Koussana, au Mali. Le dernier accident date d’il y a moins d’un mois. Le 9 août, le pilote français Jean Boris a trouvé la mort, dans le crash d’un aéronef, lors d’une opération d’épandage, près de Podor. Un semestre plus tôt, une catastrophe du genre avait présenté un bilan plus lourd. Un hélicoptère de l’armée sénégalaise de type MI-17 a enregistré 7 morts, après s’être écrasé près de Missirah, en mars 2018. Un mois auparavant, le télescopage entre les deux avions présidentiels sénégalais et français en février 2018 sur le tarmac de l’aérodrome de Saint-Louis est sans doute l’incident le plus symptomatique de ce pilotage à vue.

Pour cette commémoration malheureuse, des avancées ont été notées dont la conclusion du Bureau d’enquête et d’analyse, censé élucider le drame.

Le rapport tombe deux ans après, accablant. Le Certificat de navigabilité (Cdn) de l’avion n’était pas valable et le Permis d’exploitation aérienne (Pea) n’avait été validé que pour une durée restreinte ; la licence du copilote n’était pas valable et il ne devait pas piloter un avion sous immatriculation sénégalaise ; le mécanicien n’était plus habilité à assurer la maintenance de l’avion et, constat le plus effarant, l’avion de la Sénégalair avait de sérieux problèmes altimétriques, car ‘‘l’altimètre de l’avion était défectueux, avec comme conséquence de sortir l’avion de son niveau normal’’, peut-on lire dans les observations du Bea.

Ces conclusions, quoique très accablantes, avaient pourtant été signalées quelques années plus tôt par un technicien supérieur avionique, et de surcroit chef de maintenance de la compagnie, Al Hassane Hane. Dans un rapport circonstancié dressé en avril 2013, soit un peu plus de deux ans avant le crash de l’appareil. ‘‘Sachez tout simplement que rien de normal ne se passait dans la compagnie’’, a-t-il déclaré au téléphone d’’’EnQuête’’ avant-hier. Il se félicite même que ce crash n’ait pas charrié un lot de morts plus conséquent. ‘‘L’avion (de Sénégalair) a percuté un autre appareil en l’air qui, lui, contenait près d’une centaine de passagers. Si le choc avait été frontal, on aurait eu les 7 morts de l’appareil plus les passagers de Ceiba. Si ça c’était produit au-dessus d’une zone d’habitation, c’aurait été pire encore. Ce n’est pas un hasard, mais de la science. J’ai alerté, car je savais qu’il y aurait crash. La plupart de ces obligations étaient en souffrance dans la compagnie’’, a-t-il regretté.

Sauf-conduit pour Ceiba ?

Mais, d’après un ancien responsable du contentieux à l’Asecna, Djibril Birasse Ba, l’enquête du Bea a surtout été à charge contre Sénégalair. Il sous-entend que le rapport a délibérément oublié des éléments entiers qui incriminent la compagnie Ceiba, qui a été heurté en plein vol pourtant. ‘‘Le Bea Sénégal a certainement oublié de signaler que la compagnie aérienne Ceiba est interdite de vol dans toute l’Europe et aux Etats-Unis, depuis le 11 avril 2008, et les enquêteurs n’ont, sans doute, pas osé nous annoncer que la Ceiba figure bel et bien, et en bonne place, sur la liste noire actualisée 2017 des compagnies aériennes les plus dangereuses au monde’’, s’offusquait-il dans les colonnes d’’’EnQuête’’ en avril dernier. ‘‘Il faut noter de graves faiblesses dans l’enquête et, surtout, une volonté manifeste de ne pas aller au fond des choses, notamment en ce qui concerne les responsabilités de l’Asecna, pourtant en première ligne, de l’Anancim et surtout de l’équipage et des responsables de la compagnie aérienne Ceiba Intercontinental’’, poursuit-il.  

La justice à pas d’escargot

Le doyen des juges convoque et inculpe les individus épinglés par le rapport du Bea pour homicide involontaire. Magaye Marame Ndao et Jacob Lèye, respectivement Dg de l’Anacim et contrôleur, ont été ‘‘inquiétés’’ en avril dernier par le doyen des juges Samba Sall. Un acte qui est survenu un mois après que la justice française s’est invitée dans le dossier du crash de Sénégalair. Le 8 mars dernier, le journal ‘’Libération’’ avait fait état d’une commission rogatoire internationale pour information judiciaire déposée par le Tgi de Paris auprès du doyen des juges Sall.

 Mais, depuis, l’affaire semble être frappée d’un immobilisme qui intrigue Al Hassane Hane. ‘‘Ils (les inculpés) continuent à occuper leur poste et à assumer des responsabilités là où il aurait peut-être fallu prendre des mesures conservatoires à leur encontre, pour la sécurité des usagers. Ces dernières années, l’aviation offre une très piètre image. Il nous faudra peut-être nous rabattre sur les hommes et éventuellement sur la formation. L’aviation, ce n’est pas un métier à prendre à la légère’’, s’étrangle-t-il.

Pris en comparaison avec la Côte d’Ivoire, les responsables de la sécurité de l’espace aérien sénégalais vont peut-être rougir des 17 ans qui se sont écoulés entre les deux grandes catastrophes du 30 janvier 2000 (169 morts) de l’A310 de Kenyan Airways et celle du 14 octobre 2017 impliquant un Antonov de la Valan International Cargo Charter.

 ‘‘Notre espace aérien est en souffrance. L’Etat a dégagé énormément de moyens pour la formation des Sénégalais dans les grandes académies’’, déplore Al Hassane Hane dont les prises de position lui ont valu des déboires judiciaires et une reconversion professionnelle presque impossible. Nos tentatives d’entrer en contact avec l’Anacim et les responsables de Sénégalair ont été vaines.

OUSMANE LAYE DIOP

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