Publié le 25 Jan 2019 - 18:21
PETROLE ET GAZ

 Le Sénégal se dote d’un nouveau code pétrolier

 

Après le potentiel prouvé de son bassin sédimentaire, l’Assemblée nationale a adopté hier en plénière le projet de loi N°01/2019 qui abroge les dispositions du code pétrolier précédent vieux de deux décennies. Le pays se dote également d’une loi sur le contenu local.

 

Après l’ordonnance n°60-24 du 10 octobre 1960, la révision de la loi 86-13 du 14 avril 1986 et la réforme de janvier 1998 (98-05), le Sénégal s’est doté d’un nouveau code pétrolier ainsi qu’une loi sur le contenu local hier. En gestation depuis 2016, son principe est simple : réajuster les attentes du Sénégal depuis la découverte de bassins sédimentaire au potentiel prouvé. Ce code remplace et abroge la loi de 1998 qui a justement été adopté dans le but de susciter l’intérêt des compagnies pétrolières.

Il y a deux décennies l’environnement financier international a été caractérisé par une réduction importante des budgets d’exploration des compagnies et le Sénégal a dû concéder des largesses dans le ci-devant code pour attirer les investissements. En attendant les décrets d’application, cette loi porte des innovations principales concernent la conformité avec l’article 25 de la Constitution qui proclame ces ressources comme un bien du ‘‘peuple sénégalais’’ et non à l’Etat ; l’appel d’offres comme mode d’attribution des blocs ; la période d’exploration provisoire qui passe de deux à six mois ; ou le bonus de production non recouvrable.

Procédure d’urgence

D’une part il y avait tout naturellement une majorité qui a adoubé le Code alors que l’opposition s’est indignée de ce passage en procédure d’urgence. ‘‘Voter ce code en procédure d’urgence n’est pas normal.  Personne ne peut lire 546 pages en un jour ou un mois. Le Président Sall a signé le décret le 9 janvier et a dit qu’il voulait qu’il soit signé avant le 15. Si on est député on ne doit pas le voter. Dieu sait que personne ne l’a lu. Même les experts m’ont dit qu’ils se seraient mis à plusieurs avant d’en avoir une lecture claire’’, s’est opposé le président du groupe parlementaire libéral, Cheikh Bara Mbacké Doly. Une question préalable suivie d’une motion préjudicielle et d’amendements ont été les seuls armes institutionnelles, bien trop faibles, pour contrer la majorité qui a finalement adopté le texte.

‘‘Ce code est passé par tous les circuits où il devait passer. Beaucoup d’éléments sont des suggestions de la société civile. Il n’y a pas eu  des précipitations à faire adopter ce code. Les documents que vous avez montrés sont des annexes.’’, s’est défendu Mansour Elimane Kane, le ministre du Pétrole et des Energies. Le président de la commission ‘‘développement et aménagement du territoire’’, Cheikh Seck, a également volé au secours du ministre pour saluer le passage de ce code. ‘‘Cette transparence n’a jamais eu au Sénégal. Il ne faut pas avoir le complexe de le dire. Le Code de 98 comportait des insuffisances criantes’’, a avancé le président de la commission

Confidentialité, un verrouillage à problèmes

Le Code comporte dix chapitres mais dans l’ensemble ce n’est pas moins de 34 articles sur les 75 qu’il compte qui ont été revus, le reste ayant fait l’objet de reformulation pour une meilleure compréhension et une plus grande précision. Malgré toutes les assurances qu’a essayé de donner le ministre, les députés de l’opposition ont pilonné sur une faiblesse qu’est le non-respect du principe de transparence. Les modalités d’application créent plus de niches d’opacité à leur avis avec les dispositions des articles 67 et 68 à la surveillance et au contrôle des opérations pétrolières. A l’alinéa 4, ils sont tenus au respect du secret professionnel relativement aux agents habilités à cet effet.

‘‘Nous savons que nous avons des problèmes de souveraineté dans nos pays africains pour gérer les ressources et d’éviter au maximum les cas de fraude’’, s’indigne Bamba Dièye qui appelle à plus de clarté sur ce point. Pire d’après lui l’article 68 qui traite de la confidentialité est problématique. Il stipule que ‘‘tous les documents, échantillons et informations relatifs aux opérations pétrolières et fournis à titre confidentiel au ministre chargé des Hydrocarbures ou à ses représentants ne peuvent être rendus publics qu’à l'expiration d'une période fixée dans le contrat pétrolier et après autorisation du ministre chargé des Hydrocarbures’’. Pour le député élu sous la bannière Taxawu Senegaal, les pouvoirs publics ne sont pas allés au bout de leur logique.  ‘‘Transparence pour transparence, cela pose problème. Il faut éviter ces verrous qui sont en réalité des cadenas où les puissances pétrolières et étrangères de se donner les moyens d’exister’’, poursuit le député. D’ailleurs le parlementaire de l’opposition, (Bok Gis-Gis), Cheikh Abdou Mbacké a vivement rabroué le ministre en lui enjoignant à renvoyer ce Code à la présidence et a menacé l’ancien titulaire à ce poste, Aly Ngouille Ndiaye, de poursuites judiciaires en cas de perte du pouvoir. 

Quant au président de l’unique groupe parlementaire de l’opposition, il était dans les mêmes dispositions, avançant notamment qu’avec cette confidentialité, c’est une largesse qui est fait aux compagnies d’exploitation ou d’exploration sans contrepartie sûre en retour. Pis, il estime qu’à l’approche de la présidentielle, ce sont des relents électoralistes qui expliquent ce vote à la va-vite et qui risque de compromettre sérieusement la marge de manœuvre d’un nouveau pouvoir en cas d’alternance qui se verrait obligé de respecter la périodicité incluse dans les contrats. Aussi a-t-il invité le ministre Mansour Elimane Kane à ne pas porter cette ‘‘lourde responsabilité’’ car ignorant les antécédents qui ont marqué la signature des contrats. Mais pour MEK, une nuance existe entre transparence et publications d’informations secrètes. La publication des informations techniques léserait les compagnies dans un contexte de rivalité économique.  ‘‘Les clauses de confidentialité sont valables tout au long du contrat. C’est pour préserver les intérêts (...) On en peut pas signer un contrat et mettre les termes techniques dans la rue. Ce n’est pas ça la transparence. Faites confiance, je vous jure qu’on défend les intérêts du Sénégal en tant que Sénégalais que nous sommes’’, a-t-il défendu 

Total va rendre 55.000 Km sur les 65.000 en mars

 Cheikh Mbacké Bara Doly qui a fait de la résistance tout au long du vote a également demandé qu’on ajourne les débats avec une motion préjudicielle, rejetée en grande majorité, en suscitant un débat sur les 65.000 Km offshore concédés à Total alors que 3000 Km sont concédés habituellement. Là également le ministre a réagi en affirmant que cette concession a été faite sous le code 1998 dans lequel il n’était pas fixé de limites. Il a annoncé qu’à partir du mois de mars prochain, le Major français va restituer au Sénégal les 55 mille kilomètres de surface avec les sismiques et demeurer avec 10.000Km. ‘‘Ce qui est un autre avantage pour le Sénégal. On attend de passer le Code avant de lancer l’appel d’offres. Total a d’ailleurs eu 65 mille d’études, pas de contrat’’, a-t-il annoncé. La semaine prochaine des sociétés devraient d’ailleurs transmettre leurs offres et pour ne pas interférer ou anticiper, Mek promet que ces dossiers seront traités après la Présidentielle du 24 février 2019.

Accord d’unitisation avec la Mauritanie

L’accord d’unitisation conclu entre la Mauritanie et le Sénégal le 2& décembre 2018 dans le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (Gta) a suscité les interrogations des parlementaires en commission technique. Ils ont demandé au ministre pourquoi une répartition à 50-50 alors que ‘‘le Sénégal disposerait de la plus grande quantité de gaz dans ce champ’’. Le Sénégal a préféré aller au-delà des aspects liés à la différentielle sur le gisement pour privilégier la coopération d’après le ministre en charge mais il s’est doté d’une soupape de sécurité ‘‘avec une clause de redéfinition pour prendre en compte les évolutions dans le temps’’.

Cet accord intergouvernemental est également sujet à une révision quinquennale. ‘‘Avec le Gta, le Sénégal gagne en moyenne 65% donc beaucoup plus que la Mauritanie et les compagnies pétrolières. Quant à SNE, la part sénégalaise se situe en moyenne à 55%’’, a affirmé le ministre en rappelant que cette part pourrait augmenter avec le nouveau Code. En tout, avec tous les textes annexes, l’ancien ministre socialiste, Abdoulaye Makhtar Diop qui a était témoin du Code 1998,  a estimé que le Sénégal tient un bon code. ‘‘La valeur pédagogique de ce document mérite qu’on le donne aux journalistes et à tout le monde pour leur bonne archive’’.

Contenu local

La deuxième partie du vote a concerné la loi sur le contenu local. Le concept fréquemment désigné par l’anglicisme ‘‘local content’’ désigne d’une manière générale l’utilisation des compétences locales dans la réalisation des activités industrielles des secteurs de hydrocarbures, mines, BTP, forestier... Dans le contexte sénégalais où la question des hydrocarbures n’est pas dans les habitudes, c’est forcément la question de l’adéquation de la formation et des compétences aux exigences du secteur pétrolier et gazier qui a occupé l’essentiel des débats. MEK assure que des mesures sont à l’étude, du côté des pouvoirs publics, comme l’obligation pour les titulaires de contrats pétroliers de choisir leur sous-traitant en priorité parmi les entreprises sénégalaises.

Par exemple, les entreprises de droit sénégalais, dont le personnel technique et d’encadrement seraient constitué d’au moins 60% de Sénégalais, répondant à la satisfaction des besoins de l’activité pétrolière et gazière, ainsi que le versement d’une contribution à la formation professionnelle, pourraient bien en profiter. Mais comme l’a souligné le ministre en travaux de commission, ‘‘l’Etat doit disposer de ressources humaines de très bonne qualité pour la préservation de nos ressources. La formation des cadres intermédiaires dans les secteurs du pétrole et du gaz pour la prise en charge de la maçonnerie de la menuiserie et de la chaudronnerie sera effective’’.

Après la création du Cospétrogaz qui doit définir les orientations stratégiques pour l’exploitation des hydrocarbures, et l’Institut national du pétrole et du gaz (Inpg) le problème de la formation devrait être pallié assure M. Kane. En tout cas un Comité national de suivi du Contenu local prévoit la publication de rapports annuels sur ‘‘sénégalisation’’ dans les sociétés. L’objectif étant de savoir le nombre de nationaux et le nombre de remplaçants étrangers par les Sénégalais, informe le ministre.

Le Code sur la répartition des revenus pas encore prêt

Le 1er décembre 2018, le président Macky Sall annonçait le vote de trois projets de loi, à l’ouverture de la Conférence africaine sur la propriété réelle. Les deux premiers traités ci-haut et un troisième portant partage des revenus de l’exploitation future des hydrocarbures. Hier à l’Hémicycle, c’était le blackout total du ministre et des députés de la majorité sur ce point. En réalité ce projet de Code sur la répartition des revenus n’est pas encore au point, nous souffle-t-on du côté du ministère.

 

 

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