Publié le 17 Oct 2019 - 15:56
MOUHAMADOU LAMINE MBACKÉ (PRÉSIDENT FONDATEUR AIIF)

‘‘Comment maximiser les retombées économiques du Magal’’

 

Président-fondateur de l’Institut africain de finance islamique (Aiif, sigle anglais), Mouhamadou Lamine Mbacké, fils du khalife de Darou Marnane et neveu de l’actuel khalife des mourides, a roulé sa bosse dans les institutions bancaires internationales comme la Citibank. Titulaire d’un Mba à Old Dominion University (Usa), Maîtrise de mathématiques, un 3e cycle de management en France, il est l’un des précurseurs de la finance islamique en Afrique de l’Ouest. Il a livré un speech aux Nations Unies, lors du ‘‘Bamba Day’’ de 2017, à New York, sur la doctrine économique mouride qu’il a appelée ‘‘Muridonomics’’. Une œuvre qu’il compte publier, Inch Allah, en 2020. Il explique, par courriel à ‘’EnQuête’’, la logique et la dynamique de cette économie mouride. 

 

Après le succès du financement de la mosquée Massalikul Jinaan, il a beaucoup été question d’économie mouride. Peut-on vraiment parler d’économie mouride ?

Bien sûr qu’on peut parler d’une économie mouride. Et en fait, depuis près d’un siècle, la confrérie mouride est l’un des groupes sur lesquels on a le plus écrit dans le monde et surtout à propos de leur succès économique. Depuis les orientalistes des temps coloniaux comme Paul Marty en passant par les universitaires du XXe siècle comme Jean Copans (qui a fait une analyse marxiste de l’économie mouride auparavant) ou l’Anglais Donald O’Cruise O Brian qui a fait toute sa carrière sur le mouridisme ou Couty et récemment Cheikh Anta Babou. Sans compter les thèses de doctorat, les mémoires et toutes sortes d’études académiques faits pour l’essentiel par des Occidentaux. J’ai moi-même fait une esquisse d’un livre à sortir sur l’économie mouride au ‘’Bamba Day’’ de 2017 à New York, lors d’un speech au siège des Nations Unies que j’ai appelé ‘‘Muridonomics’’.

Comment est-elle structurée ? 

L’économie mouride jette ses bases dans l’économie islamique qui est une doctrine que la finance islamique, avec sa popularité, est en train de faire découvrir. L’économie islamique se distingue de l’économie conventionnelle dans le fait qu’elle trouve ses fondements dans le Coran, la Sunna et les autres sources islamiques. Elle favorise le développement et le profit, mais est basée sur l’éthique islamique et la foi. Cheikh Ahmadou Bamba étant un ‘’mudjadid’’ (Ndlr : re-vivificateur) de l’islam. Il est évident que toute son action dont l’économie est un pilier fondamental, du fait de la sacralisation du travail qui est un acte de dévotion envers Allah (cet aspect a fait l’objet de beaucoup de littérature), a su théoriser dans ses écrits et mis en pratique cette économie islamique dont les fruits comme Massalikoul Jinaan ou le succès économique des mourides font l’objet aujourd’hui de beaucoup de convoitise.

On remarque que c’est une économie informelle et fortement tertiarisée. Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la quantification de cette étude ?  

Il faut savoir qu’une grande partie de l’économie sénégalaise est informelle, et le challenge des pays du Tiers-monde est de formaliser cette économie pour pouvoir la quantifier et maximiser son rôle dans le développement, à travers les recettes fiscales et les politiques tendant à booster de tels secteurs. Maintenant, le succès des mourides dans le secteur informel montre seulement une détermination, quels que soient les moyens du bord à réussir économiquement chez cette communauté. Beaucoup d’industriels mourides, aujourd’hui actionnaires dans des grandes entreprises, ont commencé par vendre des parapluies dans les rues de Dakar ou New York.

L’an dernier, l’économiste Souleymane Astou Diagne a parlé de 250 milliards de francs Cfa générés par le Magal de Touba sur l’économie du pays. Concrètement, comment cette commémoration impacte sur l’économie ?

Ecoutez, je n’ai pas eu possession de ces études pour en vérifier la démarche scientifique sous-jacente. Mais, a priori, j’aurais tendance à sous-estimer ce chiffre. Etant directeur des Petites et moyennes entreprises (Pme) à la Citibank, il y a près d’une vingtaine d’années, je me rappelle qu’à l’époque, la plupart de nos clients gros clients (exemple : Sonatel, Senelec, Mobil Oil) ou les Pme de taille consistante déclaraient faire une très grande partie de leur chiffre d’affaires pendant le mois du Magal. Ce qui est évident pour un rassemblement de plus de 3 millions de personnes dans un endroit. Imaginez ce qu’il faut comme nourriture, boissons, équipements, téléphone, transferts d’argents, etc.

A mon avis, la question, dorénavant, devrait être comment maximiser les retombées économiques de ce Magal pour notre pays, pour nos Pme et pour l’écoulement de notre production locale, au lieu de faire profiter cela seulement aux multinationales qui rapatrient leurs bénéfices. A l’image du hajj de La Mecque, le Magal devrait plus être un moment de dévotion envers Allah, son Prophète et le serviteur de ce dernier, mais aussi parallèlement un moyen de booster notre économie nationale.

Dans les faits, peut-on avoir une idée sur les modalités de financement du grand Magal de Touba ?

On pourra faire une étude sur cela aussi, mais il est clair que le financement provient essentiellement des ménages résidents à Touba qui accueillent les hôtes et dépensent en conséquence pour la préparation ; des immigrés qui ont pour la plupart des maisons à Touba ; des entreprises publiques et privées qui veulent tirer le maximum de profit sur ce rassemblement (Orange, Tigo, Senelec, jusqu’aux Pme vendant des glaces, les entreprises agricoles ou de tous biens et services…). Il y aussi des services de l’Etat qui injectent beaucoup de fonds pour les travaux d’infrastructures, ce qui stimule la demande et emploi des entreprises privées ; et les hôtes qui se déplacent avec tous les frais que cela comporte, etc.

Massalikoul Jinaan a été l’exemple d’un financement participatif via les ‘‘adiya’’. A quel point peut-on le codifier pour en faire un levier de développement ? 

Je vous ai dit plus haut que l’économie islamique prend ses sources dans la foi. C’est cela qui fait sa force par rapport aux économies conventionnelles, car ici l’éthique ou la responsabilité sociétale de l’entreprise n’est pas forcée, elle est volontaire. Et quand les gens sont acteurs dans le développement, parce qu’ils y trouvent un intérêt divin en sus de l’intérêt mondain, on peut être dans une croissance exponentielle et Massalikoul est un des résultats.

L’enseignement fondamental à tirer et qui sera le fruit, Inch Allah, de notre livre ‘‘Muridonomics’’, est que la doctrine économique de Cheikh Ahmadou Bamba, si elle est comprise et appliquée, peut être une locomotive pour le développement non seulement du Sénégal, mais de l’Afrique, comme l’avait prédit Edem Kodjo ou mon ami Sogue Diarisso.

Le modèle économique est un peu particulier, puisque ce sont des donations qui se font suivant l’allégeance envers Serigne Touba et ses khalifes qui sont déterminantes. Est-ce un modèle reproductible à l’échelle nationale ? 

Ecoutez, ces donations ne sont pas obligatoires et sont volontaires, et c’est juste une partie de l’économie mouride. Depuis l’avènement du Cheikh, les mourides se sont distingués comme les plus grands agriculteurs. Avec l’exode rural, ils ont pris le secteur tertiaire et aujourd’hui ils se distinguent dans l’industrie et les nouvelles technologies. Des initiatives comme ‘‘Touba ca kanam’’ révèlent la partie Crowdfunding (Ndlr : financement participatif) de cette économie qui, sur une base volontariste, pragmatique et populaire, est en train de dérouler des choses concrètes. Notre publication prochaine de ‘’Muridonomics’’ souhaite montrer comment tout cela peut être utilisé comme levier de développement fondé sur des valeurs islamiques.

Le sociologue Djiby Diakhaté a déclaré, après l’ouverture de Massalikoul Jinaan, que cette mosquée est la preuve que le ‘‘’adiya’ l’a remporté sur l’impôt’’. Financièrement, est-ce que c’est une thèse qui tient ?  

Je pense que le professeur Djiby Diakhaté veut magnifier ici ce que j’ai dit plus haut, en l’occurrence un modèle économique qui réussit là où le système de gouvernance classique peine à se déployer. Cela veut dire simplement qu’il faut que les Sénégalais fassent une introspection. N’avons nous pas par-devers nos traditions et valeurs religieuses des boosters plus puissants pour notre économie que celle dont l’Occident nous a légués ? Je pense qu’il est temps d’intégrer plus profondément notre connaissance de soi-même dans nos politiques pour être plus efficients et efficaces.

PAR OUSMANE LAYE DIOP

 

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