Publié le 23 Dec 2019 - 23:53
MANQUE DE MOYENS, MAUVAISE COORDINATION, ANARCHIE

Le calvaire routier cache bien d’équations

 

En dehors des grandes artères, les routes urbaines, communément appelées routes secondaires, sont sujettes à un défaut d’entretien qui accentue leur dégradation. En plus des actions néfastes des populations, les mairies et l’Agence des travaux et de gestion des routes rencontrent une panoplie de difficultés pour assurer un réseau routier de bonne trame.

 

On se rappelle du projet ‘’Zéro nid-de-poule’’ de Karim Wade, ce projet de réhabilitation des routes. C’était déjà en 2011. Depuis lors, la situation n’a cessé d’empirer. Le dernier hivernage a rendu la situation dantesque. Aujourd’hui, emprunter les routes secondaires de la capitale relève du parcours du combattant. Aucun quartier n’est épargné, du plus huppé au plus pauvre. Les facteurs occasionnant la dégradation des routes de quartier sont de divers ordres. Mais, quand il s’agit des responsabilités engagées quant à leur entretien, chaque partie concernée préfère se mettre à l’ombre des excuses et accusations.

A Dakar où le problème est entier, si les populations dénoncent un laxisme des mairies réceptionnaires de patentes et autres taxes, elles participent néanmoins à l’ampleur de la situation. ‘’Parfois, la population ne nous facilite pas la tâche. On ne compte plus le nombre d’immeubles en construction aux abords des routes, sans aucune règlementation et le matériel de construction se retrouve sur la voie. Les gens déposent tranquillement des gravats sur la voie publique et appelle des charretiers qui, à leur tour, vont boucher les nids-de-poule, qui ne sont pas refermés. A notre niveau, on a opté pour la sensibilisation. Il y a une brigade de surveillance qui fait le tour de la commune et des amendes en découlent parfois’’, relate le chef de la Division des services techniques de la mairie de Grand-Yoff, El Hadj Oumar Guèye.

Toutefois, l’autorité municipale affirme que d’autres causes relevant des compétences des services de l’Etat entrent en jeu. ‘’Il arrive très souvent que les eaux usées stagnent en plein milieu de la route. Ce sont ces eaux-là qui coupent les routes et affaissent les voiries. Parce qu’elles créent des dépressions de terrain. Ce qui veut dire que la question de l’assainissement est un facteur clé. Et dans ces cas, l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas) tarde à réagir. Malheureusement, les populations, face à cela, pensent que c’est la mairie qui ne travaille pas. Pourtant, cet aspect ne relève pas de notre domaine de compétences. Nous, on ne peut que remonter l’information à l’Onas qui gère tout ce qui est problème d’assainissement. La mairie ne s’occupe que de l’évacuation des eaux pluviales. Cette séparation de compétences est toujours mal perçue’’, fait remarquer El Hadj Oumar Guèye. Il reconnaît, pourtant, par la même occasion, que la mairie a à sa charge le volet environnemental.

Il semblerait que les collectivités locales soient limitées en termes de moyens techniques dans l’exercice de leur mission. Du côté de la commune des Parcelles-Assainies, le son de cloche est le même. Selon le chef de la Division des services techniques de la mairie, Saliou Niang, la construction de routes nécessite de lourds investissements et il revient à l’Etat d’accompagner les collectivités locales dans la reconstruction de ces voies dont la durée de vie est épuisée (vieilles de plus de 30 ans). Ici, par contre, on atteste que les voiries sont uniquement gérées par la municipalité. ‘’L’absence de trottoirs aux abords des routes pose problème. Quand on construit une route, il faut prendre en compte le relief, voir dans quel sens de la route l’eau va être drainée, mettre des trottoirs. Ces aspects sont souvent oubliés, ce qui fait que la stagnation, combinée au passage des automobilistes, dégrade davantage les voiries. On peut aussi souligner l’encombrement de ces routes par des véhicules en panne et par plusieurs commerçants. On a beau sensibiliser et sanctionner, les gens ne veulent pas laisser leurs mauvaises habitudes. A notre niveau, depuis 2014, nous avons lancé un programme d’aménagement de la voirie municipale qui tourne autour de 600 millions de francs Cfa’’, explique-t-il.

Selon lui, une bonne partie du budget de ce programme est réservé au désensablement et au pavage des trottoirs.

Manque de coordination entre les services de l’Etat 

Par ailleurs, dans le cadre de l’entretien des voiries, les collectivités locales ont très souvent maille à partir avec l’Agence des travaux et de gestion des routes (Ageroute), à cause d’une mauvaise compréhension des tâches assignées à chaque entité. ‘’En fait, les domaines d’intervention sont séparés. La gestion de tout ce qui est en dehors du réseau classé (les grandes artères) revient à la mairie. Il s’agit des routes urbaines, des routes de quartier et autres. Par contre, l’Ageroute émet un avis technique, quand il y a des ouvertures de tranchées sur ces voies, puisqu’ils sont mieux outillés par rapport au volet technique. Leur avis va permettre de conseiller l’entreprise qui engage des travaux et de veiller à la fermeture de la route après. Cet avis est un protocole que délivre l’Ageroute, mais c’est à la mairie que revient l’autorisation de ces ouvertures’’, renseigne Saliou Niang.

En effet, plusieurs entreprises privées ou non (Tigo, Sde…) pour des raisons de branchements, de passage de câbles ou de conduits, se lancent dans des tranchées sur les voiries qui, par la suite, sont mal refermées ou ne le sont finalement pas. Selon toujours notre interlocuteur, ‘’les entreprises privées s’efforcent de respecter la procédure, contrairement à celles du public. Et dans ces cas, nous interrompons leurs travaux, comme ce fut le cas récemment avec la Sde, parce qu’il nous faut des de garanties nécessaires, à savoir le protocole de l’Ageroute et un engagement effectif quant à la réparation de la route. Ce sont des terrains qui sont arrachés, parfois même tout un trottoir. Et le pire c’est que l’agence ne fait même pas le suivi. Pourtant, elle encaisse une caution et nous ignorons sur quelle base elle délivre les protocoles’’.

Pour le chef de la Division des services techniques de la mairie de Grand-Yoff, le principal blocage dans l’entretien des routes de quartier est le manque de coordination entre les services de l’Etat : Onas-Ageroute-mairie, accompagné d’une absence de suivi imputable aux deux dernières entités.

L’Ageroute au cœur des incompréhensions

Mais, le directeur de la Gestion et de l’Entretien du réseau routier de l’Ageroute, Ibrahima Sall, n’est pas d’accord. Il bat en brèche tout laxisme ou laisser-aller.  ‘’Nous, dit-il, on ne badine pas. Ici, se trouvent des professionnels. Nous avons une division spéciale chargée de veiller au suivi. Il n’y a aucune possibilité pour que des individus ne respectent pas la procédure, parce que, soit nous les poursuivons ou alors nous retenons la caution versée. Très souvent, les réparations sont faites, la nuit, pour éviter des perturbations dans la circulation’’.

Cependant, le flou persiste. Tout d’abord, les municipalités déplorent le manque de communication de l’agence, lorsqu’elle délivre un protocole à un tiers, ajouté au fait qu’elle interrompt souvent leurs travaux. D’autre part, l’agence dit intervenir uniquement (faire des descentes de terrain) et ne s’immisce pas dans les travaux, quand il s’agit des voiries de quartier.

Mais, le constat dans la capitale est que, si le niveau de dégradation de ces voies diffère d’une commune à l’autre, ce n’est pas le cas des causes et des incompréhensions entre les entités responsables de leur entretien qui demeurent. 

Pour preuve, dans la commune de Mermoz/Sacré-Cœur, on parle d’autorisations délivrées de manière abusive par l’Ageroute et non plus de protocole ou d’avis technique. ‘’Sur une route, vous pouvez compter trois ou quatre excavations. Pourtant, ce sont des causes non négligeables du mauvais état des voiries dans les quartiers. Les excavations coupent les routes et créent un ensemble de creux et de buttes sur une même voie. Lorsqu’une personne veut en faire une, il a forcément besoin d’une autorisation de l’Ageroute. Nous, on n’y peut rien. L’agence leur impose une caution. Donc, normalement, après, c’est à elle de poursuivre cette personne jusqu’à ce qu’elle remette les routes en bon état. Malheureusement, on constate qu’il y a plusieurs manquements et, après, les riverains se rabattent sur nous pour se plaindre’’, explique Amadou Lamine Niane, responsable de l’entretien des voiries à ladite commune.

Il poursuit : ‘’Franchement, il y a beaucoup de problèmes par rapport aux constructions. Le réseau d’éclairage public se trouve sous le sol, donc, les gens viennent couper le réseau et après, c’est à nous de tout reprendre. La mairie sanctionne, mais il faut tout de même savoir que la mairie n’est pas la police. Donc, parfois, nous sommes obligés de nous rabattre sur la police. Plaintes sans suite pour des mécaniciens trouvés en plein travaux de réfection des routes du quartier Baobabs’’.

Il évoque, par ailleurs, un certain nombre de contraintes émanant de ladite agence. ‘’Peut-être qu’ils sont dans leur logique de bien faire. Mais parfois, ils nous mettent les bâtons dans les roues, alors que normalement, il devrait y avoir une symbiose’’, se désole-t-il.

En ces lieux, les autorités municipales affirment que, quelques jours avant notre passage, l’Ageroute a interrompu les travaux de réfection pour absence d’autorisation. Pourtant, dit-on, il s’agissait de l’entretien des routes d’un quartier. Ce qui relève du domaine de compétences de la mairie. 

L’impact du réseau d’assainissement défectueux

Par ailleurs, la commune fait également face à un réseau d’assainissement défectueux qui rend les routes impraticables. En effet, les regards se trouvent bouchés par les ordures ménagères. Ils font office de réceptacle de déchets au lieu de drainer les eaux usées. Outre cette question, les problèmes de moyens financiers et d’appui technique refont surface. ‘’Nous ne sentons pas le soutien de l’Ageroute dans notre commune. Pourtant, ils s’y connaissent mieux que nous dans ce domaine. Aussi, à part les fonds de concours et de dotations répartis de manière assez politique, les maires tirent le diable par la queue. Par exemple, cette réfection en cours, et qui va s’étendre bientôt à Mermoz, se fait sur fonds propres de la mairie. Je ne peux pas concevoir qu’une commune comme Médina, vu sa densité, reçoive moins que la commune du Plateau, en termes de budget, vu la densité de la commune.  Les moyens ne sont pas appropriés aux besoins. Raison pour laquelle nous avons choisi de nouer des partenariats avec des entreprises privées comme Expresso et Sonatel pour dérouler des projets du genre’’, affirme M. Niane.

Il recommande une politique participative qui inclut la mairie et ses administrés, afin que les routes secondaires soient maintenues en bon état.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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