Publié le 10 Jan 2020 - 23:32
RENTREE SOLENNELLE DE LA JUSTICE

Haro sur l’exclusion, l’injustice et l’ignorance

 

Une assistance très attentive. Des magistrats fiers. Un président visiblement séduit. Voilà quelques faits marquants de l’audience solennelle des Cours et Tribunaux tenue hier à la Cour suprême, sous la présence de plusieurs personnalités. La ‘’jeune’’ magistrate Maye Diouma Diouf Diop en a ébloui plus d’un, par sa maitrise du sujet.

 

‘’La lutte contre le terrorisme, un défi pour les Etats Africains à l’aube du XXIe siècle’’. C’était le thème de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux, célébrée hier à la Cour suprême. D’emblée, la présidente du tribunal pour enfants auprès du tribunal de grande instance de Dakar relève un ‘’paradoxe’’ entre l’ampleur du phénomène et l’absence même d’une définition universellement admise du concept de terrorisme. Listant quelques propositions allant dans ce sens, elle estime que ‘’les difficiles conditions de genèse d’une telle définition vont déteindre sur la manière dont les Etats vont mettre en place des stratégies globales de prévention et de répression’’.

Mais ceci est loin d’être la seule difficulté à laquelle fait face la lutte contre le mal terroriste. Comment lutter contre ce fléau des temps modernes sans enfreindre les droits de l’homme ? C’est toute la problématique que la magistrate a essayé de résoudre le long de son exposé. Pour elle, les Etats se doivent donc d’assurer la cohérence entre, d’une part, la législation nationale antiterroriste et, d’autre part, le droit international des Droits de l’homme, le droit des réfugiés et, le cas échéant, le droit humanitaire.

‘’Dès lors, souligne-t-elle, il est important, pour les Etats africains, de définir de nouvelles stratégies adaptées à la complexité du phénomène. Certes, des stratégies fort intéressantes, basées sur des approches pluridisciplinaires et multisectorielles sont actuellement développées par les Etats africains pour prévenir et prendre en charge la question du terrorisme. Mais comment assurer efficacement l'équilibre entre le besoin sécuritaire et le respect des Droits de l'homme sans repenser le rôle de la justice dans les dispositifs de prévention et de répression mis en place au niveau national et régional ?’’, se questionne-t-elle devant une assistance toute ouïe.

Le lit du radicalisme et de l’extrémisme violent

Pour réussir cette mission périlleuse, il va falloir s’appuyer sur deux leviers. D’une part, la prévention du terrorisme par l’intervention de la justice dans la lutte contre l’exclusion sociale et les cycles de violences communautaires. D’autre part, la répression efficace du terrorisme, par une réadaptation des procédures et pratiques judiciaires. C’est que, conformément à la Résolution 60/288 portant sur la stratégie antiterroriste mondiale, Mme Diop estime que les conflits communautaires qui perdurent et les cycles de violence mal gérés sont le lit du radicalisme et de l’extrémisme violent. ‘’Mais alors, quelle meilleure manière de lutter contre l’exclusion et les cycles de violence vecteurs de l'extrémisme, que de garantir à tous les citoyens l’effectivité de leurs droits fondamentaux et l’accès à une justice effective et impartiale !’’, s’exclame la juge, non sans prôner l’effectivité des droits et l’accès à la justice, d’une part ; la lutte contre les inégalités, d’autre part.

‘’L’accès au droit et à la justice pour tous, disons-nous ! C’est un défi majeur que les Etats africains doivent relever pour empêcher que certains de nos concitoyens tombent dans le piège tendu par des groupes qui profitent de leur ignorance pour leur vendre une illusion de vie contraire aux valeurs de la République’’. L’ignorance, estime la magistrate, surtout l'ignorance du droit et des droits, est un facteur réel d’exclusion sociale. ‘’Malheureusement, en Afrique, la majeure partie de la population est encore analphabète ou peu scolarisée. Quant à la minorité instruite, elle n’est pas attirée par le droit qu’elle considère comme une matière rébarbative’’, regrette-t-elle.

Mais, au-delà de la reconnaissance des droits fondamentaux des citoyens consacrés par les constitutions, il s’agit, dit-elle, d’assurer l’accès effectif au droit en développant des projets d’assistance juridique pour les populations les plus démunies, surtout dans le monde rural et les zones frontalières. Cela dit, elle préconise également que la préservation des droits des populations sur leurs ressources locales est un facteur important de stabilisation sociale et de prévention contre la radicalisation.

‘’Il est question, enfin et surtout, de garantir l’effectivité des droits des populations contre les actes de l’Exécutif, de faire en sorte que dans l’esprit des populations, l’idée de service public l’emporte sur celle de puissance publique. Que le sentiment d’impuissance qui empêche d’exercer ses droits face à l’Etat, cède la place à la croyance à l’Etat de droit, c’est-à-dire la soumission de l’Etat au droit ! Le citoyen, rassuré de la pleine jouissance de ses droits, est un citoyen protégé contre la tentation de chercher des réponses violentes à ses problèmes’’.

L’équation de l’accès à la justice

Toutefois, si l’on se fie aux propos de la magistrate, il est illusoire d’espérer l’effectivité des droits fondamentaux sans garantir l’accès des citoyens à la justice, où qu’ils se trouvent sur le territoire de la République. De ce fait, analyse-t-elle, ‘’la couverture judiciaire de tout le territoire national est un objectif primordial à atteindre, pour éviter l’émergence de zones de non droit, propices au développement de mouvements radicaux prônant d’autres modèles de justice qui ne reposent pas sur les règles et valeurs de la République’’.

Avant de relever trois raisons qui ne sont pas de nature à favoriser cet objectif. D’abord, l’inégale répartition des juridictions et leur accessibilité posent, de factole sérieux problème de l’équité territoriale, voire de l’exclusion. Ensuite, lorsqu’elle est présente, l’institution judiciaire fait face au manque de moyens humains, logistiques et matériels pour mener à bien sa mission. Enfin, les citoyens sont dépourvus de moyens et d’assistance judiciaire pour pouvoir utilement accéder au tribunal. ‘’Si tu veux la paix, instaure la justice !’’, plaide la dame, paraphrasant un proverbe latin. Et d’affirmer : ‘’Oui à une paix durable par une justice effective et impartiale qui rassure parce que prenant adéquatement en charge les conflits à fort impact social.’’

Pour instaurer la paix également, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de rendre justice à la victime. C’est, selon la présidente du tribunal pour enfants, tout le sens de la justice restauratrice, une justice qui, associant la norme juridique à d’autres normes, vise, entre autres, à garantir l’effectivité de la sanction et éviter ainsi l’impunité ; réparer de manière appropriée le préjudice subi par la victime ; prendre effectivement et efficacement en charge le délinquant.

‘’Il est important, pour ce faire, de transformer nos prisons en des lieux de redressement et de préparation à la réinsertion sociale des détenus. Il faudrait éviter qu’elles deviennent des lieux de radicalisation, comme cela a été vu dans certains pays européens. En somme, cette justice a pour finalité de restaurer la dignité de la victime et celle de son bourreau, d’amener celui-ci à assumer sa faute et celle-là à accorder son pardon. Elle intègre, dans ses procédures, tous les modes appropriés de résolution des conflits.  Ainsi mieux acceptée, la justice servira de rempart contre les cycles de violence vecteurs d’extrémisme et de radicalisation’’.

‘’Le renseignement est fondamental dans la prévention du terrorisme’’

Mais, au-delà de la politique de prévention, la justice devrait également réadapter ses procédures et ses pratiques pour l’efficacité de la répression, défend la magistrate. Ainsi préconise-t-elle l’élargissement du périmètre judiciaire par le décèlement précoce des risques, ainsi que la réadaptation des mécanismes répressifs.

Dans la nouvelle approche préconisée par Mme Maye Diouma Diouf Diop, le rôle du procureur de la République est fondamental. A l’en croire, il n’est plus question, pour la justice, de rester dans une posture réactive qui est d’ordinaire l’essence même de son action. ‘’La justice, par le biais du procureur de la République, doit désormais prévenir le passage à l’acte par la prise en charge précoce de la phase dite pré-judiciaire. D’où l’intérêt de la judiciarisation du renseignement qui est une préoccupation majeure’’, signale-t-elle. Ainsi, pense-t-elle, le renseignement permet aux autorités de prendre des décisions éclairées et aux forces de défense et de sécurité d’empêcher la commission d’infractions, d’interpeller les individus menaçants et de recueillir des informations susceptibles de constituer des preuves.

‘’Le renseignement, dit-elle, est fondamental dans la prévention et la répression du terrorisme. Son apport est décisif pour la surveillance de groupes extrémistes. De l’ère de la constatation des infractions, nous voici de plain-pied dans l’ère du décèlement précoce de l’infraction’’, recommande-t-elle. 

Les acteurs engagés dans le renseignement, estime la juge, doivent travailler en parfaite synergie entre eux et avec le procureur de la République, pour une prise en charge judiciaire précoce et efficace des situations à risque. ‘’La cible qui nous préoccupe tous, est de plus en plus complexe, dynamique, mieux structurée et en perpétuelle mutation. Seule une organisation supérieure à celle du mal pourra constituer une réponse durable pour les Etats africains. Il faut une ingénierie judiciaire pour faire face à l’ingénierie criminelle’’, préconisant le travail d’équipe à l’échelle régionale et sous-régionale pour combattre le fléau.

Renforcement nécessaire du dispositif législatif

Par ailleurs, renseigne Mme Diop, il faut renforcer le dispositif législatif en matière de saisies-confiscations des biens et avoirs des personnes poursuivies pour des actes terroristes ou en relation avec une entreprise criminelle. ‘’Les moyens matériels et financiers sont au début et à la fin de toute entreprise terroriste. Sans moyens, les organisations terroristes ne peuvent assurer leur survie et mener des actions sur le terrain… Dans la plupart des pays d’Afrique, il existe des entités chargées de traiter le renseignement financier, appelées cellules, unités ou agences de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ces organes ont fait de grands pas dans la mise en œuvre de normes et de moyens d’enquête sur la criminalité financière’’.

Pour elle, chaque enquête sur une entreprise terroriste devrait aller de pair avec une enquête de patrimoine poussée. ‘’’L’assèchement des sources de financement est une parade efficace contre le terrorisme. C’est pourquoi les condamnations devraient être orientées vers un appauvrissement conséquent des criminels. Dans la même perspective, des mesures conservatoires sur leurs avoirs devraient être prises dès la phase d’enquête. Légiférer dans le sens d’une facilitation des saisies et des confiscations en matière pénale serait salutaire. Cela passerait par la démultiplication, dès le stade de l’enquête judiciaire, des possibilités de saisie de tout ou partie du patrimoine d’une personne, physique ou morale, mise en cause’’.

Ainsi, requiert Maye Diouma Diouf Diop, ‘’cette mesure devrait être soutenue par la création d’une véritable procédure de saisie pénale parallèlement à ce qui existe en matière civile ainsi que par la gestion centralisée et efficace des biens et avoirs gelés, saisis ou confisqués. Il en sera de même par la généralisation de la peine complémentaire de confiscation à tout bien, qu’il soit corporel ou incorporel’’.

TERRORISME

Les mises en garde du président

Se préparant au pire, Macky Sall met en garde contre l’utilisation d’Internet et l’exercice de la liberté de presse.

Le Sénégal est, certes, jusque-là épargné par le terrorisme. Mais, signale le président Macky Sall, il faut se préparer au pire. Et depuis quelque temps, l’Etat ne lésine pas sur les moyens, pour se doter d’outils de lutte contre ce fléau des temps modernes. Parmi ces instruments, le renforcement du dispositif légal occupe une place de choix. Prochainement, une nouvelle loi sera d’ailleurs sur la table de l’Assemblée nationale, informe le président de la République.

‘’Il s’agira de donner à l’autorité publique les moyens légaux de prendre des mesures adaptées et proportionnées, au regard des risques encourus et des circonstances, contre notamment des attentats terroristes, ou menaces avérés, d’actions terroristes : le recrutement de personnes en vue de participer à une entreprise terroriste, la provocation ou l’apologie au terrorisme…’’.

Cela dit, le chef de l’Etat lance également un appel aux médias, à un traitement prudent de l’information relative au terrorisme. Il déclare : ‘’La lutte contre le terrorisme nous engage tous : pouvoirs publics, citoyens, société civile, organisations professionnelles, les médias…’’ Il donne un exemple : ‘’Lorsqu’une enquête est ouverte, que les services compétents sont ouverts dans une course contre la montre pour prévenir une action, collecter des preuves ou des indices… la conscience citoyenne, voire tout simplement le sens humain, voudrait que rien de ces opérations ne soit divulgué au risque de les compromettre.’’ Suffisant pour le pousser à affirmer : ‘’Relever le moindre élément d’une enquête sur des faits présumés ou avérés de terrorisme pourrait relever à la fois d’une faute morale ou professionnelle. Si la liberté d’informer doit être respectée, il est tout aussi nécessaire de prendre en compte le besoin vital de sécurité. Sans sécurité, c’est l’exercice même de la liberté qui se trouve en danger.’’

‘’Le terrorisme ne connait pas de religion’’

Dans la même veine, Macky Sall met également en garde contre l’utilisation des TIC, qui servent pour le meilleur et, malheureusement, pour le pire. ‘’En matière de crime organisé comme le terrorisme, fait-il savoir, il n’est même plus nécessaire de se connaitre ou de se rencontrer physiquement pour préparer et exécuter un acte malveillant. Il nous faut donc prêter une attention particulière à la gouvernance d’Internet, comme espace de propagande et de relais de financement’’. Outre cette contrainte qui rend plus complexe la lutte contre le mal, il mentionne également le fait que le Sénégal soit dans des espaces d’intégration comme la CEDEAO.

Par ailleurs, le chef de l’Etat peste contre tout amalgame entre islam et terrorisme. Selon lui, le terrorisme ne connait pas de religion. La preuve, aucune communauté n’est épargnée par les frappes terroristes. ‘’Il faut, souligne-t-il, regretter la fâcheuse tendance à assimiler l’islam au terrorisme. Cet amalgame n’est pas acceptable, au regard même des fondements du dogme islamique, de la pratique et de la jurisprudence islamique. Lorsque des communautés ou lieux de culte musulman sont attaqués, de la même manière que d’autres, c’est parce que le terrorisme n’a ni religion ni sentiment d’empathie ou de compassion à l’égard de qui que ce soit’’. Cela dit, Macky Sall ne veut pas, non plus, que des gens viennent prêcher, au Sénégal, un islam autre que celui authentique de paix, de concorde, de tolérance et de respect. ‘’L’Etat continuera de veiller au respect des lois et règlements en vigueur. En même temps, j’exhorte nos guides religieux à poursuivre leur œuvre salutaire d’éducation religieuse. J’invite nos oulémas à porter les réponses doctrinales et intellectuelles qu’appelle la situation’’.

Badio Camara insiste sur les droits de la défense

Saluant les efforts qui ont été déployés dans le cadre du renforcement du dispositif légal antiterroriste, le premier président de la Cour suprême, Mamadou Badio Camara, a insisté sur l’impératif, en dépit de l’extrême gravité des crimes terroristes, de garantir les droits de la défense tout en veillant à ne pas compromettre l’efficacité et la régularité de l’exercice de l’action publique pour la répression des crimes et délits commis. En outre, il préconise le partage d’informations à tous les niveaux, dans le cadre de la prévention. Pour ce faire, il va falloir compter sur les magistrats, habilités à dire le droit.

Par ailleurs, il a rappelé au chef de l’Etat l’importance de sa prérogative constitutionnelle de garantir l’indépendance de la justice. ‘’Cette indépendance, qui doit constamment inspirer l’action du magistrat vers l’intégrité et l’impartialité, n’est pas un privilège, mais un devoir envers soi-même comme envers la communauté. C’est une mission essentielle, car rien n’est jamais définitivement acquis dans ce domaine’’, a-t-il soutenu.


NOUVEAU SIEGE POUR LA COUR SUPREME

Les cadeaux de rentrée du président

Hier, le président de la République, Macky Sall, a aussi répondu au procureur général près la Cour suprême, qui réclamait un nouveau siège digne de l’institution judiciaire. Une demande légitime, selon le chef de l’Etat. Il déclare : ‘’J’ai pris bonne note de votre demande légitime pour la construction d’un siège de la Cour suprême. Je prends la décision de faire construire ce siège auprès du palais de Justice de Dakar, si l’espace est suffisant. Si ce n’est pas le cas, nous allons trouver un espace à Dakar ou à Diamniadio…’’ Comme s’ils n’étaient pas trop agréés par la nouvelle ville, souhaitant sans doute rester dans la fraicheur de la capitale, de petits bruits parcoururent la salle. Et comme s’il avait bien saisi le message des magistrats, Macky Sall s’empresse d’ajouter : ‘’Mais la préférence est quand même en face de la corniche, près du tribunal de Dakar.’’

Le président de la République est aussi revenu sur une des sollicitations du barreau qui veut construire son école. Le président répond : ‘’Je voudrais vous donner l’assurance que l’aide de 500 millions de francs destinés à l’édification de l’école des avocats est déjà disponible et transféré au ministre de la Justice, qui le mettra à votre disposition. Pour ce qui concerne l’aide juridictionnelle promise, la semaine prochaine, ces fonds seront au ministère de la Justice, conformément aux engagements.’’

MOR AMAR

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