Publié le 12 Feb 2021 - 06:21
ZLECAF - PROCESSUS D’INDUSTRIALISATION

Ces défis qui attendent les Etats avec les zones économiques spéciales 

 

Le développement des Zones économiques spéciales (ZES) et des parcs industriels peut aider les Etats africains à avoir des entreprises compétitives, au plan national, sous-régional et continental notamment, avec l’opérationnalisation de la Zone de libre-échange continental africain (Zlecaf). Mais pour ce faire, selon certains spécialistes, il y a des préalables.

 

Le Sénégal a créé les Zones économiques spéciales (ZES) depuis janvier 2017, à Diass, à Diamniadio et à Sandiara, avec la loi 2017-07 du 6 janvier 2017. L’objectif est de faire de ces zones des endroits favorables à l’investissement, afin que des entreprises importantes s’y installent pour produire, exporter et aussi avoir des avantages en tant qu’investisseurs. Ceci pour pouvoir être compétitif sur le marché sénégalais et surtout sur l’exportation.

‘’Ce sont des opportunités que les entreprises qui y sont installées vont avoir. Et puis, tout est centralisé au niveau des zones. Toute la connectivité routière, le réseau d’eau, d’électricité, d’assainissement, etc., et également tout ce qui est déclaration au niveau de l’Apix, de l’enregistrement, etc.’’, explique le président de l’Union des prestataires, des industriels et des commerçants du Sénégal (Upic), Amadou Seck, dans un entretien avec ‘’EnQuête’’.

Démontrer la capacité du Sénégal à offrir des produits et des services à haute valeur ajoutée pour attirer les investisseurs étrangers et retenir les ressources humaines nationales, c’est ce que vise le gouvernement du Sénégal depuis plus d’une décennie. Déjà, en 2007, une loi consacrant la création d’une Zone économique spéciale intégrée (Zesi) a été adoptée. Si le contexte d’adoption de la loi n°200716 du 19 février 2007 a évolué, il ressort de l’exposé des motifs de l’élaboration de la loi 2017 que les objectifs qui ont guidé la création de la zone privilégiée ont gardé toute leur pertinence et leur actualité. ‘’La mise en place de la Zesi constituait, pour le Sénégal, une opportunité de se hisser au rang d’acteur compétitif de classe internationale pour attirer les investissements et bénéficier pleinement de la dynamique et de l’évolution du commerce international. Toutefois, huit ans après sa création, la Zesi peine à connaître un déploiement effectif. Au-delà des contingences socioéconomiques, les obstacles juridiques à ce déploiement résultent principalement de l’imprécision du cadre de gouvernance de la zone initialement fixé par la loi n°200716 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Zesi’’, renseigne le document.

Le cadre juridique résultant de ce dispositif soulevait, en fait, des problèmes d’articulation entre les instances de régulation et les structures opérationnelles. Ce qui constituait une source d’insécurité pour les potentiels investisseurs, au regard de la rationalité du droit économique et des standards internationaux en matière de gouvernance de ces zones économiques spéciales. L’autre faiblesse que présente le dispositif légal et institutionnel en vigueur, est son caractère limité à la seule zone économique spéciale intégrée, à l’exclusion de toute autre zone économique spéciale (ZES) qui serait créée au Sénégal.

Réduire les coûts d’électricité

Cependant, même si la nouvelle législation semble relever ces manquements, pour que l’industrie se développe dans ces zones, le président de l’Upic a soutenu qu’il faut que le pays soit attrayant. Qu’il y ait des règles qui soient ‘’différentes’’ et que les industries qui s’y installent puissent bénéficier d’avantages fiscaux et douaniers qui auront un impact significatif sur leur compétitivité et leur croissance. ‘’Il y a beaucoup d’avantages certes, ne serait-ce que sur le plan des infrastructures, des équipements logistiques. Mais il faut surtout qu’on arrive à réduire les coûts d’électricité qui permettront à nos entreprises d’être encore plus compétitives. Mais c’est une bonne chose de créer les zones économiques. Elles permettront, avec le grand marché de la Zlecaf qui est déjà actée depuis le 1er janvier, de créer des produits qui engageront le marché sous-régional’’, dixit Amadou Seck.

Si le président de l’Upic estime que les ZES seront une opportunité pour les entreprises sénégalaises avec l’ouverture des frontières, dans le cadre de l’accord commercial continental, le directeur du Bureau sous-régional de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) pour l’Afrique centrale, lui, relève que la Covid-19 a eu un ‘’effet perturbateur’’ qui a orienté les politiques industrielles de contenu local du continent. ‘’Il est très important de renforcer les capacités de mise en œuvre de ces initiatives. Et ce modèle ne doit pas uniquement cibler les grandes entreprises. Il faudrait également intégrer les petites et moyennes entreprises (PME), d’où la pertinence et l’importance des politiques industrielles. Il s’agit de voir comment mettre en place une politique industrielle pour que les PME puissent intégrer les chaines de valeur. Les énergies renouvelables offrent beaucoup d’opportunités aux PME et aux jeunes start-up qui pourraient fournir des services complexes, des solutions adaptées’’, dit Antonio Pedro.

‘’L’Afrique peut emboiter le pas à la Chine’’

Le directeur du Bureau sous-régional de la CEA pour l’Afrique centrale, qui s’exprimait avant-hier, lors de l’édition 2021 du Forum africain de l’entreprenariat, a estimé qu’il faut que les Etats africains comprennent la profondeur de ces chaines de valeur. ‘’Ce qui nous permettra d’optimiser les avantages et les retombées en matière de développement. On doit privilégier les zones économiques spéciales. Malheureusement, il y a encore beaucoup de défaillances de marchés. Donc, il y a des institutions qui ont acquis une expérience dans leur appui aux Etats pour créer ces zones économiques spéciales. C’est là où ces premières sociétés pourraient s’installer et c’est ce qu’a fait la Chine ; et l’Afrique peut lui emboiter le pas’’, est-il convaincu.

Toutefois, il convient de noter que la réussite économique et industrielle de la Chine n’est pas uniquement liée à la création des ZES. D’ailleurs, dans un ouvrage collectif intitulé ‘’Transformation structurelle et émergente de l’Afrique’’ publié aux éditions Grandvaux, le Doyen honoraire de l’Ecole nationale du développement de l’université de Pékin, Justin Yifu Lin, a relevé que la Chine s’est retrouvée prise au piège de la pauvreté pendant des siècles. Ceci avant sa montée miraculeuse due au passage d’une économie planifiée à une économie de marché en 1979. ‘’Pendant ce processus, elle n’a pas suivi la recommandation du consensus de Washington d’éliminer simultanément toutes les distorsions de marché par une thérapie de choc. En outre, elle n’a pas hésité à appliquer une politique géographique ou sectorielle afin de soutenir les industries ciblées qui étaient mal accueillies par le secteur néolibéral. Par ailleurs, la Chine a adopté une approche à deux voies parallèles’’, explique-t-il.

Offrir une protection et des subventions transitoires aux entreprises non-viables

D’une part, dans le but de maintenir la stabilité économique et sociale, le théoricien de la nouvelle économie structurelle a signalé que le gouvernement a offert une protection et des subventions transitoires aux entreprises non-viables dans les anciennes industries prioritaires. D’autre part, il a libéralisé l’accès des entreprises privées à de nouveaux secteurs qui avaient été bridés avant la transition, mais qui concordaient avec les avantages comparatifs du pays. ‘’La Chine a aussi créé des zones économiques et parcs industriels spéciaux qui fournissaient des routes, de l’énergie, de l’eau et des égouts, et des guichets uniques pour surmonter les difficultés liées à l’état généralement lamentable des infrastructures et l’environnement des affaires’’, renchérit le Pr. Lin.

Enfin, d’après le directeur de l’Institut pour la coopération et le développement Sud-Sud, le pays a attiré des entreprises à fort contenu de main-d’œuvre situées dans les économies de l’Asie de l’Est nouvellement industrialisées et d’autres pays à plus haut revenu. Ceci, si bien que ces dernières ont relocalisé leurs usines de fabrication dans les nouvelles zones économiques et les parcs industriels. ‘’Cette approche pragmatique a permis à la Chine de maintenir sa stabilité tout en lançant une croissance fulgurante, et ce, en dépit d’infrastructures et d’un environnement d’affaires qui n’étaient pas favorables dans l’ensemble’’, fait savoir Justin Yifu Lin.

Il faut également souligner que le Sénégal, avec la faiblesse des revenus des populations et particulièrement des salaires des ouvriers qui sont bas, fait partie des pays d’Afrique où la Chine a relocalisé ses usines. Dans le Parc industriel intégré de Diamniadio (P2ID) inauguré le 22 novembre 2018, la société chinoise spécialisée dans la confection d’équipements sportifs, C&H Garments, y occupe une grande fabrique. A côté, on trouve, au moins, dans cette zone, cinq autres industries. Il s’agit de la Compagnie de tuyauterie industrielle du Sénégal (CTIS) dans la production de tuyaux PVC, de Sall Industrie, une société sénégalaise dans la confection industrielle. Il y a aussi, le groupe malien ADS, spécialisé dans la fabrication de panneaux solaires et le montage de vélos électriques, l’entreprise tunisienne Galion, qui s’active dans la production d’emballages plastiques, et la société sénégalo-ivoirienne Sewacard, spécialisée dans le développement de plateformes numériques et dans la fabrication de cartes biométriques.

A la question de savoir si les entreprises étrangères ne pompent pas l’air des industries sénégalaises dans les ZES, le président de l’Upic rassure. ‘’Il n’y a pas uniquement les multinationales. Au démarrage, j’étais à la zone Sodida et aujourd’hui, on est en train de s’installer dans la zone de Diamniadio. Il y a beaucoup d’entreprises sénégalaises qui sont sur place. Actuellement, la première zone de Diamniadio est complète et la majorité est constituée d’industries purement sénégalaises. Beaucoup de gens déplorent l’état du sol à Diamniadio, mais ce n’est pas une entrave. Les gens arrivent à construire. Si on fait bien l’étude de sol, on peut construire aisément un hangar à Diamniadio. C’est pourquoi, actuellement, cette zone est pleine. Le chef de l’Etat a dit, lors de son allocution à la nation le 31 décembre dernier, qu’il va octroyer encore 40 ha à l’Aprosi pour créer une zone industrielle, pour que les entreprises puissent s’y installer’’, affirme Amadou Seck.

3 QUESTIONS A SARAH SY (SP DU COMITE PARITAIRE PUBLIC-PRIVE DES ZES)

‘’Les ZES doivent être articulées de façon cohérente à l’économie locale’’

Certains acteurs privés estiment que les ZES promeuvent plus les entreprises étrangères que celles locales, et cela au détriment de l’économie nationale. Que pouvez-vous dire à ce propos ?

Le Sénégal a pris l’option stratégique de créer des Zones économiques spéciales (ZES) à travers la mise en œuvre de la réforme phare ‘’Zones économiques spéciales et paquets investisseurs’’ du Plan Sénégal émergent (PSE). Outre la disponibilité des facteurs de production, ces zones présentent l’intérêt majeur de renforcer la productivité du capital, du travail et les relations intersectorielles pouvant ainsi permettre d’atteindre les objectifs fixés par le PSE en matière d’augmentation des investissements directs étrangers (IDE), de développement du tissu industriel, d’exportations, de croissance économique et de création de richesses et d’emplois. Ces objectifs sont confortés par le Plan d'actions prioritaires ajusté et accéléré (Pap2A) dont l’ambition est de transformer durablement la structure de l’économie, en vue de la rendre plus compétitive et résiliente.

Pour atteindre ces objectifs, les ZES doivent être articulées de façon cohérente à l’économie locale. Il s’agira, précisément, d’une amélioration des exportations basée sur des industries ou services créateurs de valeurs et d’emplois, d’une meilleure structuration des chaînes de valeur agricole, touristique, industrielle grâce à une meilleure exploitation des potentialités locales, un développement plus harmonieux des initiatives nationales…

D’ailleurs, une Stratégie nationale de développement et de déploiement des ZES au Sénégal (SNDD/ZES) a été élaborée dans ce sens. Elle a pour principal objectif d’organiser le développement des ZES sur le territoire national, en tenant compte du Plan national d'aménagement du territoire (PNAT), des spécificités des territoires, mais aussi de l’articulation des zones avec l’économie locale, de la promotion des PME, de la création d’emplois, du transfert de technologie ainsi que de la valorisation des ressources locales pour un impact structurel à long terme sur le profil de l’économie.

En effet, au vu des expériences internationales, le rôle décisif que cet instrument peut jouer dans la relance rapide de l’économie et l’accroissement de la création de richesses sur tout le territoire national, n’est plus à démontrer. Beaucoup de pays ont connu des échecs dans leurs expériences de ZES par défaut de mise en cohérence entre leurs chaînes de valeur locale et les entreprises installées dans les ZES. C’est le cas de l’Inde. A l’opposé, des pays comme la Chine ont pu, à travers notamment le transfert de technologie, apprendre des entreprises étrangères installées dans les ZES, mettre à niveau leurs industries et leur main-d’œuvre locales afin d’effectuer une véritable révolution industrielle qui a été le soubassement de son développement économique.

Le fort potentiel de croissance dont dispose le Sénégal à travers ses ressources naturelles (produits halieutiques, agricoles, miniers, pétrole, gaz…), la qualité de ses ressources humaines, mais aussi sa position géographique privilégiée et sa stabilité politique constituent une formidable opportunité pour asseoir, à travers les ZES, entre autres, la base du développement industriel tant attendu qui profitera aussi bien aux acteurs du privé local qu’à toute la population sénégalaise.

Votre comité est chargé de se prononcer, à titre amiable, sur les recours portés à sa connaissance dans la gestion des ZES et relatifs aux litiges entre les différents acteurs. Est-ce qu’il y a eu déjà des litiges entre acteurs ?

A date, les principaux dossiers traités sont relatifs à des cas d’extinction de conventions de promoteurs-développeurs entre l’administrateur des ZES Apix SA et certains promoteurs-développeurs. Pour l’instant, il s’agit moins de litiges que de cas soumis au comité pour orientations et conseils. Ils ont tous été traités à l’amiable. Le foncier est un facteur de production très important pour le déploiement des ZES.

Mais aussi très sensible au Sénégal, car souvent, les populations s’estiment dépossédées de leurs terres pour des projets qui, soit ne sont pas réalisés, donc détournés de leurs objectifs pour faire de la spéculation foncière, soit ne leur apportent pas de bénéfices. Pour éviter ces scénarii, le cadre juridique des ZES, notamment les lois n°2017-06 et 2017-07 du 6 janvier 2017 portant respectivement sur les ZES et sur le dispositif d’incitations applicables, prévoit que les terrains des sites érigés en ZES doivent être placés sous la gestion de l’administrateur des ZES du Sénégal Apix SA qui, à son tour, délivrera des baux emphytéotiques aux promoteurs/développeurs.

Aussi, le décret portant création d’une ZES vaut déclaration d’utilité publique et encadre, par conséquent, l’expropriation éventuelle qui en découlerait, notamment la juste et préalable indemnisation des personnes impactées.

Cependant, il arrive souvent que la libération des emprises prenne du temps, parce que déjà occupées par les populations autochtones, y compris sur des titres fonciers détenus par des structures de l’Etat.

Par rapport aux attributions foncières, existe-t-il des challenges auxquels l’Etat fait face dans le cadre de l’installation des ZES ?

Le foncier est un facteur de production très important pour le déploiement des ZES. Mais aussi très sensible au Sénégal, car souvent les populations s’estiment dépossédées de leurs terres pour des projets qui, soit, ne sont pas réalisés, donc, détournés de leurs objectifs pour faire de la spéculation foncière, soit ne leur apportent pas de bénéfices. Pour éviter ces scénarii, le cadre juridique des ZES notamment les lois n° 2017-06 et 2017-07 du 06 janvier 2017 portant respectivement sur les ZES, et sur le dispositif d’incitations applicables prévoient que les terrains des sites érigés en ZES doivent être placés sous la gestion de l’Administrateur des ZES du Sénégal Apix sa qui, à son tour, délivrera des baux emphytéotiques aux promoteurs/développeurs.

Aussi, le décret portant création d’une ZES vaut déclaration d’utilité publique et encadre, par conséquent, l’expropriation éventuelle qui en découlerait, notamment, la juste et préalable indemnisation des personnes impactées. Cependant, il arrive souvent que la libération des emprises prenne du temps, parce que déjà occupées par les populations autochtones, y compris sur des titres fonciers détenus par des structures de l’Etat.

MARIAMA DIEME

 

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