Publié le 13 Jun 2012 - 19:00
2NDE SESSION DE LA COUR D’ASSISES (1ère partie)

Le president Sène sur la comparution des témoins

André Bob Bène, président de la 2nde session de la cour d’assises

 

Président de la 4ème Chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Dakar, André Bob Sène a présidé la seconde session de la Cour d’assises de Dakar. À la suite de l'entretien accordé mardi à ‘’EnQuête’’, le juge aborde, entre autres, l'absence des témoins devant les Cour d'assises, la suppression du jury populaire et le flop des assises militaires.

 

 

Au terme de la seconde session de la Cour d’assises de Dakar, pensez-vous qu'il faille revenir au jury populaire ?

 

Je ne suis ni pour, ni contre, pour avoir déjà pratiqué les deux. J’ai été dans des audiences d’Assises avec les jurés. Ce qui m’avait frappé, c’est que l’émotion passe pour eux devant l’application de la loi et qu’ils ne peuvent pas comprendre quand ça se passe autrement. Ce qui, par exemple, lie le juge, dans le cas de vol aggravé, pour qu'il ne retienne pas de circonstances atténuantes, ils ne peuvent pas le comprendre. Si bien que, comme c’est la loi de la majorité avec les jurés, il peut y avoir d’interminables débats. C’est à peine si, en voyant par exemple l’accusé pleurer, ils n’oublient pas la victime… Il y a les droits de la défense certes, mais aussi les droits de la victime et la réponse qu’apporte la société. Il faut un juste équilibre.

 

Aux assises, notre travail ce n’est pas d’appliquer la loi, d’aligner des verdicts. Quand on prend une décision, on la discute, on pèse et on soupèse. Et j’ai eu beaucoup de maîtres en la matière, des magistrats prestigieux qui ne sont plus de ce monde. Je veux parler de Bara Niang, de Lamine Coulibaly, d’éminents magistrats. Ils m’ont appris à ne pas prendre de décision à la légère, car la liberté est pour l’homme ce qu’il y a de plus précieux. Quelqu’un avait un jour, par une boutade, émis l’idée de donner aux juges un sens de ce qu’est vraiment le milieu carcéral, en les mettant en prison pour 15 jours, lorsqu’ils sont à l'ENA (Ecole nationale d’administration). Comme cela, ils y réfléchiraient à deux fois avant d’y envoyer quelqu’un. Je suis d’accord. Je pense également que ce n’est pas la bonne méthode. Il faut peser et soupeser, parce que les victimes elles aussi ont des droits. La rupture dans la société que pose un acte criminel, l’émoi qu’il occasionne, l’ordre public qu’il perturbe, il faut penser à la douleur de la famille des victimes. Ils ne pourront pas comprendre qu’ayant perdu l’être qui s’occupait d’eux, leur soutien de famille, quelques années plus tard, parce que tout simplement il y a une politique judiciaire qu’on a initiée, ils aient à revoir la personne ayant commis le crime dans leur quartier.

 

 

Nous constatons, de plus en plus, une disqualification de crimes en délits. Cette situation n’est-elle pas due à la suppression de la seconde phase de l’instruction ?

 

Non ! Avec la vertu de cette réforme de 2008, toutes les parties peuvent soulever des exceptions de nullité. Ce qui n’était pas possible avec le degré de double juridiction. Parce qu’on estimait que toutes les nullités avaient été purgées. Par exemple, si par malheur l’on se rend compte que l’accusé était mineur, au moment des faits, la Cour se déclare automatiquement incompétente. Cette suppression évite les longues détentions préventives qui ne s’expliquaient pas. Les procédures ne sont plus allongées, car le juge d’instruction renvoie directement l’accusé devant une Cour d’assises, sans passer par la chambre d’accusation. Maintenant, le fait que les gens disqualifient souvent, c’est par rapport aux circonstances : lorsqu'il y a eu meurtre, le fait qu’on n’ait pas pu établir l’intention de donner la mort, parce que c’était une bagarre et que chacun avait un couteau. La jurisprudence en son temps c’était quoi ? Le juge regardait les parties du corps visées à savoir les parties sensibles pour en déduire une intention de donner la mort. Car, si on n'avait l’intention que de faire du mal, on peut viser les pieds, au lieu de la région du cœur ou de la clavicule. Mais, à l’audience, on fait une petite reconstitution des faits qui nous permet de déterminer l’intention de donner la mort. En cas de disqualification, cela nous amène à une peine correctionnelle différente des travaux forcés.

 

 

Où en est-on du projet d’indemnisation des victimes de longue détention ?

 

Je n’en sais rien. C’est une question qui relève du Ministère de la Justice. Je crois qu’ils sont en train de réfléchir là-dessus.

 

 

Qu’est-ce que cela vous fait de voir certains avocats s’attaquer à une procédure pour une raison ou une autre ?

 

Nous sommes dans la même maison. Les avocats sont dans leur rôle. Ce sont les règles du jeu. Ils cherchent, par tous les moyens, à sortir leur client. Il ne faut simplement pas chercher à tromper ou à utiliser la malice, parce qu’en droit nous sommes entre techniciens. Il y a un certain nombre d’exceptions qui peuvent profiter à l’accusé parce que le code de procédure pénal est là pour cela.

 

 

Et si l’avocat tire en longueur, lors de sa plaidoirie, à cause de considérations et non d’arguments de droit ?

 

Si sa stratégie est de provoquer le tribunal, nous restons sereins. Je laisse la personne dérouler toute sa stratégie, car il a lu son dossier tout comme moi. Moi mon rôle est de l’écouter et de prendre la décision. Des fois, cela peut paraître long, mais mon rôle est de l’écouter et le recadrer, en lui disant : ‘’Maître venez-en aux faits’’. Il y en qui le prennent bien, d’autres non. Il vous disent : ‘’Moi, je défends mon client. Il risque tant, tant d’années de prison’’. Il a raison, il est avocat, moi je suis juge. Je ne suis pas de l’autre côté de la barre. Je respecte la liberté des avocats. L’essentiel est qu’il n’y ait pas d’incidents, parce qu’on a le même but, à savoir la manifestation de la vérité et arriver à une décision juste et acceptée.

 

 

En parlant de décision juste et acceptée, avez-vous le sentiment que les décisions prononcées durant la session étaient justes et acceptées ?

 

Juste ? J’en ai le sentiment, en mon âme et conscience, parce qu’on est là pour respecter la loi. Acceptée ? Peut-être pas, car tout dépend du bord où l’on se trouve. Lorsqu’une personne fait appel, cela veut dire qu’elle n’a pas accepté la décision, or des appels, ça ne manque pas forcément.

 

 

Pensez-vous que les assises sont bien organisées, si l’on sait que les témoins comparaissent rarement alors qu’il n’en manque pas ?

 

C’est un gros problème. Il y a des témoins déterminants qu’on aurait voulu entendre. Avec l’organisation des Assises, quelqu’un peut recevoir une citation à personne, c'est-à-dire en main propre. On se dit que cette personne va venir. Le jour de l’audience, on ne peut pas savoir si elle viendra. Plusieurs raisons l'expliquent, dont la peur. Dans les dossiers d’agression, le témoin peut habiter le même quartier que l’accusé. Le témoin a peur de représailles, car il ignore s’il va sortir ou rester en prison. C’est compréhensible, mais leur comparution nous aurait aidés à éclairer davantage la Cour.

 

 

Les avocats de la défense sont prompts à décrier les procès-verbaux d’enquête préliminaires. A votre avis, les policiers et gendarmes mènent-ils correctement les enquêtes ?

 

Les procès-verbaux d’enquête préliminaires sont les premiers éléments que nous avons dans le dossier. Il n’y a pas que la police et la gendarmerie qui peuvent les fournir, parce qu’ils étaient là au moment de l’arrestation. Mais généralement, les accusés disent à la barre qu’ils ont été tabassés. En droit, ces Pv ne valent qu’au titre de renseignements. Mais nous, on recoupe par rapport à ce qu’il a dit devant le juge d’instruction. S’il y a une version vraisemblable- je ne dis pas vrai- on peut analyser et dire que la version servie devant les policiers est la plus plausible. Surtout que lorsqu’ils sont arrêtés, ils sont suivis par la clameur publique. Pour éviter d’être lynchés, ils se rendent à la police où ils avouent tout, mais au bout de 2 ans, 3 ans d’instruction, ils accusent les policiers de les avoir chargés. Or, ils avaient même donné une description circonstanciée des faits. Comment les policiers peuvent-ils inventer des noms, des lieux, des dates ? Ce n’est pas possible.

 

 

Parlons de la Cour d’assises militaire dont les deux affaires inscrites au rôle ont été renvoyées pour cause d’irrégularité de la procédure. Votre commentaire ?

 

La Cour d’assises militaire a échappé à la réforme de 2008. Mon point de vue est que chacun a droit à un procès équitable. La Cour n’a certes pas été régulièrement saisie, mais, il fallait voir le grief invoqué par l’accusé, par rapport à cette saisine. Si ses droits sont préservés, l’essentiel est qu’il soit jugé. Parce qu’on ne peut pas faire une instruction pendant 5 ans et venir dire que la Cour est mal saisie, or c’est le seul jour où tu peux t’expliquer sur les faits pour pouvoir t’en sortir ou retourner en prison.

 

 

Est-ce que ce n’est pas de l’impréparation pour des juristes ?

 

Il ne faut incriminer personne. C’est un problème de textes. Ils n’ont pas été revisités et remis à jour. Il fallait une réflexion pour réaménager les textes, mais entre-temps la procédure est venue. Donc les gens ont privilégié la tenue d’un procès pour que les gens qui ont duré en prison puissent avoir justice que de se formaliser à des questions de procédure. Ce qui est capital, c’est que la personne s’explique.

 

 

Pensez-vous que la composition de la Cour d'assises militaire soit équilibrée, si l’on sait qu’il n'y a qu’un seul magistrat professionnel entouré de deux assesseurs et quatre jurés militaires appartenant au même corps que l’accusé ?

 

Cela peut paraître bizarre, mais c’est toujours l’ancien texte. Puisque c’est la loi de la majorité et si automatiquement il y a le réflexe de corps, il n’y aura pas de décision de condamnation, car le magistrat peut être mis en minorité. Il faut réfléchir sur la réforme et être en phase avec nos engagements internationaux.

 

(la deuxième partie)

 

FATOU SY &

SOPHIANE BENGELOUN

 

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