Publié le 25 May 2019 - 02:54
AÏDA SECK ET AWA DIAGNE GUERIES DE FISTULE

Un destin, deux vies

 

Aïda Seck et Awa Diagne sont unies par la fistule obstétricale, mais mènent des vies différentes. Réparées après des interventions chirurgicales, l’une s’adonne au commerce et l’autre aide les femmes marginalisées. En marge de la journée mondiale célébrée hier, ‘’EnQuête’’ leur a donné la parole.

 

Quand Aïda Seck traitait son handicap, elle ne se doutait de rien. Elle est tombée d’un étage et est restée paralysée pendant des années. En 1997, cette habitante de Ngaye Mekhé a décidé de se faire traiter. Elle a passé des mois à l’hôpital. Cinq années après le traitement de son handicap, elle découvre une autre maladie : la fistule obstétricale. Ce, après seulement 6 mois de mariage. Un coup terrible pour elle. Elle prit la décision radicale de rompre son mariage pour mieux se prendre en charge.

‘’Quand je suivais mon traitement pour le handicap, on m’a sondée. J’ai cru que c’est la sonde qui est à l’origine de cette maladie’’. Le courage en bandoulière, elle a continué son combat jusqu’en 2006, année de sa deuxième opération. ‘’Ma première opération a été très difficile, car c'est au moment où j'espérais remarcher que j’ai contracté la maladie. On m'a demandé de payer 340 000 F Cfa. En ce  moment, je n'avais même pas 5 000 F. C’est feu Deguène Chimère Diaw qui a payé mes frais d'opération’’, raconte-t-elle sur sa chaise roulante.

Si Aïda Seck a mis fin à son mariage pour traiter sa maladie, ce n’est pas le cas pour Awa Diagne. Teint clair, habillée d’une taille basse rouge, cette jeune fille vient de fêter son 27e anniversaire. Mariée à l’âge de 21 ans dans sa ville natale Fatick, Awa est réparée de la fistule, tout comme Aïda Seck. Pour elle, la fistule est une maladie comme toutes les autres. Guérie de cette maladie grâce aux interventions chirurgicales, elle rend un grand hommage à son mari.  

‘’En 2006, alors que j’étais en état de grossesse, j’ai eu une crise d’épilepsie. Le bébé est mort dans mon ventre et y est resté 4 jours durant. C’est au moment de le sortir que j’ai eu des complications qui m’ont causé cette maladie. J’ai accouché d’un mort-né’’, confie Mme Diagne.

Après trois mois passés à l’hôpital, elle a vécu sa maladie avec dignité et courage. Le plus important, à son avis, c’est le soutien de sa famille, surtout son mari. ‘’Beaucoup de femmes ont perdu leur mari et quitté leur foyer, à cause de la fistule, mais je fais exception. A un moment, j’ai voulu tout abandonner, mais mon mari m’en a dissuadé. Matin, midi et soir, il était à mon chevet. Je n’étais pas abandonnée. Je faisais tous les travaux ménagers, comme toute femme dans son ménage. Personne, à part ma famille, n’était au courant de ma souffrance’’, explique-t-elle.

Elle prenait soin de son hygiène de vie pour ne pas déranger. ‘’Ma chambre, ma maison, mes habits, tout était propre, pas d’odeur d’urine ou quoi que ce soit. Personne ne pouvait imaginer que je vivais avec cette maladie’’.

Si Awa a si bien pris soin d’elle, de son hygiène de vie, entre autres, c’est pour échapper au regard de l’autre. Car, le plus gros problème des malades de fistule, dit-elle, c’est l’odeur nauséabonde. Aïda Seck souligne que le premier problème, c'est la protection ; certaines prennent les couches pour s'en sortir. ‘’Une couche coûte 700 F et il en faut 4 par jour. Si vous faites le calcul par mois et par an, c'est difficile pour celles qui sont dans mon cas et qui prennent l'appareil. Depuis 2006, je le prends. Il coûtait 2 000 F. Aujourd'hui, il est à 3 750 F. Avec tout ce qui s'ensuit, cela fait 6 500 F le tout et à renouveler chaque 5 jours. Ce n'est pas facile à supporter comme charge’’. Cette dernière demande de l’aide pour l’achat des couches, des appareils, des financements durables.

Après réparation de la fistule, les femmes sont orientées au centre Guindi, où elles bénéficient chacune d’un financement de 500 mille francs de l’Etat pour les appuyer dans les activités génératrices de revenus. Dans ce centre, elles perçoivent une fois du matériel de soins. ‘’Nous voulons travailler. D'ailleurs, nous nous sommes constituées en  groupe. Nous avons adressé une demande d'obtention d’un récépissé. Parce qu’il  y a des femmes qui ont des problèmes de logement’’, explique Aïda Seck, par ailleurs présidente de ce groupe.

Awa Diagne fait partie de ce groupe dirigé par Mme Seck. D’ailleurs, toutes les deux ont reçu la moitié de leur  financement ; la seconde partie est en voie. ‘’Avec la moitié de mon financement, j’ai commencé à faire du commerce. Je vendais du poisson séché, des sacs, des chaussures. Mais maintenant, j’ai une boutique cosmétique et je rends grâce à Dieu’’.

Aïda Seck aide les femmes marginalisées. ‘’Mon déplacement n'est pas chose aisée et j'ai vécu 10 ans avec la maladie. Cela, sans pour autant connaitre ce qu'était la fistule. Quand je me suis rendue à l'hôpital, on m'a dit qu'il y a des femmes qui sont dans des conditions de rejet ou de discrimination. J'ai bénéficié d'une formation et j'ai pris l'engagement d'épauler toute femme qui souffre de la fistule. Si beaucoup de femmes ont bénéficié de cet appui budgétaire, c'est grâce à moi. Aujourd’hui, elles n'ont plus besoin de la couche ou des appareils. Tant qu'il y a la vie, il y a toujours de l'espoir. Si je peux mener ma vie en tant que femme handicapée, il n'y a aucune raison qu'une femme atteinte de fistule pense que la vie s'arrête. Non, elle doit se battre’’.

FISTULE OBSTETRICALE

17 femmes opérées à Hoggy

Au Sénégal, beaucoup de femmes sont victimes de la fistule obstétricale et vivent dans des coins reculés et difficiles d’accès. Une maladie qui intervient généralement à la suite d’un accouchement compliqué. Isolées par leurs familles respectives, analphabètes et sans moyen financier, elles vivent l’enfer sur terre.

Selon l’urologue à l’Hôpital général de Grand-Yoff (Hoggy), Docteur Issa Labou, la situation de la fistule au Sénégal reste la même dans les pays au sud du Sahara, en particulier ceux du Tiers-monde. ‘’Nous sommes dans un pays pauvre et la fistule ne survient que dans les pays pauvres. On constate au moins 2 millions de femmes atteintes dans le monde. Au Sénégal, il n’y a pas encore une étude exhaustive qui permet de dire le nombre exact. Mais on estime entre 200 à 400 femmes atteintes, chaque année, de fistule’’, a révélé le médecin, hier, au cours d’une visite au centre d’urologie dudit hôpital.

‘’La véritable cause de cette maladie, c’est la non-assistance de la personne pendant l’accouchement. Soit le travail a duré longtemps ou la prise en charge a été retardée. Les mariages précoces, les mutilations génitales, l’inaccessibilité des services de soins et autres sont des facteurs qui favorisent la fistule et non des causes. Cette année, nous avons opéré, pour l’instant, 17 femmes et le travail continue’’.

Pour mettre fin à la souffrance des femmes atteintes de fistule, le pays a démarré une prise en charge, depuis 2008. ‘’Nous organisons de manière régulière des descentes dans les régions. On fait des camps de réparation de fistule, mais également des  formations de personnel de sensibilisation. Actuellement, à Hoggy, le travail est routinier. Chaque jour, on opère les femmes, au fur et à mesure. Cela rentre dans le cadre du programme du service. Mais, malheureusement, à l’intérieur du pays, les femmes attendent encore. Le plaidoyer est de réparer toutes les femmes, là où elles se trouvent’’, souligne Dr Labou. A l’en croire, il est bon de réparer les fistules, mais le mieux, c’est la sensibilisation, même si le traitement est gratuit.  

VIVIANE DIATTA

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