Publié le 21 Apr 2018 - 03:00
ABDOULAYE DIALLO (ARTISTE PEINTRE)

‘’Quel que soit le thème, l’art a cette force de tout transformer en beau’’

 

L’artiste Abdoulaye Diallo, surnommé ‘’le berger de l’île de Ngor’’, a fini de transférer ses œuvres d’art à la Bibliothèque universitaire de Dakar. Un évènement fort en émotion, si l’on sait l’attachement du peintre à Ngor.  Mais heureusement qu’il a eu le soutien infaillible des jeunes du village qui l’ont accompagné du début à la fin. A la Bibliothèque universitaire de l’Ucad, les tableaux attendent d’être accrochés. Ils seront sur ces cimaises créées pour la circonstance, le temps de la 13e Biennale de l’art africain contemporain. En attendant, le peintre revient, dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, sur les temps forts de son parcours.

 

Comment avez-vous vécu ces moments ?

Pour quelqu’un qui considère l’île de Ngor comme son amante, il est toujours difficile de lui arracher ses atours pour les amener ailleurs. Cela était nécessaire, parce que je l’ai fait à la demande d’un ami, Pr. Maguèye Kassé. Quand j’ai accepté, il a réussi quasiment à pousser toute la communauté universitaire à s’approprier cette affaire et en faire leur affaire. Quand j’ai senti cet élan, cet enthousiasme habiter les uns et les autres, je me suis dit que cette affaire n’est plus la mienne. C’est celle de l’Université Cheikh Anta Diop et des universitaires. Pour preuve, l’ensemble des contacts qui avaient été pris ont eu des accords partout, de M. Arona Ndiaye, Directeur de la Bu, à Monsieur le Recteur Ibrahima Thioub. Ce dernier a non seulement donné son accord, mais il a fait un texte que nous mettons dans le catalogue, de même qu’Arona. Toute la communauté universitaire s’est investie dans cette affaire.

Donc, ce n’est plus l’exposition d’un artiste-peintre, mais l’affaire d’une université et des universitaires. Leur engagement est réel. Dans le catalogue, il y a un texte du Pr. Souleymane Bachir Diagne qui est venu me visiter jusque sur l’île de Ngor. Il s’est également engagé à participer à cette table ronde qui traitera du même thème que celui de l’exposition : ‘’Quelle humanité pour demain’’. Imaginez-vous que le Pr. Penda Mbow a fait le déplacement en boubou pour venir me voir sur l’île. Cela m’avait énormément flatté. Entre autres, nous avons eu l’engagement d’autres professeurs, de grands universitaires sénégalais comme le Pr. Saër Thiam qui, pendant longtemps, était un petit peu mon idole, parce que je voulais être mathématicien comme lui. Il était professeur à Paris et moi j’étais étudiant. Il y a eu d’autres professeurs comme Bana Ndoye qui s’est engagé à être le rapporteur de la table ronde.

Du monde est attendu également de l’étranger.

Il y a des amis Français du Pr. Maguèye Kassé dont Jean-Louis Georget qui est professeur titulaire des universités, qui officie à Sorbonne 3, qui est en même temps chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il y aura une responsable du musée Quai Branly - Sarah Frioux-Salgas - qui devait être accompagnée du directeur de l’Enseignement et des Collections du même musée. Ce dernier ne pourra pas être là pour des raisons logistiques le 2 mai, mais après cette date. J’ai pu également avoir le soutien du ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly, un soutien et appui institutionnel de Madame la Secrétaire générale de la Biennale. Moi, ce qui m’a intéressé, en dehors du fait qu’il y a une part de moi qui appartient aux autres, après réflexion suite à la demande du Pr. Maguèye Kassé, je me suis dit que c’était quand même une belle occasion de faire cette sortie. Qu’on l’appelle émigration, ‘’gadaay’’ des œuvres, ce n’est pas le plus important.

Ce qui est important, c’est de montrer le lien qu’il peut y avoir entre l’art et la science et toutes les sciences. Tout s’enseigne ici. L’université est une très belle ville de 5 000 habitants. C’est aussi un grand laboratoire de diffusion du savoir. Nous sommes dans un monde qui est gouverné par le savoir et particulièrement par le savoir technique et le savoir-faire technologique. Nous avons tout intérêt, si nous voulons être de ceux qui boostent ce pays pour montrer le lien qu’il peut y avait entre N activités. Ne serait-ce que pour cela, cette expo est extrêmement importante. Elle est tout aussi importante parce que nos journées, au Sénégal, sont souvent rythmées de déclarations de provocateurs d’émotions collectives, de déclarations totalement nocives à notre population, notre humanité. Il est, par moments, bien que l’art suive sa véritable mission, c’est-à-dire de donner l’information qui apaise, et c’est extrêmement important. Quel que soit le thème, l’art a cette force de tout transformer en beau. Quand la folie des hommes va dans un sens, l’art peut venir offrir le bonheur à celui qui y poserait son regard.

Y a-t-il un lien entre la thématique de votre exposition, ‘’Quelle humanité pour demain’’, et celle de la biennale, ‘’L’heure rouge’’ ?

Il y a forcément un lien. C’est vrai que la biennale communique beaucoup actuellement autour de ‘’L’heure rouge’’. Mais, en réalité, je crois que le premier texte disait ‘’Je suis l’heure rouge’’, empruntée à Aimé Césaire, plutôt extraite de sa pièce de théâtre ‘’Et les chiens se taisaient’’.  Cela annonce une certaine forme d’émancipation, de métamorphose. C’était à un moment X de notre époque. Ce grand homme qu’est Aimé Césaire avait une certaine pensée pour l’Afrique et pour les Africains. Il annonçait réellement l’émancipation et la métamorphose.

Aujourd’hui, à l’an 2018, quand on parle de cela, on a les idées tournées vers autre chose. La partie internationale de la biennale parlait d’une nouvelle humanité. Je le précise, parce que le français n’est pas une langue approximative. On allait vers un référentiel Frantz Fanon qui est aussi une immensité du monde noir. Je pensais que le thème n’était pas suffisant fort pour réellement traiter du sujet. Pour un problème de raisonnement et de cœur, je me suis dit que je ne traiterais ni  l’un ni  l’autre. Je vais aller vers quelle humanité pour demain ? Mais, enfin, je ne peux parler de celle-là sans parler de métamorphose. Donc, je suis dans ‘’l’heure rouge’’. Je ne peux parler de quelle humanité pour demain sans faire l’inventaire d’une nouvelle humanité. C’est tout simplement un problème d’interprétation, de questionnement. Mon cœur a agi autrement. Ce qui est important, aujourd’hui, c’est faire les constats et ne pas nous limiter à cela.

Quand on parle de l’histoire, souvent, on a tendance à installer, dans le cerveau de nos enfants, que l’histoire se limite à raconter le passé. Ce n’est pas suffisant. Parce que ce passé, d’autres explorateurs artistes avaient utilisé les supports qu’ils avaient à l’époque, les roches, les parois des grottes pour raconter des humanités qui étaient dans leur volonté de survivre. L’art préhistorique revient très fortement sur la scène. D’autres artistes, selon les époques qu’ils ont vécues, ont traité de l’histoire présente qui constitue un passé récent pour nous. On ne peut parler d’histoire sans parler du présent. On a l’habitude de dire que les journalistes sont les historiens du présent. On va parler donc du passé, du présent, mais sous plusieurs aspects.

Ce sont les seuls points que vous allez développer ?

On parlera de société, parce que j’aime citer l’exemple des demoiselles de ‘’Xurum Bouki’’ parce que j’ai vu les souffrances de ces filles-là, les souffrances de ces femmes aujourd’hui. Les manières et les styles changent, mais la souffrance en tant que telle demeure. J’ai voulu un plaidoyer pour la femme. On parlera politique, parce que ce sont ceux-là qui ont pris l’engagement solennel de servir les nations, les hommes et les femmes de leurs pays et de leur assurer trois choses : l’épargne de leur sang, meubler leurs cerveaux et leur permettre de vivre une certaine santé. Ce sont les politiques qui prennent cet engagement. On ne peut pas faire une expo comme celle-là et ne pas parler de politique. On parlera de la finalité de la démocratie.

Ce mot devient de plus en plus, en plus creux, fort, pas fort. On y extrait des choses, on en rajoute, on en parlera et c’est extrêmement important et surtout ici à l’université où on est au temple du savoir. On parlera d’une marche dans une société de défiance, parce que nombreux sont les pays qui ne comprennent pas que certaines libertés puissent s’exercer comme le veulent les différentes constitutions. Je ne vais pas rentrer dans une situation locale, je vais parler de l’humanité dans sa globalité. On parlera des nécessités d’une émergence. Ce mot est un petit peu galvaudé aujourd’hui. On l’attribue à une communauté, même si quelque part j’appartiens à cette communauté, le mot ‘’émergence’’ est un mot français qui, avant tout, a un contenu bien précis. Il faut un certain nombre de choses pour aller vers l’émergence.

Il reste un domaine extrêmement important et c’est ce qui m’a poussé à aller vers ce thème. On va parler de la conscience historique qui nous permet d’ouvrir trois chapitres essentiels : les annonces, les attentes et les promesses. Là, on rentre dans la science. Aujourd’hui, nous vivons une ère qui est particulière. On est dans ce que j’appelle l’’’ère de l’accélération simultanée’’. On va parler de la loi du marché. Les économistes sont concernés. Tous les deux jours, on invente un nouveau concept économique. On ne peut pas se projeter sur le futur sans nous inquiéter des violences climatiques. On ne peut pas ne pas en parler. Ce qui emballe tout ça, c’est un homme, une proposition : la loi Moore. Gordon Moore, à un moment lumineux ou fou de sa vie, a suggéré que l’on multiplie les puissances des ordinateurs par 2 tous les deux ans. Tout a commencé à s’emballer à partir de cette date.  Le monde va trop vite, tellement vite que la dysmétrie est de plus en plus visible et constante, surtout entre la vitesse de changement et la capacité de l’Homme, des sociétés. Le gouvernement ne  crée pas des amortisseurs sociaux nécessaires pour permettre aux citoyens du monde de tirer meilleur profit de cette science ou d’en atténuer les effets pervers.

Donc, si aujourd’hui, au sortir de cette table ronde et cette exposition, nous réussissons une chose, qui est de suggérer une piste ou moraliser cette science-là, je dis que l’objectif a été atteint. 

Quel sort sera réservé aux résultats de la conférence prévue dans le cadre de cette exposition ?

Le document de synthèse qui sera fait à la sortie de cette table ronde et les différents écrits que nous avons, devront être consignés dans un document. Ce document de synthèse sera mis en ligne dans le site de l’université, dans  celui de l’artiste et celui qui souhaiterait l’avoir, parce que cette exposition est dédiée aux étudiants et à la jeunesse. Il faut qu’on fasse en sorte que les générations à venir n’aient pas à payer le coup de nos turpitudes. Et pour cela, si un politique ne le dit pas, la petite voie d’un petit artiste le dira et il faut que cela cesse. Il faut réellement qu’on se pose sur le minimum et qu’on essaie d’avancer pour laisser, je ne dirais pas le meilleur, mais une touche de bien à ceux qui vont venir. Nous tenterons un petit peu tout cela et on essayera de voir comment faire pour y arriver.

Au-delà maintenant des étudiants et de la jeunesse, nous sommes dans un pays particulier où l’art est apprécié dans une  certaine manière. Mais je dis que tout le monde gagnerait à venir s’approprier cette chose. Ce n’est plus l’exposition d’Abdoulaye Diallo, c’est une affaire de tous. Tout le monde s’affole, en parlant de pétrole, alors que l’art offre plus de possibilités que ce pétrole-là et sans guerre, sans conflit particulier. 2017 a généré 2 milliards de dollars réellement enregistrés avec une traçabilité correcte et aucun Africain n’a été là-dedans. Nos institutionnels, je le dis tout haut, gagneraient à consacrer du temps a cette biennale, à visiter les expositions. Je commencerais par les parlementaires qui ont la charge de légiférer sur nombre de choses.

Comment peuvent-ils le faire s’ils ignorent totalement nos préoccupations ? Il faut que cela cesse. Il faut que nos parlementaires sortent de l’Assemblée nationale. Il n’y a pas plus grande manifestation que la biennale que le Sénégal reçoit tous les 2 ans. Pendant 30 jours, nous recevons des milliers de personnes étrangères dans ce pays, qui viennent nous annoncer des choses. Il faut que nos institutions sortent et fassent sortir les populations. Chaque parlementaire se devrait d’aller chercher au moins un noyau dans sa localité, financer leur arrivée dans les lieux d’exposition particuliers et leur montrer ce que c’est que l’art, en leur permettant de vivre des moments d’échanges avec les artistes, des commissaires et des autres médiateurs culturels.

Cela doit être la même chose au niveau du Conseil économique, social et environnemental. Ils ont la charge de donner des avis. Cela doit être la même chose à la Médiature de la République. On ne peut pas comprendre le problème des uns et des autres, si on ne s’attache pas à aller comprendre ce qu’ils font et comment ils vivent. Cela devrait être également le cas du Haut conseil de la République et des collectivités locales. C’est aussi et obligatoirement le cas des membres du gouvernement. Je n’ai pas la prétention de dire qu’ils se doivent d’être à niveau. Ils connaissent certainement mieux que moi l’art,  mais il faudra qu’ils fassent énormément d’efforts. Et, par extension, le patronat doit participer et c’est l’affaire de tous. Je serais suivi ou pas, c’est sans importance, mais je le dirais en toute liberté et avec courtoisie.

BIGUE BOB

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