Publié le 16 Jan 2015 - 18:06
ABSENCE DE LA DEFENSE

Karim en grève de la faim

 

Après l’expulsion de Me Sall, le désistement de son groupe d’avocats, et son ‘‘recadrage brutal’’ d’avant-hier, le fils du président Abdoulaye Wade radicalise sa ligne de conduite. L’ancien ministre adopte une nouvelle stratégie dans la dénonciation d’un ‘‘procès politique’’.

 

L’ancien ministre de l’Énergie s’engouffre dans la brèche créée par les incidents de l’audience du mardi. L’absence de son pool d’avocats est pour lui l’occasion de renforcer la configuration du ‘seul contre tous’. Une situation qui met la Cour dans une position de plus en plus inconfortable. Le détenu le plus célèbre du pays met la pression, en annonçant ne plus vouloir s’alimenter. ‘‘Ce qui se passe à la CREI est extrêmement grave. Mes droits sont violés, ainsi que celui des autres détenus. Je suis dans l’impossibilité de me défendre. J’ai décidé d’entamer une grève de la faim qui a commencé hier soir (Ndlr : avant-hier). Je la suspendrai, lorsque je serai rétabli dans mes droits’’, a-t-il dit.

Invité à interroger Mathiaco Bessane à la reprise d’audience, Wade-fils en a profité pour réitérer ses propos tenus dans la matinée. Toujours boitillant, son ample pantalon blanc a laissé transparaître une genouillère. Plus offensif, plus précis dans ses affirmations, Karim a ouvertement apostrophé les personnes qu’il considère être à l’origine de ses déboires judiciaires. ‘‘ Je vous tiens, vous M. le président, pas vos assesseurs, vous et le président de la République, Macky Sall, responsables de tout ce qui pourrait m’arriver ! Je présente mes excuses à Serigne Touba et à mes parents’’, a déclaré Karim. Des paroles qui ont mis ses partisans en pleurs, lesquels ont dû quitter la salle sur injonction des forces de l’ordre.

‘’Votre grève ne nous intéresse en aucune façon’’

‘‘Nous assumons toutes nos responsabilités jusqu’au bout. Votre grève ne nous intéresse en aucune façon. Aucun de vos avocats n’a été expulsé. Ils sont partis volontairement. C’est votre droit le plus absolu de faire la grève de la faim. C’est votre problème. Je l’assume !’’ a rétorqué Henri Grégoire Diop. Ensuite, à l’ouverture des débats, les échanges se sont poursuivis sur le même ton. Le prévenu a fait savoir au président l’impossibilité de choisir d’autres défenseurs à ‘‘main levée pour un dossier de 70 mille pages’’. Henri Grégoire Diop a informé d’une requête introduite, hier soir, par ses avocats pour reporter l’audience du 22 janvier au 23. ‘‘C’est faux ! Ils l’ont fait ce matin’’, a protesté vivement Karim.

Arrivé en retard et provoquant une suspension de séance de cinq minutes, Karim Wade a répondu à chaque fois qu’il a été appelé à la barre pour le contre-interrogatoire d’un témoin : ‘’Ma défense n’étant pas assurée, je ne peux pas poser de questions. Je ne les poserai que lorsque mes avocats seront là, pour en poser eux aussi.’’ Le parquet réservé à ses avocats vide, il a assuré un service minimum. Tout le contraire de son codétenu Mamadou Pouye, qui s’est prêté au jeu, en prenant néanmoins la précaution de demander au président une nouvelle comparution du témoin en cas de retour de ses avocats.

Véronique Manga et ‘son interprète’ dérident l’ambiance

Après deux tours d’horloge, un léger rififi dans la salle. Un groupe de députés, écharpes aux couleurs du Sénégal sur la poitrine, fait son entrée. ‘‘Ce n’est pas une cérémonie officielle, mais ce n’est pas grave, ce sont les attributs de la République’’, déclare Henri Grégoire Diop qui a failli interrompre le témoignage de Mathiaco Bessane. Une présence due aux événements de la veille relatés par la presse. Après quelques minutes, ils se retirent, laissant les débats se poursuivre.

Le témoignage de Véronique Manga, dans l’après-midi, a clôturé la séance. La femme de ménage, employée par la mère de Mamadou Pouye, a égayé la salle. Interpellée sur ses relations avec un certain Wolfgang, qui l’aurait utilisée comme prête-nom dans la constitution de la société Ahs, la barrière linguistique s’est invitée dans les débats. Le président a dû recourir au service d’une personne dans le public pour servir d’interprète. Mais la version français-wolof était parfois littérale, par moments très approximative ou tronquée. Ce qui a fait s’esclaffer l’assistance, à chaque fois que le pauvre interprète devait rendre la question du juge en wolof, ou dire aux greffiers, en français, ce que le témoin a répondu dans la langue de Kocc.

REACTIONS

Me Demba Ciré Bathily (défense)

‘’Nous refusons de participer à une parodie de justice’’

Je suis indigné qu’un président de juridiction ignore les règles qui gouvernent la présence de l’avocat au procès. Cette expulsion procède d’un abus pur et simple et ne repose sur aucun fondement légal. C’est totalement inacceptable. Si on suit l’évolution de ce dossier, on a toujours ressenti qu’il y avait des entraves faites à la défense, mais on est passé à un cran supérieur. C’est carrément une privation de défense et cela confirme ce qu’on a toujours dit : rien dans ce procès n’est équitable.

Depuis les enquêtes de police jusqu’à la présence devant les juridictions de jugement, on continue de violer ses droits et maintenant, on le brutalise. Nous ne pouvons pas nous présenter devant une juridiction qui ne respecte pas les droits de la défense. Nous nous présenterons le jour où nous aurons les garanties et les conditions d’un procès équitable. Nous refusons de participer à une parodie de justice. L’administration de la justice n’est pas le fait de la Cour. Elle est rendue au nom du peuple sénégalais. S’il laisse faire pareille juridiction, il n’a qu’à assumer. Mais, à ce moment, il ne faudra plus parler d’État de droit.

Me Yérim Thiam, Ancien bâtonnier (Partie civile)

’Même le fils d’un président de la République ne peut pas choisir ses juges’’

La cour n’a aucun moyen d’obliger les avocats à comparaître. Elle ne peut pas les faire venir de force. Karim Wade avait la possibilité de choisir d’autres avocats, ce qu’il n’a pas fait. Mais la Cour ne peut pas attendre que des avocats qui ne se sont pas déportés décident de revenir. Ce n’est pas à la Cour d’attendre. Le procès continue. Pour hier, il fallait exécuter l’ordre et demander ensuite à ce que l’incident soit réglé à l’amiable, comme nous le faisons tous les jours. 

Au lieu de ça, ils ont décidé de partir tous ensemble. Ils imposent leur rythme et leur calendrier à la Cour, alors qu’elle n’est pas là pour suivre les programmes de l’une ou de l’autre partie. C’est en ces termes que se pose le problème. Même un fils de président de la République ne peut pas choisir ses juges. Comment est-ce possible ça ? Il se croit où ? Ils ont présenté une requête pour récuser le président, la Cour suprême a statué et l’a rejetée. Maintenant, s’ils veulent en présenter une nouvelle, qu’ils le fassent et on verra la décision de la Cour suprême. Il y a des règles de procédures. Il y a des lois. On a beau être fils d’un ancien président de la République, on ne peut pas dire qu’on est au-dessus de la loi.

Ousmane Laye Diop (stagiaire)

 
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