Publié le 7 Nov 2019 - 22:51
ABY DIALLO, PRESIDENTE AJS

‘’Les peines appliquées sur les meurtres des femmes ne sont pas dissuasives’’

 

Selon la présidente de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), les peines qui sont actuellement appliquées concernant les cas de meurtre ne sont pas dissuasives. Aby Diallo, dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, soutient que 12 cas de meurtre sur des femmes sont dénombrés au moins depuis le début de l’année. Elle demande aux autorités d’appliquer la criminalisation du viol.

 

Quel sentiment vous anime, suite au meurtre de Khady Sèye à Touba ?

Nous l’avons appris le jour des faits, mais nous avons une méthode pour ce genre de cas. Elle consiste à recouper l’information, à faire des investigations avant de se prononcer. C’est ce qui explique, depuis lors, qu’on n’a pas réagi. Après quelques recoupements, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait d’une tentative de viol qui a abouti au meurtre. Au-delà de notre mécontentement, nous sommes très déçus de la lenteur des réactions de l’autorité judiciaire sur cette question, surtout concernant la criminalisation du viol comme l’avait dit le chef de l’Etat, il y a de cela quelques mois. Il avait demandé qu’on lui présente cette loi au mois de novembre.

Cet énième meurtre d’une femme nous pousse à penser que les peines qui sont actuellement appliquées ne sont pas dissuasives. C’est devenu récurrent. La preuve est qu’on ne peut rester une semaine ou un mois sans entendre parler d’un cas similaire. Tous, pratiquement, des crimes gratuits. On ne peut pas comprendre que des voisins, des gens avec qui on vit sous le même toit ou dans le même quartier, sautent sur une autre personne pour la violer comme un animal. A la limite, les gens cherchent des accouplements animaliers. On ne fait rien. Jusqu’à présent, on sent que la sanction n’est pas suffisante. Et on dirait que cela n’a pas l’air de déranger ceux qui sont censés assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, mais aussi appliquer la loi.

Face à cette situation, qu’est-ce que vous comptez faire ?

Notre seule arme, face à cette situation, c’est la dénonciation. Nous dénonçons et nous interpellons la plus haute autorité du pays, en la personne du chef de l’Etat. Nous lui rappelons son engagement de criminaliser le viol, la pédophilie et l’inceste. Après ces deux infractions abominables, le viol l’est plus. Comment se jeter sur une femme qu’on ne connait pas ou qui n’est pas consentante ? Pour le dernier cas, il s’agissait d’une femme mariée et en état de grossesse. Il est indispensable de sanctionner de façon exemplaire. Là, les autorités judiciaires sont aussi interpellées, car on craint la lenteur du double degré de juridiction. C’est un problème de fonctionnement interne. Il faut que cela soit géré pour que les dossiers puissent être réglés à temps.  L’argument d’engorgement des cabinets d’instruction, à mon avis, ne peut résister à ce qui se passe. C’est à eux de voir les solutions, autrement dit les voies et moyens pour que ce genre de dossier puisse être réglé et le plus rapidement possible et dans des délais raisonnables. A chacun sa mission dans la société, son devoir de se donner les moyens d’accomplir sa mission. C’est l’interpellation que je voulais faire à l’endroit des autorités.

A votre niveau, avez-vous une idée sur le nombre de meurtres des femmes depuis le début de l’année ?

Au moins, il y a 12 cas qui ont été signalés. J’en oublie peut-être. C’est déjà beaucoup.

Où en êtes-vous dans votre combat pour l’avortement médicalisé ?

Nous en sommes toujours à l’étape de la sensibilisation. Il est question, pour nous, de faire comprendre à nos interlocuteurs la motivation profonde de ce plaidoyer. On ne prône pas l’avortement tous azimuts, loin de là. On a bien spécifié. On a bien précisé qu’il s’agit d’une grossesse issue d’un inceste, d’un viol incestueux. C’est pour ce genre de cas-là qu’on demande d’autoriser la femme à faire un avortement médicalisé. Ou si la grossesse porte atteinte ou menace la vie de la maman. La loi médicale prend en charge ce volet-là. Je rappelle aussi que l’Etat du Sénégal a signé le Protocole de Maputo. Le 14e point de ce protocole dit que ‘’la femme doit avoir la liberté de disposer de son corps et de maitriser sa fécondité’’. A partir de là, si une femme est violée, on doit lui reconnaitre le droit qu’on lui enlève en un temps opportun cette grossesse, parce que l’enfant qu’elle porte peut ne pas être reconnu par son père. Cela peut se répercuter sur plusieurs aspects de la vie de la femme et de l’enfant. Il faut bien comprendre le soubassement et la motivation de cette affaire.

Où est-ce que ça bloque, selon vous ?

C’est à plusieurs niveaux. Au niveau de l’entendement populaire, avec nos interlocuteurs où cette idée est caricaturée. Ce que je demande, c’est que les gens se donnent la peine d’écouter attentivement et de réfléchir avec nous pour savoir ce qu’on veut et comment y arriver. Je sais que culturellement cela peut choquer, mais si on en discute à tête reposée, les gens vont comprendre là où on veut en venir et ce qu’on veut faire.

PAR CHEIKH THIAM

 

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