Publié le 24 Mar 2014 - 12:03
ACCIDENT DE LA SONACOS DU 24 MARS 1992

Une catastrophe nationale à l’épreuve du temps

 

L'histoire du Sénégal est jalonnée de catastrophes souvent dues à des négligences humaines. La tragédie qui a eu pour cadre l'usine de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (SONACOS) devenue SUNEOR depuis le 1er janvier 2007 suite à sa privatisation, le 24 mars 1992, en est une. Ce jour-là, en quelque seconde, une quarantaine de personnes dont une vingtaine d'ouvriers de la Sonacos ont perdu la vie, suite à un accident dû à l'explosion d'une citerne d’ammoniac. C’était au milieu d’une journée d’un mois de ramadan. Le nombre des victimes du nuage toxique finira par atteindre le chiffre de 129 morts,  alors que les rescapés vivant avec un handicap respiratoire dépassent le millier.

 22 ans après, EnQuête revient sur cette catastrophe. Mais c'est pour constater que les risques d'un tel accident sont toujours réels. Dakar est assise sur une poudrière du fait de la concentration de l'essentiel des activités industrielles dans la capitale. Le respect des normes de sécurité reste encore une difficulté majeure. La majeure partie des industries n’ont pas de dispositif de sécurité adéquat pour faire face à d’éventuelles catastrophes. Quant à la Suneor qui a hérité de la Sonacos et qui n’a pas voulu se prononcer sur la question, elle continue toujours d'utiliser de  l'ammoniac liquide dans ses installations car il est inconcevable d’imaginer une filière arachidière sans un traitement à l’ammoniac. 

 

Un 24 mars de désolation

Mardi 24 mars aux environs de 13 heures, le Sénégal a connu sa première bombe chimique avec l'explosion, dans l'usine de la Sonacos sise à la rue Amilcar Cabral angle rue rocade Fann Bel air, d'une citerne qui transportait de l'ammoniac. Un accident qui a fait sur le coup 43 morts et quelque 403 blessés évacués à l’hôpital principal, au CTO et à l’hôpital Le Dantec. Ce fut la consternation sur toute l’étendue du territoire national. Un deuil de 3 jours est décrété par le chef de l’État Abdou Diouf à compter du mercredi 25 mars 1992.

Le gouvernement publie un communiqué dans lequel il informe qu' «un incendie s'est déclaré ce jour aux environs de 13h30 minutes à l'usine de la sonacos. Ce sinistre aurait pour causes présumées la fuite de gaz ammoniac suivie d'une explosion, survenue lors du transvasement d’un véhicule citerne dans une cuve de ladite usine. « Alertés, les services de l'Administration ont immédiatement réagi en mettant en place des mesures ainsi qu'un dispositif appropriés», poursuit le communiqué du gouvernement. En tous les cas, ce fut le branle-bas de combat : les services de sécurité sont mobilisés pour porter secours aux blessés dans l'usine et ses environs.

L’armée française est aussi mise à contribution. La population est elle invitée par le gouvernement à faire des prières dans tous les lieux de culte pour le repos de l’âme de nos compatriotes décédés dans l'accident. On ne réalise la mort comme scandale que quand celle-ci frappe à nos alentours immédiats.

Pendant ce temps, une délégation gouvernementale comprenant le ministre du Développement Rural et de l'Hydraulique, le ministre de l'Industrie, du Commerce  et de l'Artisanat, le ministre du Travail et de la Formation professionnelle ainsi que le gouverneur de la région de Dakar et le directeur de la protection civile s'est rendue au chevet des blessés. Les structures sanitaires sont débordées, toute la journée, des personnes ont essayé d’avoir des nouvelles de leurs proches mais c’était surtout le rush vers le centre de traumatologie de grand Yoff pour l’identification des morts.

Devant les grilles de l’hôpital, des personnes curieuses d’en savoir plus sur la catastrophe ont fait le pied de grue jusque tard dans la nuit. Le personnel médical de l’hôpital et les forces de sécurité, gendarmes, policiers et sapeurs-pompiers étaient tous sur la brèche pour assister les blessés et procéder à l’identification des victimes qui seront transférées sur les trois containers installés sur le parvis réservés aux automobiles du Cto.

Le parking de l’hôpital était l’obligé point de mire de tous les murmures et de tous les sanglots étouffés. C’est dans ce climat triste et chargé d’émotion que les gendarmes ont publié la liste des blessés au nombre de 200 environ. La foule de personnes présente  ne parvenait pas à retenir son émotion au fur et a  mesure  que les gendarmes prononçaient le nom des blessés. Devant cette situation longue et tendue, certains ne pouvaient pas retenir leurs larmes ; une atmosphère endeuillée avec son lot de scènes d’hystérie collective règne aux abords du Cto. Du côté de l’hôpital Principal, la détresse était aussi à son comble où sur un rayon de plus d’un kilomètre, une foule silencieuse s’était massée derrière le cordon de sécurité.

La douleur était devenue collective. La même atmosphère prévaut aux abords de l’usine de la Sonacos et tout le long des berges du port ; Le plan Orsec tarde à prendre ses marques. Pendant un bon moment, gendarmes et sapeurs-pompiers policiers sont restés hors de la zone d’explosion du fait de manque de masques à gaz. Un manque notoire de moyens de secours.

D’où la quasi inefficacité du plan d’opération de secours d’urgence. Pour y remédier, le gouvernement décide de convoquer un conseil interministériel en vue de réactualiser le plan Orsec de Dakar ; mais ce fut trop tard et la liste des morts et blessés ne cesse de s’alourdir et les messages de condoléances continuent de tomber sur la table du président de la République. 

 L’absurdité d’une vie ou le passage de celle-ci à trépas peut ne tenir qu’à une fatale déflagration. 

 Dakar assise  sur une poudrière

Un projet pour la mise en place d’un programme de prévention des accidents chimiques et industriels a été lancé au profit du Sénégal et du Mali en novembre 2010 mais le risque d’accident reste élevé. Il serait de 80% du fait de la cohabitation entre les populations et les unités industrielles. Certes une feuille de route existe au Sénégal en matière de prévention.

Mais l’éloignement de certaines industries des lieux d’habitation reste une priorité. Le Sénégal a même ratifié plusieurs conventions internationales. La loi n-2001-01 du 15 janvier 2001 portant code de l’environnement est le principal instrument juridique en matière de gestion des produits chimiques.

Elle pose le principe d’une gestion écologiquement rationnelle des dits produits en intégrant les conventions internationales auxquelles le Sénégal a souscrit. N’empêche, le risque d’accident comme celui de la Sonacos est bien réel, surtout dans  toute la zone des hydrocarbures,  de Bel-Air, à Mbao en passant par Thiaroye et Hann.

Dans un espace aussi réduit, on y trouve des produits, inflammables, corrosifs, explosifs, tels que l’ammoniac, le chlore, l’arsénite, l’hexane, l’acide sulfurique, l’oxyde d'azote, le mercure, le monoxyde de carbone, l’hydrogène, le cyanure, le dioxyde de carbone, l’huile, l’essence, le gaz. Partout, l’on note l’existence d’imposantes cuves exposées sous un soleil de plomb qui peuvent se transformer en de véritables bombes, des citernes contenant des produits chimiques inflammables, des bouteilles de gaz que les convoyeurs manipulent avec imprudence devant les boutiques …

L’installation de  gargotes autour de ces industries sensibles ont fini de convaincre sur le danger réel que courent les populations. «Il faut éviter que des industries soient installées dans les zones où il y a une forte concentration de personnes », plaide un élu local.  En attendant que son cri du cœur ait un écho favorable du côte des autorités, des sociétés et usines manipulent le gaz et autres produits chimiques sans l’existence d’un dispositif de sécurité adéquat dans cette zone dangereuse. Se pose donc avec acuité l’existence dans les entreprises de registre de sécurité.

Les entreprises disposent-elles d’équipements adéquats «masques à gaz, extincteurs, tenues anti-feux ?» Les travailleurs ont-ils subi une formation dans la prévention et la lutte des accidents de grande envergure ? Autant de questions auxquelles les industriels n’ont pas toujours apporté les réponses idoines. Au-delà du cas particulier de la Suneor, c’est  la zone industrielle toute entière qui suscite inquiétudes. Pour un cocktail aussi dangereux et accolé aux habitations, il est plus que jamais nécessaire d’être prudent et préventif. Bref, d’être responsable ! 

L’ammoniac, un tueur redoutable mais indispensable dans la filière arachidière

Les pays importateurs d’aliments de bétail obligent le Sénégal à pratiquer des traitements chimiques sur les tourtereaux d’arachide. D’où l’utilisation de l’ammoniac liquide dans les huileries sénégalaises à partir de 1981, dans le but de détoxiquer les tourtereaux d’arachide dont la teneur en aflatoxine dépasse les normes admises par la communauté européenne et par la Food and Drug administration «service des produits alimentaires et pharmaceutiques des Usa». L’aflatoxine est une substance toxique produite par les moisissures. Cette méthode révolutionnaire en son temps est même reproduite en France par l’usine Gelon.

Très utilisé en laboratoire et dans les industries, l’ammoniac intervient aussi dans les synthèses chimiques et dans la fabrication des détergents. L’ammoniac apparaît comme un tueur redoutable ; en contact avec la peau, il entraîne des ulcérations, des brûlures et même des perforations. Inhalé, comme ce fut le cas lors de l’accident de la Sonacos, il provoque un œdème pulmonaire aigu, absolument fatal, de l’avis de plusieurs spécialistes de la santé.  Les poumons se gorgent de sang et ne peuvent plus jouer le rôle de transfert d’oxygène. Résultat : il intervient une asphyxie brutale qui conduit à la mort.

 

 

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