Publié le 17 Jan 2020 - 20:28
ACTE 2 DU DIALOGUE NATIONAL

Entre connivence, consensus et dissensions 

 

Pour l’acte 2 du Comité de pilotage du dialogue national, les acteurs politiques, présents aux concertations, ont dansé la même musique. Pendant ce temps, des voix s’élèvent au sein de la société civile pour dénoncer une connivence.

 

Des petites combines. Quelques désaccords. Mais un large consensus. Voilà quelques constats qui ont marqué, hier, l’acte 2 du dialogue national, après un début cahoteux, mardi dernier. Mais, dans ce méli-mélo politique, une image a marqué plus d’un observateur. Oumar Sarr, entrant main dans la main, dans le grand hall du dixième étage du building administratif, avec son homologue du pouvoir Mor Ngom. Cela aurait pu rester banal, si le dernier nommé, proche collaborateur du chef de l’Etat, n’avait pas remis son téléphone portable au dissident du parti démocratique sénégalais. Ce dernier s’est alors éloigné. Loin des oreilles curieuses, il a longuement parlé avec l’interlocuteur au bout du fil, avant de retourner sagement à la grande salle de conférence du siège du gouvernement sénégalais.

Quelques instants plus tôt, le président du Comité de pilotage Famara Ibrahima Sagna, toujours dans une tenue traditionnelle blanche, faisait son entrée chevaleresque au lieu de réunion. Les journalistes, faisant le pied de grue, ont immortalisé le moment. Big Fam a levé sobrement la main en guise de salutation, et est filé tranquillement vers la salle de conférence. Mor Ngom, qui attendait encore Oumar Sarr, est retourné en classe. Ce n’est que des minutes plus tard que le libéral a terminé sa longue conversation et rejoint le groupe. De quoi pouvaient-ils bien s’entretenir ? La question en a taraudé plus d’un reporter. Une source digne de foi confie : ‘’En tout cas, tout à l’heure, en venant, j’ai entendu le responsable de la majorité dire à son homologue qu’il ne faudrait pas entrer ensemble, puisque cela pourrait éveiller des soupçons’’.

La société civile divisée

Mais c’était peine perdue. Des soupçons, il y en a à gogo. Et la première volée de bois vert est justement venue de la société civile, particulièrement du Forum civil. Son coordonnateur et membre du Comité de pilotage n’a pas mâché ses mots. D’abord, c’est sur son statut WhatsApp qu’il a affiché son mécontentement, pestant : ‘’L’opposition présente au dialogue joue le jeu du pouvoir’’. A l’origine, la décision relative à la fermeture de la Commission politique aux autres membres du Comité de pilotage. Joint au téléphone, Birahime Seck précise : ‘’Le dialogue politique ne doit pas être le pré carré des politiques dans le dialogue national. Chaque membre, conformément au décret portant création du Comité de pilotage, a le droit de s’inscrire dans, au moins, deux commissions. Il est impossible que le règlement intérieur viole le décret. C’est en porte-à-faux du consensus’’.

Pour lui, la Commission politique ne saurait déroger aux règles générales de formation des autres commissions. ‘’Il est inconcevable, au moment où il n’y a pas encore de commission, qu’on veuille balayer d’un revers de la main les discussions sur cette question. C’est une incongruité politique’’, fulmine-t-il, tout en promettant que le Forum civil fera entendre sa voix, ‘’pour manifester sans réserve son désaccord sur cette façon de faire des politiques, en voulant s’accaparer le dialogue politique’’.

Ainsi donc, les dés semblent jetés sur ce match qui, jusque-là, faisait débat au sein des différents états-majors. Hier, cela n’a pas été de tout repos. Le représentant de la société civile au Comité restreint qui a été mis en place pour préparer le projet de règlement intérieur s’est opposé avec véhémence à cette proposition. Hélas ! Sa voix n’a pas été suffisamment puissante pour faire basculer la balance. Celle des non-alignés, en revanche, a été bien entendue. ‘’Dans le projet d’amendements, nous avons dit qu’en tout état de cause, la Commission politique, qui est fonctionnelle depuis le 12 juin 2019, ne peut faire l’objet de retouches ou de modifications de ses règles de fonctionnement. Cette Commission va continuer de fonctionner comme par le passé’’, a informé, pour sa part, leur coordonnateur Déthié Faye.

Les acteurs chantent le consensus

Jusque-là, il faut reconnaitre que les seules remises en cause notées par rapport à cette thématique proviennent du camp de la société civile. Ce qui amène à s’interroger sur le sort des représentants de la société civile dans cette instance. Pour Monsieur Faye, ceux qui sont là-bas y sont au nom des différentes entités. Ces dernières pourront procéder de la même manière pour toutes les commissions, sauf celle politique qui a déjà été instituée.

L’autre pomme de discorde a porté, à la première réunion du Comité de pilotage, sur le processus de prise de décision. Les conclusions seront-elles adoptées uniquement par consensus ou par vote, en cas de désaccords ? Là, les acteurs ont accordé leur violon et chanté le consensus. Ce qui ne signifie guère unanimité. Pour en arriver là, il a été mis en place une Commission de rédaction. Dans ledit Comité, il y avait 17 membres issus des différentes familles d’acteurs. ‘’Le document a été adopté sans difficulté. Tout le monde a apprécié la qualité du travail fait. Ce qui ouvre peut-être des perspectives d’espoir pour une bonne tenue des travaux. Le reste, c’est une question de sincérité. Si tout le monde est sincère, il n’y aura pas de problème. Même s’il est vrai qu’on ne peut pas s’entendre sur tout’’.

Moundiaye Cissé : ‘’Le dialogue national a fini de diviser l’opposition sénégalaise’’

S’il y a une chose qui a déjà été réussie par le dialogue national, c’est le fait d’avoir approfondi les divergences au sein de l’opposition qui, bon an mal an, avait jusque-là réussi à afficher une certaine solidarité autour du front de résistance nationale. Si à l’unanimité ou presque, les partis de l’opposition participent au dialogue politique, pour ce qui est du dialogue national, c’est plutôt l’inverse. Le bouchon a même été poussé un ne peut plus loin, avec le PDS qui a décidé de claquer la porte, dénonçant la façon dont certaines décisions ont été prises. Un responsable dans le front a voulu faire cette précision : ‘’Il convient de rappeler que la décision de participer au dialogue national n’a jamais engagé le front de résistance nationale. Ce sont les partis qui, souverainement, ont apprécié l’appel du chef de l’Etat’’.

Ainsi, pendant que certains ténors dont le Parti démocratique sénégalais, Rewmi, Pastef… ont préférer bouder les concertations dirigées par Famara Ibrahima Sagna, d’autres ont répondu présent. Des ténors de l’opposition, seul le camp de Khalifa Ababacar Sall a décidé de participer au dialogue. Analysant la situation, Moundiaye Cissé déclare : ‘’Le dialogue doit nous rassembler. Il ne doit pas être une source de division. Malheureusement, nous avons constaté que le dialogue national a fini de diviser l’opposition sénégalaise qui est un maillon essentiel de notre démocratie’’. Comment en est-on arrivé là ? Il soutient que c’est à cause de l’objet même du dialogue. ‘’Sur le principe, dit-il, nous sommes tous d’accord. C’est même une tradition dans notre pays, où les acteurs de la vie publique discutent depuis les années  1990, voire au-delà. La différence avec ce format, c’est que d’habitude cela portait uniquement sur la politique, la définition des règles du jeu. Ce qui est une nécessité, si l’on veut bâtir une société de paix. Mais nous avons beaucoup de réserves par rapport au format actuel du dialogue national’’.

En fait, Monsieur Cissé a peur de voir ces concertations déboucher sur la mise en place d’un large consensus autour de la gestion du pouvoir. Outre la dislocation de l’opposition, il soupçonne une volonté de mise en place d’un gouvernement d’union nationale. ‘’Il ne faudrait pas s’étonner demain que le Président dise à ces partis de l’opposition : vous avez participé à améliorer ma vision du Sénégal, à définir ma politique... Je vous invite à me rejoindre pour la mise en œuvre des conclusions. C’est pourquoi, je dis que cela favorise l’entrisme et nous sommes contre cette façon de procéder. Notre démocratie a besoin de l’opposition’’, se répète-il. ‘’Logique pour logique, renchérit le directeur exécutif de 3D, cela doit aboutir à un gouvernement d’union. C’est pourquoi, je dis que je comprends ceux qui ont décidé de ne pas y répondre, parce que préférant rester dans l’opposition’’. 

Interpellé sur la non-participation de Rewmi au dialogue national, Yankhoba Diattara se veut très clair. ‘’Ce dialogue, sous ce format, ne nous intéresse pas. Je pense que nous avons été clairs, depuis le début. Oui au dialogue politique, mais pas au dialogue national. Nous disons même mieux : le dialogue politique doit être permanent entre ministère de l’Intérieur, les partis parti et la société civile. C’est important pour la définition des règles du jeu électoral et instaurer la paix. Je tiens à préciser que le Rewmi n’a jamais participé à cette rencontre’’. Toutefois, il a tenu également à réaffirmer l’encrage du Rewmi au Front de résistance nationale qui réunit la plupart des partis d’opposition.  

MOR AMAR

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