Publié le 19 Oct 2019 - 19:52
AFFAIRE 94 MILLIARDS

L’embarras du procureur

 

Jusque-là, il n’avait pas jugé utile d’ouvrir une information, dans l’affaire des 94 milliards de F Cfa opposant Ousmane Sonko à Mamour Diallo. Avec les plaintes qui se sont accumulées sur sa table, il aura du mal à garder la même posture.

 

Serigne Bass a du boulot. Dans l’histoire judiciaire du Sénégal, il n’est pas fréquent que le parquet soit saisi par autant de parties sur un même dossier ayant trait à la gestion des deniers publics. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance hors classe de Dakar en a l’honneur, mais aussi l’embarras. Pourtant, depuis l’éclatement de l’affaire, il la fuit comme l’on fuirait la peste, au grand dam de nombre d’observateurs.

Rien que pour la journée de mercredi dernier, trois plaintes ainsi ont été rendues publiques. En sus de la plainte de Me El Hadj Diouf déposée de manière ostentatoire contre le radical opposant Ousmane Sonko, il a aussi été annoncé une requête d’un collectif citoyen contre l’ancien directeur des Domaines, Mamadou Mamour Diallo. Et pour couronner le tout, la famille Ndoye, propriétaire du fameux Tf 1451, a annoncé sa plainte contre Seydou Tahirou Sarr via leur avocat, Me Ousmane Sèye.

Ainsi, cette affaire où presque tout le monde est à la fois défense et partie civile est partie pour ravir la vedette à toutes les autres en cours.

En tout, c’est au moins cinq plaintes, dont quatre déposées sur la table du procureur de la République Serigne Bassirou Guèye qui aura du pain sur la planche. Pour entrer dans la cause, Me Sèye a déclaré : ‘’Je suis l’avocat de Sci Thiandoum qui représente les héritiers. J’ai porté plainte contre Sofico et son patron Tahirou Sarr. Dans cette affaire, on a tendance à oublier une décision très importante. Il faut savoir que Sofico avait acheté la créance en question à 2 milliards 500 millions de F Cfa. Il l’a revendue à l’Etat à 94 milliards. Mais ce qu’on oublie souvent, c’est qu’en 2018, une décision du tribunal avait annulé la cession de créance, parce que c’est manifestement léonin. Tahirou Sarr avait déjà encaissé plus de 3 milliards que lui avait versés le receveur du bureau de Ngor, Meissa Ndiaye…’’ Mais, aux dernières nouvelles, des membres de ladite famille contesteraient une telle procédure intentée par l’avocat Me Sèye. Les jours à venir édifieront sur cette curiosité.

Pour Ousmane Sonko, et c’est là où l’attendent certainement ses adversaires, une somme bien plus importante a été payée à Tahirou Sarr. Certaines parutions lui avaient d’ailleurs prêté d’avoir avancé qu’un montant de 46 milliards de F Cfa avait été effectivement payé, qu’il en avait les preuves, les numéros des comptes de banques qui les ont accueillis. Mais pour la Commission d’enquête parlementaire, il n’en est rien. ’L’argent dont parle Ousmane Sonko n’a jamais été décaissé. S’il dit avoir les preuves que 46 milliards ont été décaissés, il n’a qu’à les fournir. Il ne donnera jamais ces preuves, car nous avons circularisé toutes les banques dans le cadre de notre enquête et il n’y a jamais eu de décaissement de cet argent dans une banque’’, disait Cheikh Seck à l’émission ‘’Grand Jury’’, dimanche dernier.

Ousmane Sonko a-t-il alors dansé plus vite que la musique, en annonçant le montant de 46 milliards ?  En tout cas, devant les autorités judiciaires, la bataille s’annonce rude. Attaqué pour diffamation et injures, il risque gros, s’il ne parvient pas à le démontrer. Dans leur plainte, les avocats de Mamour Diallo lui reprochent, en effet, d’avoir porté atteinte à l’honneur et à la dignité de leur client, en l’accusant d’avoir ‘’soustrait frauduleusement des deniers publics la somme de 94 milliards’’. Aux termes de l’article 258 al 2 du Code pénal, ‘’toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Lorsqu'elle a été faite par l'un des moyens visés en l'article 248, elle est punissable, même si elle s'exprime sous une forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés’’.

Quant à l’injure, elle est définie par l’alinéa 2 du même article qui dispose : ‘’Toute expression outrageante, tout terme de mépris relatif ou non à l'origine d'une personne, toute invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure.’’

Pour ce qui est du délit de diffamation, les peines encourues, c’est ‘’un emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d'une amende de 100 000 à 1 000 000 de F ou de l'une de ces deux peines seulement’’. Quant à l’injure, il résulte de l’article 262 qu’elle est punie ‘’d'un emprisonnement de 2 mois au maximum et d'une amende de 20 000 à 100 000 F, ou de l'une de ces deux peines seulement. Le maximum de la peine d'emprisonnement sera de 6 mois et celui de l'amende de 500 000 F, si l’injure a été commise envers un groupe de personnes qui appartiennent, par leur origine, à une race ou à une religion déterminée, dans le but d'exciter la haine entre les citoyens ou habitants’’.

Mais bien plus que ces peines, ce que risque le patron de Pastef en tant qu’homme politique, si les avocats de l’ancien directeur des Domaines parviennent à le faire condamner, c’est aussi son crédit. Dans cette optique, la condamnation aurait plus une portée symbolique.

Un processus fut long et complexe

Comment en est-on arrivé là ? Le processus fut long et complexe. Tout commence en 1978. La société Saim Indépendance, propriété de la famille Djily Mbaye, selon Ousmane Sonko, acquiert le Tf 1451/R qui appartient aux familles Ndoye et consorts. Laquelle acquisition est contestée par les propriétaires. Il s’est agi, en fait, d’une hypothèque au bénéfice de Djily Mbaye qui avait prêté 50 millions de francs Cfa aux familles, par l’entremise d’un de leurs représentants. La famille avait fait des investissements qui n’ont malheureusement pas été rentables. Ils se sont alors retrouvés dans l’impossibilité de payer au milliardaire. Ce dernier décède entre-temps et ses héritiers ont mis la main sur le titre.

L’affaire s’est retrouvée au tribunal et a duré, de la fin des années 1970 à 2012. A cette date, coup de tonnerre ! Le tribunal de grande instance de Dakar donne raison aux familles léboues au détriment des héritiers de Djily Mbaye. Or, il se trouve que ces derniers, expropriés pour cause d’utilité publique, du fait d’un décret datant de 1997, avaient déjà été indemnisés par l’Etat. Et le terrain en question affecté par l’Etat à la Sn/Hlm qui avait fini de l’aménager. Première incongruité : Comment se fait-il que l’Etat ait accepté d’indemniser les héritiers de Djily Mbaye, alors qu’un litige concernant le terrain était déjà pendant devant la justice ?

En tout cas, fort de cette décision de justice, les Lébous enclenchent une procédure pour être indemnisés par l’Etat, vu que leur terrain n’était plus disponible. Hélas, ils se heurtent aux lenteurs administratives et aux frais inhérents à une procédure si complexe. Et c’est à ce moment que surgit – on ne sait comment - l’homme d’affaires Tahirou Sarr qui leur propose un ‘’deal’’ : le rachat de la créance qui vaut des dizaines de milliards à seulement un peu plus de 2 milliards de F Cfa. Le terrain a-t-il été surévalué ? Tahirou a-t-il des complices dans l’administration des domaines qui lui auraient soufflé l’affaire ? Combien l’Etat a perdu en indemnisant indument les héritiers de Djily Mbaye ?

Tous les yeux sont aujourd’hui braqués sur Serigne Bassirou Guèye qui va devoir séparer le bon grain de l’ivraie.

MOR AMAR

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