Publié le 13 Sep 2019 - 20:32
AFFAIRE SAINTE JEANNE D’ARC

Un vide juridique mis à nu

 

L’affaire a tenu en tenue haleine l’opinion et vient de trouver une issue heureuse qui, en tout cas, satisfait les protagonistes. Mais dans le fond ce « bras de fer » met à nu un vide dans la règlementation du système éducatif sénégalais.

 

Hier les parties prenantes de l’affaire Institut Sainte Jeanne d’Arc ont finalement trouvé un accord de sortie de crise. La vingtaine d’élèves voilées regagnent les classes, le 19 septembre prochain, sous deux conditions : « Ces élèves porteront l’uniforme assorti d’un foulard de dimensions convenables, fourni par l’établissement et qui n’obstrue pas la tenue. Les familles seront reçues individuellement par le direction de l’établissement en présence de l’inspecteur d’académie qui veillera au respect, par les élèves, des conditions définies ».

 Durant ces semaines de débats houleux ou lucides quant au nouveau règlement intérieur de l’Institution sainte Jeanne d’Arc, l’école Mariama Niasse a, à maintes reprises, été citée à titre d’exemple, de même que l’ancienne école turque Yavuz Selim fermée en 2017. Pour d’aucuns, l’interdiction du voile à Jeanne d’Arc ne devrait pas poser problème, puisque dans le premier établissement cité le voile s’impose à toutes les élèves. Pourtant, un tour sur les lieux aura permis de faire la lumière sur ce qui s’y passe réellement. Tout d’abord, les jeunes apprenantes ne sont pas toutes voilées. Selon la directrice pédagogique, Kora Samb Ndiaye, le port du voile n’est imposé à aucun élève, il s’agit plutôt d’un choix. Par contre, apprendre le Coran et l’arabe n’est pas optionnel. C’est obligatoire.

Les parents d’élèves trouvés sur place confirment ses dires : « Nous n’avons jamais reçu d’enfants d’une autre confession religieuse que musulmane. Mais si c’était le cas, il faudrait que l’élève en question accepte d’apprendre le coran et l’arabe, avec l’accord de ses parents. Tout ce qu’on exige, ce sont des tenues décentes, des tresses propres pour les filles », explique Mme Ndiaye. En plus du programme académique (enseignement général), des cours coraniques et de langue arabe y sont dispensés, d’où la particularité de l’établissement. Cependant, au lieu de constituer une option, conformément à l’article 4 de la loi d’orientation de l’Education nationale, ces cours sont obligatoires.

« Ce n’est pas le ministère de l’Education nationale qui gère le règlement intérieur d’un établissement, mais, il doit se faire en fonction d’un principe qui est celui de la laïcité, à savoir le respect de la liberté et des croyances d’autrui. Les différents règlements intérieurs doivent donc partir de ce principe. L’aspect religieux est plutôt optionnel, dans les textes, il n’est nullement question de port de voile ou non », ajoute le directeur de la formation du ministère de l’Education nationale Moustapha Diagne.

En dépit de la loi, chaque établissement trace sa route

 Quant au cas Yavuz Selim, plusieurs parents d’élèves ont affirmé que les portes de l’établissement leur ont été fermées, en raison de leur religion chrétienne. Selon d’autres, l’établissement recevait bel et bien des élèves non musulmans, mais adaptait son règlement intérieur et son calendrier aux réalités de la religion musulmane. Et le témoignage de Xavier Diatta, ancien parent d’élève de Yavuz Selim, bien que rassembleur en dit long sur le respect de la loi d’orientation. « Entre 2005 et 2009, j’ai laissé ma fille poursuivre son cursus en participant même aux cours sur l’Islam. Ce qu’elle y a gagné me rend aujourd’hui fier. Elle est plus catholique que jamais ». Pour lui, ces questions détournent les Sénégalais des réalités beaucoup plus cruciales telles que le taux d’échec aux différents examens ou encore la baisse du niveau des élèves.

« Yavuz Selim, Jeanne d’Arc, Mariama Niasse et autres, c’est une affaire de bourgeoisie bourguignonne sénégalaise. Laissons ces aristocrates régler leurs problèmes entre eux. En hommes cultivés, ils finissent toujours par s’entendre. En lieu et place d’une véritable introspection pour faire avancer notre système éducatif, à l’image de ces bonnes écoles comme Jeanne d’Arc, on nous plonge dans une querelle de borne fontaine », poursuit-il.

Par conséquent, ces derniers jours d’agitation auront permis de lever le voile sur un vide juridique dans le fonctionnement des établissements à option confessionnelle. Pendant que prières, messes et cours de catéchèse sont imposés à tous les apprenants dans certaines écoles privées catholiques, que le voile est régenté à l’Institution Notre dame de Dakar, d’autres établissements d’enseignement général enseignent le coran et l’Islam et en font une obligation. Il va de soi que le débat religieux n’est qu’un épiphénomène.

Tant du côté de la religion musulmane que chrétienne, l’application des textes en vigueur quant à la gestion des établissements publics et privés pose problème. Si ces derniers tels que libellés étaient respectés et appliqués, si les garants de ces textes qui régissent le système éducatif sénégalais veillaient au grain, l’épisode « Affaire sainte Jeanne d’Arc » n’aurait point eu lieu. Ou au moins, sa résolution aurait été exempte de toutes tergiversations.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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