Publié le 30 Nov 2020 - 20:38
AFFAIRE TELIKO

Jour de vérité pour le président de l’UMS

 

Finalement, le président de l’Union des magistrats sénégalais va répondre, aujourd’hui, à la chambre disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature, malgré la mobilisation des magistrats et de la société civile.  

 

Le jour fatidique est arrivé. Maitre Malick Sall peut jubiler. Une partie de son rêve se réalise. Aujourd’hui, devant la chambre de discipline du Conseil supérieur de la magistrature, comparaitra le président de l’Union des magistrats sénégalais (UMS), Souleymane Téliko. Conformément à la volonté de la chancellerie !

A en croire l’accusation, le président de l’UMS serait coupable du ‘’délit’’ de ‘’jeter le discrédit’’ sur la justice et sur certains de ses collègues, en violation des dispositions de la loi organique sur le statut des magistrats. Elle convoque, pour blinder son dossier, une sortie du magistrat dans l’affaire Khalifa Ababacar Sall. Concrètement, il est reproché à M. Téliko d’avoir évoqué une violation des droits de la défense et de la présomption d’innocence dans la procédure contre l’ancien maire de Dakar.

Pour beaucoup d’observateurs, ceci ne serait qu’un prétexte. Les raisons véritables de la traduction de Téliko devant le Conseil supérieur de la magistrature seraient à chercher dans la posture de ce dernier concernant le dossier du magistrat Ngor Diop. Lequel a été sanctionné, selon l’UMS, pour avoir tout simplement osé naviguer à contre-courant des instructions du ministère de la Justice, dans un dossier impliquant un dignitaire religieux établi à Podor où il était président du tribunal départemental. D’où la décision inédite de l’organisation de traduire l’acte devant la chambre administrative de la Cour suprême.

En tout cas, la coïncidence s’avère assez troublante. En effet, c’est le jour même où le président de l’UMS, dans une interview accordée au journal ‘’Les Echos’’, se prononçait sur ce dernier dossier, que l’annonce de la saisine du conseil de discipline a été rendue publique. C’était le 21 aout, alors que l’intervention dans les différents organes d’emedia, à propos de l’affaire Khalifa Sall, datait du 12 juillet, soit plus d’un mois auparavant.

Aujourd’hui encore, le contentieux entre l’UMS et la tutelle, relativement à l’affaire Ngor Diop, reste en suspens et montre la crispation au sein de l’institution judiciaire où les acteurs se regardent plus que jamais en chiens de faïence. Aux pro-Malick Sall s’opposent les anti-Malick qui sont allés jusqu’à demander son départ du ministère de la Justice.

Une dizaine de magistrats constitués

Malgré les médiations pour arrondir les angles, les parties ont campé sur leurs positions. Pendant que la tutelle et son camp continuaient de mener une véritable campagne pour enfoncer le président Téliko, des magistrats sonnaient la mobilisation et avaient même préconisé un report des audiences le jour de l’audition (aujourd’hui).

Un face-à-face qui s’annonce donc épique entre magistrats d’une part, entre magistrats et avocats d’autre part. Car, pour sa défense, le président de l’UMS a constitué un pool d’avocats, contrairement à certains usages. En outre, comme cela a été annoncé, une véritable armada de hauts magistrats s’est constituée pour plaider la cause de leur président.

En fait, au-delà de la personne de Souleymane Téliko, ce qui est en jeu dans cette affaire, c’est la survie même de l’Union des magistrats sénégalais et la liberté de ton que l’on connait jusque-là à ses membres. Au sortir d’une telle épreuve, existera-t-il encore de magistrats suffisamment engagés pour succéder au président Téliko qui en est à son dernier mandat ? Rien n’est moins sûr.

Mais, soulignait le bureau actuel dans ses différentes sorties, il est hors de question de céder à ce qu’il considère comme une tentative de musellement de l’institution. ‘’Dans l’intérêt des magistrats, des citoyens et de la justice tout entière, l’UMS doit continuer et continuera à faire entendre la voix des magistrats et de tous ceux qui ont fait le choix de faire prévaloir la vérité sur le faux, la justice sur l’arbitraire’’, soutenaient les camarades de Téliko en point de presse.

A les en croire, le garde des Sceaux s’est disqualifié, parce qu’il a montré ‘’son incapacité à faire preuve de la hauteur et du sens du dépassement que nécessite une gestion efficiente d’un service aussi important et délicat que la justice’’. Et d’ajouter : ‘’En se livrant à une telle stratégie de musellement de notre organisation, le garde des Sceaux veut nous imposer une alternative : se taire ou disparaître. Nous, membres de l’UMS, avons choisi une troisième voix : celle de la liberté et de la dignité.’’

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Les mises en garde de la société civile

Mobilisées depuis le début de cette affaire, des organisations de la société civile expriment leur regret et prient pour un dénouement heureux de cette affaire qui n’aurait jamais dû arriver à ce stade.

Président de la Ligue sénégalaise des Droits de l’homme, Maitre Assane Dioma Ndiaye regrette cette procédure contre le président de l’Union des magistrats sénégalais, estimant qu’elle est de nature à semer le désordre sur les avancées qui ont été réalisées ces dernières années.

Il peste : ‘’Nous avons toujours mené le combat pour l’indépendance de la justice. On ne peut parler d’une démocratie efficiente sans une justice indépendante. Il y avait une dynamique qui était là avec des réformes assez intéressantes, mais cette convocation de M. Téliko vient semer le désordre dans ce processus qui était porteur d’espoir.’’

Très engagé pour la cause des droits humains, l’avocat estime que cette convocation ne se justifie pas, car ce n’est pas le magistrat isolé qui parle, mais le président d’une organisation en charge de la défense de l’image de la justice. ‘’Et ce qu’il a dit n’est en rien nouveau. Cela a été dit par la Cour de justice de la CEDEAO, reconnue par la Cour d’appel. Et l’Etat lui-même avait reconnu un dysfonctionnement. Que Téliko le dise au cours d’une interview, et sous la casquette de président de l’UMS, je ne vois pas en quoi cela peut justifier une procédure disciplinaire. Nous en déduisons qu’il s’agit d’une volonté de réduire au silence et de mettre en selle une épée de Damoclès sur la tête des magistrats. C’est en cela que le combat intéresse les militants des Droits de l’homme’’.

Selon lui, il ne faudrait pas que les magistrats puissent être inquiétés sans raison. ‘’Ce n’est pas la personne de Téliko qui nous intéresse, mais c’est des principes. Fragiliser l’UMS, c’est fragiliser l’indépendance de la justice. Nous espérons que ses pairs le jugeront non pas en tant que magistrat isolé qui critique ses pairs, mais comme le président de l’UMS qu’il est censé représenter. A ce titre, il a le devoir de parler aux Sénégalais sur le fonctionnement de l’institution judiciaire’’, plaide la robe noire.

Qui ajoute : ‘’Nous demandons (aux membres du conseil de discipline) de juger en leur âme et conscience, et en tenant compte des actes objectifs qui leur sont soumis. Ce sont des hauts magistrats et je pense qu’ils sauront faire une application correcte de la loi. Le plus grand enjeu sera de faire la part entre le statut du magistrat et le statut de l’UMS. Le statut intrinsèque de magistrat ne doit pas primer sur celui de l’UMS qui donne des prérogatives à son président’’.

Embouchant la même trompette, le président de Legs (Leadership, éthique, démocratie et gouvernance) Africa dénonce ce qu’il considère comme des menaces sur la démocratie. Il fulmine : ‘’Je pense que nous avons un véritable problème de respect des règles les plus élémentaires de la démocratie, dans ce pays. Nous avons affaire à des gens qui utilisent les rouages de l’Etat pour anéantir toutes formes ou velléités de résistance, à coups de viles tactiques et manigances. Nous constatons, de plus en plus, de violations des libertés des citoyens et une volonté de museler les résistants à un projet unique. C’est inacceptable.’’

Pour lui, il faut interpeller les responsabilités des uns et des autres pour que les libertés puissent primer sur les aspects techniques. ‘’Nous appelons à la raison et au sens élevé de la démocratie et de la mesure. L’image de la justice a déjà été assez entamée. Je pense que nous devons tous travailler à redorer le blason de notre institution judiciaire, plutôt que de se préoccuper à sanctionner des magistrats qui ont juste osé dénoncer certaines pratiques’’, a relevé le responsable de Legs Africa.

Et de renchérir : ‘’Nous avons le devoir de protéger les lanceurs d’alerte. Nous avons le devoir de protéger ceux qui s’insurgent contre l’injustice, ceux qui prennent la parole pour défendre l’intérêt public. Il n’y a aucun autre principe, fût-il, un principe d’ordre technique qui doit être mis au-dessus de cette préoccupation.’’  

AFFAIRE TELIKO

Ce que risque le président de l’UMS

S’il est reconnu coupable, voici les sanctions que prévoit le statut des magistrats.

Aux termes de l’article 18 et suivants de la loi organique portant statut des magistrats, ‘’tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité de ses fonctions constitue une faute disciplinaire’’. 

En ce qui concerne les sanctions disciplinaires prévues par le texte, il s’agit, pour les sanctions du premier degré, du blâme, de la réprimande et du déplacement d’office. Pour les sanctions du deuxième degré, il s’agit du retrait de certaines fonctions, de l’interdiction temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à un an, de l’interdiction temporaire d’exercer les fonctions de juge unique pour une durée d’un à cinq ans, de l’abaissement d’échelon, de la rétrogradation, de la mise à la retraite d’office ou l’admission à cesser ses fonctions, lorsque le magistrat n’a pas droit à une pension de retraite, de la révocation avec droits à pension, de la révocation sans droits à pension.

Il y a à peine quelques jours, le conseil statuait sur deux autres dossiers qui avaient secoué la magistrature sénégalaise. Il s’agit de l’affaire des juges Yaya Dia et Ousmane Kane. En ce qui concerne le premier, le conseil avait retenu la rétrogradation pour ‘’accusations de corruption non-prouvées’’.

Quant au premier président de la Cour d’appel Ousmane Kane, le CSM lui reprochait surtout la tenue d’une conférence de presse, au cours de laquelle il n’a pas manqué de proférer des ‘’termes injurieux’’. Mais il s’en est tiré à meilleur compte, avec à la solde un simple blâme.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les griefs à l’encontre du président de l’UMS sont de loin moins graves. Même si le dossier a semblé beaucoup plus intéressé la tutelle qui a eu à mener une véritable campagne de diabolisation contre M. Téliko.

MOR AMAR

 

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