Publié le 25 Sep 2020 - 21:09
AFFECTATIONS DES TERRES DU DN

L’Etat adoube les gouverneurs, déplume les préfets

 

Adopté en Conseil des ministres, puis retiré du circuit, adopté à nouveau en Conseil des ministres, le décret modifiant les conditions d’affectation des terres du domaine national a, finalement, été rendu public hier. Alors que les préfets semblent être les grands perdants, les gouverneurs les principaux gagnants, les maires, eux, vont apprendre à s’adapter au nouveau schéma.

 

Mais quelle est donc la finalité du décret 2020-1773, modifiant le décret 72-1288 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national ? L’Etat du Sénégal est-il allé jusqu’au bout de sa logique dans cette réforme prônée depuis belle lurette ? Ces questions peinent à trouver réponse. Alors qu’ils étaient nombreux à craindre ou attendre –c’est selon - une réforme très profonde, les Sénégalais ont eu droit à une réformette.

Désormais, les préfets et sous-préfets sont déplumés au profit de leur supérieur, le gouverneur de la région.

Selon les nouvelles dispositions, la compétence du sous-préfet est restreinte aux délibérations sur des superficies inférieures à 10 ha ; tandis que ceux du préfet peuvent aller jusqu’à 50 ha, mais pas plus. C’est ce qui ressort de l’article 2 du décret 2020-1773. En son alinéa 1, il dispose : ‘’Les terres de culture et de défrichement sont affectées par délibération du conseil municipal. Cette délibération n’est exécutoire qu’après avoir été approuvée, soit par le sous-préfet, soit par le préfet de département territorialement compétent, lorsque la superficie objet de la délibération ne dépasse pas 10 ha.’’

Aux termes de l’alinéa 2, ‘’dès que la superficie est comprise entre 10 et 50 ha, seul le préfet du département dans lequel est géographiquement localisée l’assiette, approuve la délibération’’. ‘’Au-delà de 50 hectares, la délibération ne peut être approuvée que par le gouverneur de région territorialement compétent, par acte réglementaire enregistré au niveau du Secrétariat général du gouvernement’’.

Joint par téléphone, le maire de Ndiaganiao, Gana Gningue, prend acte, mais craint des lourdeurs allant à l’encontre des principes directeurs de la déconcentration. Toutefois, il essaie de relativiser : ‘’Dans tous les cas, c’est juste des échelons qui changent. Le conseil de légalité a toujours été là. Mais je pense qu’on aurait pu garder la même formule, conformément à l’esprit de la déconcentration. L’objectif de la déconcentration est de déléguer certains pouvoirs qui étaient concentrés dans les départements ministériels, aux gouverneurs, préfets et sous-préfets. Je ne vois pas pourquoi remettre en cause cela pour reconcentrer à nouveau les choses. C’est des lourdeurs qu’on crée. Alors que l’Administration a intérêt à être plus proche pour plus d’efficacité.’’

Dans le fond, les changements sont vraiment insignifiants par rapport aux attentes. En effet, pendant que le nouveau texte ne fait qu’adouber les gouverneurs au détriment des préfets et sous-préfets sur les grandes superficies, l’ancien texte leur accordait les pleins pouvoirs, quelles que soient les surfaces en jeu. Toujours est-il que le schéma reste presque le même. Les conseils municipaux s’attellent aux délibérations, et le représentant de l’Etat contrôle, en vue d’accorder ou de refuser sa bénédiction.

Pour sa part, le maire de Ndiaganiao ne se fait pas trop de soucis. ‘’Quelle que soit l’autorité, gouverneur, préfet ou sous-préfet, dit-il, je n’ai pas de problème particulier. Le seul souci, c’est que ça éloigne un peu l’Administration. Le sous-préfet est l’autorité le plus proche. Et souvent, c’est quelqu’un qui va sur le terrain. Du moins, c’est le cas dans notre circonscription. Il a aussi l’avantage, parfois, de participer lui-même aux délibérations. Quand il le souhaite, il peut également appeler le chef du village concerné pour faire des investigations complémentaires. C’était vraiment une gestion de proximité’’.

Le problème du foncier, selon M. Gningue, était donc ailleurs, mais pas dans le contrôle effectué par les représentants de l’Etat. A son avis, pour les collectivités qui respectent l’orthodoxie, certains litiges peuvent être évités. Revenant sur cette procédure, il explique qu’il y a tout un dossier à constituer. D’abord, il y a la demande écrite de celui qui sollicite la délibération. Cette demande est accompagnée de la pièce d’identité et du plan cadastral du terrain. Ensuite, la commission domaniale va se rendre sur le terrain pour faire des investigations et établir un rapport. Si le demandeur a acquis le terrain d’un tiers, il faut présenter l’acte de cession ainsi que la carte d’identité du ‘’vendeur’’. ‘’Nous vérifions toutes les pièces, aussi bien sur la forme que le fond. Et c’est le conseil qui adopte ou rejette. Ensuite, le dossier est transmis au sous-préfet. Pour les demandeurs qui veulent mettre en place une société, il faut le plan de mise en valeur et, le cas échéant, les garanties financières’’, argue l’édile de Ndiaganiao.  

En octobre 2019, lors de la première édition du Dialogue Etat/Collectivités territoriales, le chef de l’Etat se voulait pourtant beaucoup plus ambitieux. Devant un parterre d’élus, il affirmait sans ambages : ‘’Nous avons un sujet qui fâche ; c’est un sujet difficile ; c’est la question foncière. Dès qu’on l’aborde, les gens se murent dans un silence de cathédrale. Mais il s’agit du principal facteur d’instabilité au niveau national ; en milieu rural comme en milieu urbain. Il faut qu’on réfléchisse très sérieusement sur cette question. Il faut qu’on revoie comment on distribue les terres.’’

Dans la même veine, le président Macky Sall ajoutait : ‘’Même si, au départ, pour le développement de l’agriculture, on permettait aux conseils municipaux et ruraux de délibérer, peut-on les laisser donner toutes les terres sur leur territoire ? J’invite à la réflexion, parce que tôt ou tard, nous serons obligés de prendre des mesures de sauvegarde pour les générations actuelles et futures.’’

Ce projet avait le mérite d’être très ambitieux, bien qu’il fût loin de rassurer tous les acteurs. Certains n’y voyant qu’une volonté de l’Etat central de dépouiller les élus locaux de la question foncière. Pour ces derniers, il était hors de question de se laisser faire.

Depuis son accession à la magistrature suprême, le président Macky Sall n’a eu de cesse de prendre des initiatives allant dans le sens de modifier le domaine national, qui date de 1964. En attendant de plus vastes réalisations, le chef de l’Etat s’est contenté de donner de nouvelles compétences aux gouverneurs, au détriment des préfets et sous-préfets.

Aussi minime soit-elle, cette réforme semble intervenir dans la douleur. Comme l’annonçait ‘’EnQuête’’ dans son édition du 24 août 2020. Elle a été précédée d’un cafouillage rarissime au sommet de l’Etat. Adopté lors du Conseil des ministres du mercredi 12 août 2020, le projet de décret portant modification du décret 72-1288 du 27 octobre 1972 relatif aux conditions d’affectation et de désaffectation des terres du domaine national a été rapporté dès le lendemain, à travers un communiqué spécial publié au quotidien national ‘’Le Soleil’’. Interpellée sur les raisons de ce retrait, la porte-parole du gouvernement n’avait pas voulu se prononcer. Finalement, ce n’est que le mercredi 16 septembre que le gouvernement est revenu à la charge pour adopter, à nouveau, en Conseil des ministres, le fameux décret. Pourquoi le premier a été retiré du circuit ? On ne le saura peut-être jamais.

Ce qui est sûr, c’est que les maires du Sénégal, eux, vont continuer de garder leurs privilèges, quelles que soient les superficies objet des délibérations.

MOR AMAR

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