Publié le 14 Jun 2020 - 03:39
#AFRICABLACKFORLIVES

Des acteurs culturels s’engagent

 

‘’L’Afrique soutient la vie des Noirs’’. Un collectif d’acteurs et d’activistes culturels veut le démontrer à travers des expressions artistiques et des manifestations, en créant le hashtag #AfricaForBlackLives.

 

De plus en plus de collectifs naissent partout dans le monde pour condamner les violences, les injustices et le racisme dont sont victimes les Africains-Américains, depuis la mort de George Floyd, le 25 mai dernier à Minneapolis. Au Sénégal, après la création du Collectif de solidarité Afrique-USA, un autre voit le jour. Il s’agit du mouvement d’acteurs et d'activistes culturels réunis autour du hashtag #AfricaForBlackLives (l’Afrique soutient la vie des Noires). Il est particulier. Il se veut régional, voire mondial et s’exprime, au-delà des manifestations, par des expressions culturelles. Les membres de ce mouvement, d’origines diverses, sont en train de voir comment intégrer toutes les formes d’art dans leur lutte. ‘’On pense à la musique.

On compte demander à des musiciens de participer en faisant des concerts. Pour le graffiti, des graffeurs vont tagger une partie de la ville de Dakar et d’autres capitales en Afrique de l’Ouest. Derrière ces peintures murales, les gens peuvent se faire photographier de manière symbolique et originale. On veut que chacun puisse s’approprier cette initiative’’, a expliqué l’un des initiateurs, le photographe Antoine Tempé, en marge d’une conférence de presse organisée à Dakar. D’une mère du sud de l’Inde et d’un père guadeloupéen, la comédienne Nathalie Vairac, à l’initiative de ce collectif, vit à Dakar depuis 6 ans.

La vidéo montrant la mort de George Floyd agonisant sous le genou d’un policier blanc en Amérique ne l’a pas laissé indifférente. Elle explique qu’après avoir visualisé les images, automatiquement, elle s’est sentie concernée. C’est ainsi que l’idée d’organiser ce mouvement est née chez elle. ‘’Je me suis dit qu’à l’instar de George Floyd, un de mes proches pourrait subir le même sort. On a l’habitude de dire que ça ne nous regarde pas quand ça vient de ‘là-bas’. Mais ça nous concerne forcément d’une façon ou d’une autre’’, dit-elle. Elle compare ce genre d’acte ‘’abominable et ignoble’’ à la Covid-19. Cette maladie venue de Chine et qui s’est propagée partout dans le monde, ne laissant aucune race et aucun pays infaillible.

‘’Quand le coronavirus est arrivé, on s’est solidarisé. Tout le monde a eu peur pour soi et pour ses proches, parce que tout le monde a vu ce que c’est que d’être face à la mort. Alors comment, aujourd’hui, on peut laisser un être humain mourir dans des conditions horribles, par le seul fait qu’il est noir et ne rien faire ?’’, s’interroge Nathalie Vairac, estimant que ‘’ne rien dire, ne rien faire, c’est d’être complice. ‘’Le silence, dit-elle, n’est pas une option. Aujourd’hui, il n’y a personne qui pourra dire qu’elle n’est pas informée. Et il y va de notre responsabilité en tant que partie civile, en tant que citoyen’’.

Les initiateurs se réjouissent de constater que maintenant, plus d’énergies se font sentir partout dans le monde en solidarité aux Américains en lutte contre le racisme. Considérant que la mort de George Floyd n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, ils interpellent le monde et veulent être les acteurs du changement. La première idée de Mme Vairac était d’organiser une marche. Mais les contraintes liées à la pandémie avec les mesures sanitaires prises par le gouvernement sénégalais lui ont fait comprendre que ce n’était, pour l’instant, pas possible. C’est après un échange avec ses amis évoluant dans le secteur de l’art que les choses ont pris une tournure culturelle. ‘’L’idée est de créer un rassemblement d’acteurs et d’activistes culturels.  Nous partageons un quotidien humain, solidaire et culturel à Dakar’’, précise-t-elle.

Une large audience 

Le hashtag ‘’#AfricaForBlackLives’’, un ‘’bébé d’une semaine’’, commence à avoir un grand succès. Les initiateurs tissent déjà des liens, un peu partout, à travers les réseaux sociaux. ‘’On travaille en lien avec beaucoup de gens sur le continent, grâce à notre réseau. On a une plateforme qui existe depuis le Mozambique. Ce dimanche, on participe à une prise de parole sur Zoom. Il va y avoir des artistes, des activistes et des gens qui ont créé des mouvements dénonçant le crime infligé à George Floyd au Ghana, en Tanzanie, en Afrique du Sud et au Mozambique. Donc, ils ont repéré notre mouvement et ils nous ont demandé de participer à ce titre. On est tous connecté et quelque part c’est agréable’’, sourit Olivia Marsaud, membre du collectif. ‘’Chacun a essayé de toucher tous les pays avec lesquels on pouvait avoir des contacts, en passant par son réseau personnel. Certains ont déjà répondu. Et puis, c’est à nous de réalimenter et d’activer un peu plus, de façon soutenue’’, renchérit Nathalie Vairac.

Aussi, les actions ont déjà débuté. ‘’Dès qu’on a annoncé ça, on a commencé à photographier des gestes forts (genou à terre) qui permettent d’identifier le mouvement et les poster sur les réseaux sociaux’’, relate Antoine Tempé.

Par ailleurs, ce collectif d’acteurs évoluant dans le secteur culturel qui veut mettre fin à toutes brutalités et à toutes injustices, demande aussi ‘’justice pour Adama Traoré’’.

NATHALIE VAIRAC, INITIATRICE DE #AFRICAFORBLACKLIVES

‘’Il faut du temps pour récupérer son imaginaire social’’

‘’Les Noirs subissent encore des actes racistes parce qu’il y a eu la traite négrière et la colonisation qui ont fait qu’il n’y a pas très longtemps, on a voulu nous apprendre qu’on est une valeur marchande moins que rien et que  l’autre peut nous utiliser et nous tuer, écraser. Donc, si on prend le nombre de générations auxquelles ça était transmis, c’est considérable.  Pour moi, par exemple, qui viens par mon père de la Guadeloupe, c’est quatre générations en arrière. Ça veut dire, ma grand-mère a grandi dans ces conditions et qu’elle a élevé mon père dans ces conditions. On est sur la brèche des générations qui peuvent    dire ‘stop’.

Dans la jeunesse sénégalaise, par exemple, il y a des forces vives, des idées. Mais avant, il y a eu une telle autorité dans l’écrasement, l’asservissement que ça met du temps pour récupérer son imaginaire social. Déjà, reconnaitre soi-même qu’on a de la valeur, apprendre à prendre confiance en soi, ça prend du temps.

Donc, ça l’est dans un tissu générationnel. Et puis, de l’autre côté, il y a beaucoup de gens qui se sont installés dans cette position que l’Afrique serait moins que rien. On peut prendre l’exemple sur ce qu’on a traversé, à savoir la Covid-19. Parce que ça a marqué un tournant dans notre humanité. Il y a beaucoup de pays qui se sont mis à projeter sur l’Afrique, disant qu’on n’aurait pas les ressources et la force pour faire face. Ça montre bien que certaines projections continuent à se faire à l’encontre des gens à la peau noire’’.

BABACAR SY SEYE

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