Publié le 14 Dec 2019 - 23:35
ALGÉRIE - NOUVEAU PRÉSIDENT D’UN PAYS SOUS TENSION

Les défis d’Abdelmadjid Tebboune

 

Abdelmadjid Tebboune a été élu président de la République dans un contexte de contestation massive, lors d’un scrutin marqué par un taux d’abstention record de près de 60 %. Un déficit de légitimité qu’il devra combler, tout en cherchant un consensus politique et en contenant l’influence de l’armée.

 

L’ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, 73 ans, a été élu président de la République au premier tour de l’élection présidentielle qui s’est déroulée jeudi 12 décembre. Les premiers résultats du scrutin – qui doivent être confirmés cette semaine par le Conseil constitutionnel – le donnent largement vainqueur avec 58,14 % des suffrages, soit près de 5 millions de voix sur les 24 millions d’électeurs inscrits. Il succède ainsi à Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis avril 1999 et qui avait été contraint à la démission en avril dernier après une révolution qui a démarré en février pour contester sa candidature à un cinquième mandat.

Premier scrutin après cette révolution pacifique qui jette encore chaque semaine des centaines de milliers de manifestants dans la rue, la présidentielle s’est déroulée dans un climat extrêmement tendu. Jeudi, des milliers de personnes ont manifesté dans la capitale, ainsi que dans d’autres villes du pays, pour s’opposer à cette élection et exiger à nouveau la fin du système. Des troubles ont été enregistrés dans certaines villes de Kabylie, cette région rebelle et frondeuse où la population a massivement boycotté le scrutin.

Le taux d’abstention record, le plus important de toutes les présidentielles que l’Algérie a connu depuis l’ouverture démocratique de 1989, souligne à juste titre l’ampleur du rejet ou de l’indifférence des Algériens pour ce rendez-vous électoral. La contestation populaire ne devrait pas faiblir, dans la mesure où de nouvelles manifestations ont eu lieu vendredi 13 décembre, alors que d’autres actions sont prévues pour les jours à venir.

Surprise

De nombreux observateurs pensaient pourtant que les chances de Tebboune, présenté comme le candidat de l’establishment militaire, étaient minimes après une campagne électorale plombée par les défections dans son staff et par l’arrestation de deux de ses amis et bailleurs de fonds. L’ex-Premier ministre a finalement déjoué les pronostics, battant largement ses quatre rivaux.

L’autre surprise de ce scrutin est le score de l’islamiste Abdelkader Bengrina, arrivé en seconde position avec 17,38 % des suffrages. Candidat pour la troisième fois après 2004 et 2014, l’ex-chef du gouvernement Ali Benflis termine quant à lui troisième avec 10,55 % des voix. L’ancien ministre de la Culture Azzedine Mihoubi, également présenté par certains comme un éventuel favori de l’armée, subit une véritable déroute avec seulement 7,26 %.

Un fiasco d’autant plus spectaculaire que Mihoubi a obtenu le soutien du Rassemblement national démocratique (RND), ainsi que celui du FLN, les deux partis qui formaient l’ancienne alliance présidentielle. L’échec qui accompagne sa candidature aura des conséquences majeures sur l’avenir politique de ces deux formations.

Un homme du système ?

Né à El Bayadh, dans les Hauts Plateaux de l’Ouest, d’une mère paysanne et d’un père militaire, Tebboune commence sa carrière au sein du corps préfectoral dans les années 1970 et 1980, avant de faire son entrée au gouvernement en 1991 comme ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur. Ce passage ne dure que quelques mois. Il se retire ensuite de la vie politique, avant de faire son come-back dès l’élection de Bouteflika, en 1999.

Il est alors nommé ministre de la Communication, ministre délégué auprès du ministère de l’Intérieur, puis ministre de l’Habitat. Le zaïm lui confiera les clés du gouvernement en mai 2017, mais l’expérience tourne court. Évincé avec fracas au bout de quatre-vingts jours, il se met en retrait pendant deux ans, avant de faire son retour en septembre dernier pour se porter candidat à cette élection.

Accusé d’être un homme du système, un membre de la « Issaba » (bande mafieuse) dont les figures de proue sont actuellement incarcérées à la prison d’El Harrach pour des faits présumés de corruption, ou encore de faire figure de reliquat du régime du président déchu, avec lequel il a entretenu de solides liens d’amitié, Tebboune balaie ces reproches en se plaçant dans une posture victimaire. À ses détracteurs, il rappelle qu’il a été éconduit du Palais du gouvernement en août 2017 sur l’instigation des oligarques qui croupissent en prison, et que son fils Khaled est toujours en détention dans le cadre du scandale de l’affaire Kamel Chikhi, alias El Bouchi, un importateur de viande et promoteur immobilier accusé de s’adonner au trafic de cocaïne.

Ses amis, anciens collègues et connaissances dressent de lui le portrait d’un personnage bien sous tous rapports, bon vivant, travailleur, de commerce agréable et d’une grande capacité d’écoute. Un éloge toutefois contredit par ses contempteurs, qui lui reprochent son goût prononcé pour les affaires et son absence d’ancrage politique.

Déficit de légitimité

C’est peu dire que le nouveau président devra gouverner dans un contexte politique, social et économique des plus défavorables. Même élu au premier tour, Abdelmadjid Tebboune aura en effet à surmonter son déficit de légitimité populaire. D’autant qu’une large frange des Algériens, qui conteste le principe même de l’élection, semble bien décidée à continuer de manifester. La première de ses priorités sera donc de calmer la rue et d’instaurer le dialogue et la concertation pour convaincre ses opposants qu’il est en mesure de satisfaire aux revendications du Hirak.

Son deuxième challenge consistera à instaurer un consensus avec le reste de la classe politique, toutes tendances confondues. N’étant pas issu du FLN, n’ayant pas été soutenu par le RND, il peut espérer faire prévaloir sa qualité de président sans chapelle politique dans l’espoir de convaincre d’autres partis de soutenir son projet.

Le troisième défi, sans doute le plus complexe, réside dans sa capacité à gérer l’influence de l’armée, tout particulièrement celle de son chef, le général Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major. Quels seront le rôle et la place de celui-ci dans le nouvel échiquier politique, sous la présidence Tebboune ?

Véritable homme fort du pouvoir, Gaïd Salah a tout fait pour imposer cette présidentielle qu’il a présentée comme l’unique solution pour sortir de la crise institutionnelle, au risque d’exacerber les tensions et d’alimenter la contestation populaire. Va-t-il se défaire progressivement de son rôle pour céder la place au nouveau chef de l’État, afin que celui-ci honore ses promesses de campagne ? Les premiers pas de Tebboune comme successeur de Bouteflika au Palais d’El Mouradia devraient donner quelques indications sur ce que sera sa présidence.

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