Publié le 5 Sep 2019 - 02:12
ALLA KANE (NDAWI ASKAN WI)

‘‘S’il [Dansokho] avait l’agilité physique et intellectuelle...’’

 

Qui pour raconter mieux Amath Dansokho qu’Alla Kane. Camarade de route du défunt ex-secrétaire général du Pit, M. Kane a assisté à toutes les étapes importantes de la gauche, allant du Pai à Ndawi Askan Wi où il est présentement membre du Secrétariat politique, en passant par le Pit. Inspecteur des impôts et domaines à la retraite, il jette un regard rétrospectif, avec la disparition de cette grande figure marxiste.

 

Quel témoignage portez-vous sur le défunt combattant marxiste-léniniste Amath Dansokho ? 

Ce qui me lie à Amath Dansokho n’est pas l’amitié, mais la camaraderie. Nous avons cheminé longuement, 24 ans, dans le militantisme politique, au sein de l’organisation qu’était le Parti africain de l’indépendance (Pai). Les trois années, c’était dans la légalité. Ce qui a permis de conscientiser les masses, de diffuser les idéaux de socialisme et de légalité, et de faire pénétrer l’idée d’indépendance dans le peuple sénégalais.  Le parti s’était alors déployé avec énergie. Nous avons réalisé tout cela, parce que nous étions des camarades qui combattons le colonialisme. Nous ne l’aurions pas fait étant amis. Ce travail qu’on a fait, Dansokho, moi et d’autres, a permis de mettre ce pays dans l’orbite des indépendances, au moment où d’autres forces politiques n’avaient comme programme que la révision du Titre VIII de la Constitution de l’IVe République. Elles voulaient réviser, replâtrer et continuer. Nous avons obligé ces gens à rejoindre le mouvement général et...

Qui étaient-ils ?

C’était les Senghor, Mamadou Dia, Lamine Guèye, etc., qui n’ont jamais été pour l’indépendance. Le dada de Senghor était la révision du Titre VIII. Lui-même disait que si l’on trainait, la jeunesse que nous étions, allait forcer les choses et aller vers l’indépendance. 

Et que s’est-il passé par la suite ?

Donc, de 1957 à 1960, nous étions dans la légalité, mais les 21 autres années, nous avons évolué dans la clandestinité. C’est en août 1960 que le Pai a été dissout.  Mais, nous, jusqu’au 31 mai 1981, avons continué la lutte. Je pense que nous avons partagé ce mouvement, car il y a beaucoup de similitudes entre nous deux. Dansokho est né à Kédougou en 1937 ; moi, je suis né à Gatte un an plus tôt, dans un village du département de Bambey. Nous sommes venus au monde dans une partie du pays où les gens étaient sous protectorat. C’est-à-dire que les gens qui étaient dans ces parties du Sénégal étaient des sujets français soumis au Code de l’indigénat par la puissance coloniale, contrairement aux résidents des quatre communes qui étaient des citoyens sénégalais. Ils appliquaient ici le fameux principe du diviser pour mieux régner. Pour un même peuple, il y avait des citoyens et des sujets. Dansokho et moi étions des sujets (rires). Les conditions de vie de ces populations ont forgé notre conscience de fils du peuple. Nous avons également eu la chance d’avoir fréquenté l’école. Mais c’était pour mieux affronter les colons avec leurs propres arguments. 

A nos 20 ans, nous étions dans les années 50 où le monde d’après-guerre connaissait des mutations profondes avec les luttes pour l’indépendance des peuples inspirées de la Libye, de l’Egypte, de la Tunisie, du Soudan, le Maroc, le Ghana, Dien Bien Phu, l’Upc au Cameroun ainsi que la guerre d’Algérie. Le hasard a voulu que j’aie fait mes premiers pas en tant qu’instituteur dans la région où est né Dansokho. Les premières écoles que j’ai faites étaient Goudiry, Saraya puis Kidira. Quand je rejoignais mon poste à Saraya, j’ai marché de Kédougou à Saraya avec des porteurs pendant une journée pour une nuitée à Bembou et continuer le lendemain. Ce qui m’a renforcé dans ma conviction qu’il fallait faire quelque chose pour libérer nos peuples, vu les conditions de leur vie. C’est ce que j’ai partagé avec lui. Le jour où le manifeste du Pai est tombé entre mes mains, je me suis dit : ‘‘Voilà ce qu’il nous fallait. Je vais adhérer.’’ Dansokho, qui était à St-Louis, a adhéré en même temps.

Quand il était à St-Louis, nous étions dans la clandestinité. Il y avait un principe fondamental qu’était le cloisonnement. Il n’y avait pas de liaisons directes avec les structures, par souci d’éviter que la répression ne vienne à bout du mouvement. Des camarades se sont exilés, comme le secrétaire général Majmouth Diop ou Ly Tidiane qui a rejoint Bamako. Nous, de notre côté, avons fait la prison, car après la dissolution, à chaque fois qu’on distribuait des tracts, on nous prenait. J’étais le premier secrétaire exécutif régional de Diourbel du Pai, dans la légalité comme dans la clandestinité. Suite à mon arrestation en 1961, on m’a radié de la Fonction publique devant une commission de discipline. L’année suivante, j’ai été arrêté et amené à Thiès. Dansokho aussi était dans la même situation à Dakar où il a été arrêté en 1964 pour activités clandestines avec son engagement à l’université de Dakar. Quand il a eu une liberté provisoire, il en a profité pour rejoindre les camarades à Bamako.

Pourquoi le choix de Bamako comme lieu d’exil ?

Parce qu’à la suite de l’éclatement de la Fédération du Mali, Modibo Keita a ouvert les portes au Pai qu’il connaissait très bien. Son parti est une section du Rda, donc un parti fortement ancré à gauche. C’est d’ailleurs cela le but de la manœuvre française pour éclater la Fédération du Mali : éloigner Senghor et les autres de Modibo. Dansokho est parti donc en 1964 et avait comme mission de faire des tâches de représentation du parti à l’étranger. Il a été le représentant du parti à Prague, de représenter le parti auprès des partis communistes frères d’Europe, la liaison des sections Pai à travers l’Europe, et il a aussi la mission de soigner l’image du parti avec les mouvements de libération, notamment lusophones comme le Frelimo, le Paigc, le Mpla. Ça lui a d’ailleurs valu un capital très riche de relations. Il est resté treize ans à l’étranger pour ne revenir qu’en 1977.

Ceci dit, nous qui étions à l’intérieur étions fiers de nous battre dans la clandestinité, car c’était la même organisation. Par la suite, un groupe de 33 camarades a été sélectionné pour aller faire la formation militaire à Cuba, dont je faisais partie. A notre retour, nous avions un grade de commandant et avions organisé le territoire en zones militaires pour lesquelles j’étais le commandant de la zone Ouest (Cap-Vert) chargé de la guérilla urbaine. Madické Wade était au Nord, Sadio Camara à l’Est, Bara Goudiaby pour la Casamance. Ensuite, c’était la direction nationale que j’ai intégrée de 65 à 67 avec Seydou Sy Cissokho, Madické Wade et Babacar Tafewa-Balewa.

On a dirigé le parti en ces périodes difficiles, car quand le gouvernement a été informé de nos intentions, il y est allé avec toute la force de la répression. Ce qui a affaibli le parti. C’est là que nous sommes allés à la Conférence nationale rectificative du 1er mai 1967 pour des correctifs, comme la suspension du camarade secrétaire général Maj’, la mise en place d’un nouveau Comité central... Bref, depuis le premier Congrès en 1962, j’ai assisté à tous les moments importants du parti. Cerise sur le gâteau, j’ai présidé la huitième et dernière session du Comité central, sous le sigle Pai, du 31 mai 1981 à Ouakam, chez le camarade Ismaila Diagne.   Ce jour, les 22 camarades ont pris deux décisions : dernière réunion sous le sigle Pai Sénégal et reprise de l’activité sous le sigle Pit. La deuxième décision était de fixer la date du Congrès constitutif du Pit aux 8 et 9 août 1981. Il se trouve que quand je présidais cette réunion, j’étais encore stagiaire à l’Enam. En 1982, j’ai eu mon diplôme d’inspecteur des impôts et domaines.

Les camarades ont décidé de m’accorder un statut spécial au lieu de m’afficher. J’avais le privilège de rester en contact direct avec le secrétaire général uniquement. Seuls lui et moi savions ce qui m’était confié comme tâches ou missions. Nous nous voyons mensuellement. Quand Seydou Sy Cissokho a quitté, j’ai travaillé avec le nouveau Sg, Dansokho, de 1981 à 1991. Il venait mensuellement à la maison, autour d’un plat de couscous que ma femme préparait, et ce sur sa commande. C’est en intégrant le gouvernement de majorité élargi que nous avions eu une longue discussion à deux et j’ai manifesté mon désaccord en lui disant : ‘‘Camarade, je m’arrête là. Que toute l’Afrique se lève et marche vers l’indépendance et le socialisme, disait-on dans le manifeste. Nous ne sommes ni indépendants ni socialistes. Ceux que vous rejoignez-là, incarnent un poids néocolonial. Je ne peux pas épouser cette position.’’

Vous aviez senti que le Pit avait renoncé à ses principes fondateurs ?

Oui ! C’est pour cela que nous avons coupé les relations sur le plan politique. J’ai cherché ailleurs. Après l’alternance 2000, avec le doyen Mamadou Dia, on a créé le Mouvement citoyen du soutien de l’Alternance Mcs/Alternance. Mais avec le référendum de 2001 et le maintien du régime présidentiel, ça a volé en éclats. Puis, c’était l’Observatoire souverain pour la démocratie et la souveraineté. Cette structure nous a permis les instances comme le Cpc, le front Siggil Senegaal, Benno Siggil Senegaal, l’Icr, les Assises nationales... Mais en reconsidérant la scène, j’ai vu un parti politique qui répondait à ma vision et qu’est Yoonu Askan Wi/Mouvement pour l’unicité populaire dirigé par Madièye Mbodj. Aujourd’hui, je suis membre du Secrétariat général permanent de ca parti. C’est là où l’on a créé Ndawi Askan Wi (Pastef, Rnd, pour les Législatives de 2017, avec Ousmane Sonko comme candidat. C’est encore là qu’on a créé la coalition Sonko-Président pour la dernière Présidentielle. Et on travaille pour l’unification de toutes ces forces de la coalition de manière définitive.

L’ironie de l’histoire fait que moi, militant au statut spécial du Pit, je me sois retrouvé frontalement contre le Pit, lors du dernier scrutin, puisqu’il était membre de Bby. 

C’est symptomatique de la fin d’un pan de la gauche sénégalaise ?

Je me pose des questions. Amath que je connais, qui a été un feu de paille dans le gouvernement de majorité élargi en 1991 et dans le gouvernement d’après-Alternance, ne pouvait pas se compromettre justement, car l’environnement gouvernemental est différent de l’environnement de son peuple. ‘‘Je suis à l’écoute des populations pour savoir ce qu’elles pensent’’, avait-il l’habitude dire ; ou ‘‘en politique, la chaleur des relations fait partie des qualités requises. C’est le seul moyen de tâter le pouls du pays’’.

Il est fondamentalement resté un homme du peuple ?

Effectivement. Quand j’ai lu récemment l’actuel secrétaire général du Pit dire que ‘‘pendant trois ans, on ne l’a pas entendu sur les affaires qui agitent notre pays, sa santé était mauvaise. Il y a des moments où le retrait s’impose’’, c’est vrai. Il n’a jamais vraiment renoncé au programme de la Ca 2000 qui était le démantèlement du parti-Etat, ce qui n’est pas le cas ; de libérer le Sénégal d’une gestion de plus en plus calamiteuse du pays, ce qui n’est pas encore le cas ; et libérer l’énergie du secteur privé. On constate qu’il est plutôt asphyxié.

La lutte contre la corruption, les rétro-commissions sans oublier les conclusions des Assises nationales ou les recommandations de la Cnri. C’est l’âge et la maladie qui ont eu raison de lui. S’il avait l’agilité physique et intellectuelle qu’il avait en 1991 ou en 2000, s’il avait le contact avec les gens comme à ses plus belles heures, je peux dire, et j’en mettrai ma main au feu, qu’aujourd’hui Dansokho serait dans Aar Li Nu Bokk.  Il est né fils du peuple et est mort fils du peuple. A chaque fois qu’il a été dans les endroits cossus de la République, il n’y a pas duré, parce que le peuple était absent de là.

Est-ce qu’il aurait fait un bon président ?

Ça ne lui a jamais effleuré l’esprit comme il disait, mais oui. Je pense qu’il aurait fait un excellent président de la République, car il aurait été bien entouré. C’est un grand combattant qui est parti. 

PAR OUSMANE LAYE DIOP

 
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