Publié le 4 Jan 2020 - 22:40
AMELIORATION DES SERVICES DES URGENCES

Les mesures qui fâchent

 

Des dispositions concernant le service des urgences ont été annoncées, hier, par le ministère de la Santé. Celles-ci incommodent les médecins qui demandent à l’Etat de mettre d’abord des moyens, avant d’édicter des mesures qui risquent d’aggraver la situation déjà très délétère dans les rares services d’urgence qui existent.

 

L’Etat veut revenir à l’orthodoxie, dans la prise en charge des urgences. Dans l’optique d’améliorer leur prise en charge, le ministère de la Santé et de l’Action sociale a annoncé, hier, un certain nombre de mesures. ‘’Tout patient qui arrive en situation d’urgence doit être prioritairement pris en charge’’, indique la note en date du 2 janvier. Le ministère insiste sur l’organisation de la référence, insistant qu’aucun patient ne doive être référé vers autre structure, sans qu’il y ait une régulation au préalable. ‘’Aucun patient ne doit être évacué à bord d’un véhicule qu’une ambulance ; toute décision de référence doit être validée par le médecin responsable de la garde ; les téléphones des médecins responsables de garde et des services d’accueil des urgences doivent être fonctionnels 24 heures/24 et les numéros mis à la disposition de l’ensemble des structures’’, ajoute le ministère.

Ces dispositions, dit-on, s’inscrivent dans la phase II du Plan Sénégal émergent. Selon le ministre Abdoulaye Diouf Sarr, la prise en charge des urgences constitue un des principaux problèmes dans la Couverture maladie universelle. Raison pour laquelle son département propose un plan de résolution des dysfonctionnements, en collaboration avec les acteurs.

Seulement, ces derniers ne semblent pas l’entendre de cette oreille et considèrent que la tutelle est en train de vouloir danser plus vite que la musique.

De ce fait, dans les rangs des médecins, cette note officielle interpelle. Du côté du Sames (Syndicat autonome des médecins du Sénégal), on estime qu’il n’y a rien de nouveau dans les mesures énoncées par le ministère. ‘’Ce ne sont pas des mesures nouvelles ; c’est ce qui doit être fait. Nous les considérons comme un rappel, mais il y a des goulots d’étranglement quant à leur mise en œuvre, que le ministre se doit de bien analyser. Les services d’urgence ne disposent pas d’un plateau technique suffisant et adéquat. Le ministre doit pousser les chefs de structure à mettre plus de lits dans ce département, en plus d’un renforcement financier. D’autre part, la population doit participer à la bonne marche de ce service, en respectant le recouvrement, après avoir bénéficié des soins’’, déclare son secrétaire général Yéry Camara. Son point de vue rejoint la position de l’Ordre des médecins du Sénégal.

Docteur Yéry Camara soutient, par ailleurs, que le service des urgences ne peut obéir à une logique commerciale, parce qu’il ne peut être rentable, en raison de sa spécificité. En outre, il se pose un problème de régulation de la part du Samu qui, souvent, ne prévient pas avant de transférer un malade dans une structure sanitaire.   

Dr Mendy, Ordre des médecins : ‘’Ce texte risque de créer plus de problèmes qu’il n’en résout’’

Egalement, il se trouve que deux points parmi les mesures annoncées seraient difficilement applicables, de l’avis des médecins. Tout d’abord, tous les postes ou centres de santé ne disposent pas d’une ambulance. ‘’Les gens doivent faire très attention, car ce texte risque de créer plus de problèmes qu’il n’en résout. Il arrive qu’on ne puisse pas évacuer un patient, parce qu’il y a une seule ambulance qui est au même moment occupée par un autre. Dans ce cas, on est obligé de passer par d’autres moyens et il faut plutôt demander que le personnel accompagne et veille sur ce dernier’’, prévient le vice-président de l’ordre, Dr Joseph Mendy.

Le médecin poursuit : ‘’Quand vous dites que seul le médecin doit signer la référence, alors qu’il y a un seul médecin dans la structure sanitaire, comme c’est le cas dans beaucoup de régions, cela pose problème. Ce dernier peut être occupé au bloc et on ne peut pas demander aux infirmiers de garder le patient, car son cas risque de s’aggraver. Quand on parle des urgences, c’est une course contre la montre. On n’a pas de temps à perdre. On ne doit pas attendre.’’

Ainsi, il plaide pour la formation des intervenants au niveau des urgences et une plus grande disponibilité du personnel urgentiste, surtout dans les régions.  

Quant aux plaintes de certains Sénégalais fustigeant l’indifférence dont ils sont victimes dans les services d’urgence, Dr Mendy estime que ces faits sont des cas isolés et que le médecin a une obligation de prise en charge. Son collègue Serigne Fallou Samb (membre de l’Ordre des médecins) soutient, pour sa part, qu’il faut aller au-delà d’un communiqué et équiper les hôpitaux. ‘’On attend le ministre dans des propositions stratégiques de gestion globale des urgences, qui pouvaient ne pas être rendues publiques, mais mises en place en interne. La médecine, c’est la pratique ; il faut avoir les moyens de sa politique et ce n’est pas le cas’’. 

Mballo Dia Thiam demande de s’inscrire dans la durée

Par contre, le secrétaire général d’And Gueusseum (Sutsas, Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale) est plus enthousiaste. ‘’Ce communiqué, dit-il, vient à son heure et on l’approuve dans son intégralité. Ce qui est important, c’est que le ministre dresse une feuille de route qui va être appliquée. La question des urgences ne se règlera pas en un mois, ni en un an. L’essentiel est qu’on se mette dans la durée. Les hôpitaux doivent disposer de services d’urgence répondant aux normes internationales, ce que nous n’avons pas. À part l’hôpital principal et le CTO, c’est presque un désert dans le reste du Sénégal’’. A en croire Mballo Dia Thiam, ces mesures découlent d’une longue lutte syndicale qui a enregistré des concertations nationales sur les urgences avec le ministre de la Santé. 

Selon le syndicaliste, ‘’ces dispositions entrent en droite ligne avec les recommandations des concertations. Pour qu’elles puissent être appliquées, il faut un renforcement en personnel et en équipement. La contractualisation est malheureusement la règle dans le secteur de la santé, mais elle rime avec la précarisation. Les malades sont transportés dans n’importe quel véhicule ; on les récupère aussi dans n’importe quelles conditions. De ce point de vue, il y a un travail de sensibilisation à faire, un travail de formation. Il faut un renforcement des budgets d’investissement et surtout un appui au Samu national qui assure la régulation’’.

L’HISTOIRE POIGNANTE D’OUSSEYNOU DIAGNE

Aux origines de cette décision

En attendant la mise en œuvre de cette décision du ministère de la Santé et de l’Action sociale, les Sénégalais continuent de mourir dans la rue, faute de prise en charge. L’un des derniers cas en date est la mort atroce d’Ousseynou Diagne, après avoir été éconduit du CTO, de Principal, de Le Dantec, de Fann…

MOR AMAR

L’Etat, à travers le ministre de la Santé et de l’Action sociale, espère mettre un terme au spectacle désolant des patients sénégalais très affectés, à la recherche désespérément de structures de santé capables de les accueillir. Le cas d’Ousseynou Diagne est encore frais dans les mémoires. En fin octobre dernier, la famille de cette victime d’accident, leur enfant entre les mains, se tordant de douleur, a été baladée d’hôpital en hôpital, simplement parce qu’elle n’avait pas d’argent, parce qu’elle ne connaissait personne. Las de se battre, son cœur finit par lâcher sur l’autoroute à péage, alors même qu’ils étaient en partance pour la gendarmerie de Keur Massar, où les avait renvoyés la police centrale.

Le cœur meurtri, ne connaissant pas où crier son amertume, son frère jumeau expliquait, dans une vidéo diffusée dans les réseaux sociaux. ‘’C’était mon jumeau. On a fait 39 ans ensemble dans cette vie. Nous avons toujours vécu à la sueur de notre front. Parfois, il me venait en aide ; parfois, je lui rendais l’ascenseur. Il est mort dans des circonstances atroces. Moi, je me demande vraiment si on a encore un Etat…’’, témoigne Assane Diagne.

En fait, le 27 octobre 2019, suite à une collision entre un camion appartenant à l’armée et le ‘Ndiaga Ndiaye’’ dans lequel il se trouvait, les secouristes l’avaient, dans un premier temps, emmené à l’Hôpital général de Grand-Yoff. Après les premiers soins, explique M. Diagne, ladite structure les a orientés vers l’hôpital Principal de Dakar. Sur place, les responsables leur signifient qu’il n’y a pas de place disponible. ‘’Ma mère l’a supplié par tous les moyens envisageables. Quand elle lui fait savoir que mon frère était fatigué, il lui a rétorqué que là-bas tout le monde est fatigué. Mon frère, également, les a suppliés, demandant même qu’on lui coupe les jambes qui étaient toutes les deux fracturées, pour lui alléger la douleur, mais ils ne l’ont même pas écouté. A un moment, j’ai voulu intervenir, juste pour leur demander de lui donner des médicaments pour calmer sa douleur. Le médecin m’a dit qu’il n’a rien à me dire. Nous avons failli nous battre, avant que je ne sois évacué’’.

Désespéré, la famille prend son malade et se dirige vers une clinique privée se trouvant dans les parages. Dans cet établissement, il leur a été demandé la rondelette somme d’un million de francs CFA, avant toute intervention. Un ami de la famille propose de faire un acompte de 250 000 F. Mais la clinique dit niet. Ils retournent à nouveau à l’hôpital Principal qui campe sur sa position. Finalement, ils ont été orientés, d’abord à Le Dantec, puis à Fann, mais toujours en vain. Ne sachant plus à quel médecin se fier, ils vont à la police centrale de Dakar pour demander secours. Mais là également, aucune mesure conservatoire n’a été prise. On leur demande d’aller à la gendarmerie de Keur Massar qui est compétente. Et c’est sur la route de Keur Massar que l’autre jumeau a finalement rendu l’âme, laissant derrière lui une famille désemparée. Non seulement d’avoir perdu son fils, suite à un accident de la circulation, mais surtout du fait d’une négligence inacceptable de tout un système.

Pourtant, quelques jours seulement avant ce drame, le ministère de la Santé et de l’Action sociale tenait à Dakar, à grand renfort communicationnel, des concertations sur la prise en charge médicale. Aujourd’hui encore, le ministère sort du bois pour annoncer de nouvelles dispositions. Mais ils sont peu nombreux les Sénégalais à croire à leur faisabilité. Et une des principales faiblesses, dans la note de service publiée hier, est qu’aucune mesure coercitive n’a été prévue. Et d’ores et déjà, les principaux destinataires soutiennent que l’Etat a mis la charrue avant les bœufs. Ils déplorent le déficit de matériel et d’équipements suffisants.

Est-ce une raison pour sacrifier des vies ? L’Etat aura-t-il suffisamment d’audace pour aller jusqu’au bout de sa logique et pallier les limites de son applicabilité ? Plusieurs questions en suspens. Ce qui est sûr, c’est que les Ousseynou Diagne font florès. Et qu’une application diligente de la mesure Diouf Sarr pourrait permettre de leur éviter de passer de vie à trépas.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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