Publié le 31 Dec 2015 - 00:09
ANNEE SCOLAIRE SAUVEE DE JUSTESSE

La copie impropre de 2015

 

Dans la formulation des vœux du nouvel an, les acteurs de l’éducation ne manqueront sans doute pas de souhaiter que 2016 ne soit pas comme 2015. Le premier semestre a été très mouvementé. Les protagonistes et l’opinion sont passés par tous les états. Et finalement l’école a été sauvée de justesse d’une année blanche. Et voilà qu’une nouvelle tempête s’annonce déjà.  
 
 
L’année 2015 est à oublier très vite dans le secteur de l’Education, après avoir tiré évidemment les leçons qui s’imposent. Ces 12 derniers mois sont sans doute des pires de ces dernières années, excepté 2012 où l’autorité avait presque déserté l’administration pour s’occuper de questions électorales. 2015 a été donc une année de turbulence, du début à la fin. Les alertes très tôt lancées par les organisations de la société civile spécialisées dans l’éducation n’ont guère trouvé oreilles attentives. Rien n’a été fait pour éviter l’affrontement. Dès le mois de janvier, les syndicats d’enseignants ont déclenché un mouvement de grève presque illimité. Les plans d’actions se succédant et se ressemblant tous ou presque, avec une série de débrayages, de grèves totales. Négligé par les autorités au début, le combat des enseignants a fini par avoir une grande ampleur. 
 
Le Grand cadre originel d’un côté, l’USEQ de l’autre et le CUSEMS en solo. Tous réclament presque la même chose, avec un tonus plus ou point marqué sur un point ou un autre. Mais dans l’ensemble, il est question de respecter le protocole d’accords signé en février 2014 et relatif, entre autres, à la validation des années de vacation et de contractualisation, l’augmentation des indemnités de logement, l’intégration dans la Fonction publique en mettant fin aux lenteurs administratives, la formation diplomante, et la prise en charge des titulaires de diplômes spéciaux. 
 
Il a fallu attendre près de deux mois pour que les autorités se résolvent enfin à se pencher sur la question. Mais les négociations avec le ministre de l’Education nationale ont connu un blocage. Les syndicats ont même fini par manifester le désir de ne plus avoir Serigne Mbaye Thiam comme interlocuteur. Les négociations se sont poursuivies pour ne rien donner de concret. Une année blanche se précisa alors. Après 4 mois de grève et une année en lambeau, les autorités prirent enfin conscience de la gravité de la situation. 
 
L’impasse
 
Le président de la République Macky Sall invita les enseignants à regagner les classes, une première fois, lors d’un conseil ministériel délocalisé à Kaffrine. Un appel sans effet positif. L’invite fut réitérée le mardi 21 avril, à l’occasion du conseil présidentiel sur le pacte de stabilité. « J’invite encore une fois les enseignants à travailler avec le Gouvernement sur les conditions de lever le mot d’ordre de grève et d’étudier avec nous la possibilité de donner la chance à tous les enfants de ce pays », lança Macky Sall.
 
‘’Encore une fois’’, l’invitation fut déclinée. La date butoir annoncée pour une année blanche était dépassée, depuis longtemps. Le Sénégal retint son souffle et l’opinion se montra exaspérée par l’inflexibilité des syndicats. Ce qui ne changea une virgule dans leur posture. Alors, le gouvernement sortit une nouvelle arme, celle de la ponction des salaires. D’abord le mois d’avril, puis un début d’exécution pour le mois de mai. Ce fut alors l’escalade, mais surtout l’impasse. 
 
C’est à ce moment que le Premier ministre entra en lice. Le jeudi 30 avril, il invita les syndicats d’enseignants à une rencontre à laquelle prirent part 7 autres ministres et des facilitateurs issus de l’Assemblée nationale et du Conseil économique, social et environnemental. A la sortie de la réunion, ce fut un grand ouf de soulagement pour toute la nation. Un accord était enfin trouvé et le mot d’ordre de grève du Grand cadre levé. L’USEQ, qui n’a pas réellement été en grève, avait levé le sien, bien avant. Il ne restait que le CUSEMS qui s’est aligné très vite sur la nouvelle dynamique.
 
Scission du Grand cadre 
 
Mais alors que les acteurs savouraient le dénouement heureux, une annonce tomba à la surprise générale. Mamadou Lamine Dianté, coordonnateur du Grand cadre, faisait un virage à 180°. Lui, qui avait annoncé la levée du mot d’ordre il y a moins de 24 heures, revenait sur sa décision au motif que le gouvernement n’a pas respecté ses engagements de restituer les sommes ponctionnées des salaires. Une partie du Grand cadre dirigée par Abdou Faty rejeta tout de suite la décision et l’argumentaire qui va avec et se démarqua de la position de Dianté et Cie. ‘’Le génie sénégalais’’ tant vanté par le ministre de la Fonction publique Viviane Bampassy faillit se perdre. La situation fut vite dépassée, tous les acteurs acceptant de retourner dans les classes. Pour le Grand cadre, ce ne fut pas sans effet. La rupture fut en effet consommée, depuis lors, entre l’entité dirigée par Dianté et celle conduite par Abdou Faty.  
 
Concernant les accords, ce fut presque un moratoire, avec des échéances bien datées. Notons au passage que l’année scolaire a été colmatée encore une fois, avec un rajout d’un mois censé combler un gap d’un quadrimestre perdu. Il suffit juste d’interroger les résultats catastrophiques au baccalauréat (même si il est vrai que ce n’est pas le seul facteur) pour se rendre compte que ça n’a pas suffit. Quant aux engagements, à l’heure du bilan, force est de reconnaître que le gouvernement a manqué à sa parole. Presque aucune date n’a été respectée.  Les directives du PM tombées à l’eau, les syndicats ont repris service. Durant toutes les vacances, ils n’ont cessé de dénoncer un manque d’avancement dans les réalisations. 
 
Conseil présidentiel sur les conclusions des Assises de l’Education  
 
Même la tenue du Conseil présidentiel sur les conclusions des Assises de l’Education et de la Formation, le 06 août 2015, n’a rien changé. Les trois orientations retenues (une école de qualité, une école pour tous, une école viable, stable et pacifiée) n’ont guère calmé l’ardeur des enseignants. Certains ont même promis de débuter l’année scolaire 2015/2016 par un mouvement d’humeur. Le concept ‘’ubbi tey jang tey’’ (démarrer les cours le jour de la rentrée)’’ lancé par la COSYDEP et ses partenaires a été détourné par certains syndicalistes en ‘’ubbi tey, grève tey’’ (aller en grève le jour de la rentrée)’’.  
 
Finalement, la sérénité a prévalu. Le Président, à son tour, à inviter les syndicats à un déjeuner au mois d’octobre. Après avoir écouté leurs doléances (il ne s’agissait pas toutefois d’une séance de négociations), il a pris l’engagement de mettre 20 milliards à court terme pour la satisfaction des revendications. 8,8 milliards pour la validation au tiers, 6,3 milliards pour la retraite, 5 milliards pour l’alignement indiciaire. Le tout, à partir de janvier 2016. Si aujourd’hui, la plupart des syndicats semblent être dans une position d’observation, Mamadou Lamine Dianté et le SAEMS/CUSEMS n’ont pas caché leur insatisfaction. Pas plus tard que le week-end dernier, ils ont promis de déposer un préavis au mois de janvier. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le ciel syndicat ne s’est pas encore dégagé pour permettre d’entrevoir une année sans perturbations majeures.
 
L’ombre des élèves-maîtres 
 
L’année 2015 a également été hantée par l’ombre des 690 élèves-maîtres exclus en 2013 des centres de formation pour admission frauduleuse. A la fin du mois de septembre 2015, la Cour suprême a cassé le décret de Serigne Mbaye Thiam. Mais le ministre ne compte pas se plier à la décision de la Cour. Dans son discours à l’Assemblée nationale, il a mis en avant l’éthique de responsabilité. Pour lui, l’avenir des enfants vaut mieux que le respect de cette décision de justice. Dans son analyse, il  vaut mieux amputer une jambe (décision de la Cour) pour sauver une vie (l’avenir de la nation). Une posture dans laquelle il n’est pas seul. Il bénéficie du soutien des députés qui ont même signé une motion de soutien en sa faveur. 
 
Les élèves-maîtres ont organisé une conférence de presse avec leur avocat pour dénoncer un déni de justice. Mais rien n’y fait. Non seulement, le ministre reste sur sa position, mais il bénéficie du soutien du chef suprême de la magistrature, le président de la République. "Je félicite le ministre Serigne Mbaye Thiam pour la manière dont il conduit l'Education nationale. Je le soutiens dans son combat contre la non-transparence dans le secteur éducatif. (…) Nous ne saurions tolérer que l'avenir de la jeunesse de ce pays soit compromis par des comportements indignes liés à la corruption où à la non transparence".
 
 
BABACAR WILLANE
 

 

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