Publié le 28 Mar 2020 - 00:51
ANNULATION DETTE AFRICAINE

Une quête perpétuelle

 

La dette publique de l’Afrique s’invite à nouveau aux débats, à la suite de la requête du chef de l’Etat Macky Sall pour son annulation, en cette période où certains pays du continent font face aux conséquences de la crise économico-sanitaire causée par l’expansion de la Covid-19. ‘’EnQuête’’ a saisi l’occasion pour revisiter l’ampleur de cette dette et les annulations dont ces pays ont eu à bénéficier.

 

Pour répondre aux besoins de développement de l’Afrique, des ressources financières considérables sont nécessaires. Ceci, en cette période où on note un changement des modalités de financement du développement au niveau mondial. En Afrique, les ratios d’endettement extérieur enregistrés semblent gérables. Mais dans son rapport 2016 sur le développement économique en Afrique, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) indique que leur hausse rapide dans plusieurs pays est ‘’préoccupante’’ et appelle des mesures pour éviter une répétition de la crise de la dette de la fin des années 1980 et des années 1990.

En effet, selon la même source, entre 2011 et 2013, le stock annuel moyen de la dette extérieure en Afrique était de 443 milliards de dollars, soit 22 % du revenu national brut (RNB). Or, il était à 303 milliards de dollars, soit 24,2 % du RNB, entre 2006 et 2009. ‘’Le stock de la dette extérieure avait augmenté rapidement, de 10,2 % environ par an en 2011-2013, contre 7,8 % par an pendant la période 2006-2009. Toutefois, cette tendance générale en valeur absolue ne reflète pas la hausse rapide de la dette extérieure qui a été observée dans plusieurs pays africains au cours des dernières années’’, renseigne le document. En 2011-2013, le ratio dette extérieure/RNB était aussi inférieur à 40 % dans la plupart des pays africains.

Cependant, il convient de noter que la dette extérieure de plusieurs pays africains a rapidement augmenté, au cours des dernières années. Ceci, malgré l’allégement de la dette consenti au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) et de l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale pendant les vingt dernières années. D’ailleurs, en décembre 2005, 13 pays africains ont obtenu une annulation de 100 % de leur dette par le Fonds monétaire international (FMI) pour un montant total de 3 milliards de dollars. Il s’agit notamment du Bénin, du Burkina Faso, de l’Éthiopie, du Ghana, de Madagascar, du Mali, du Mozambique, du Niger, de l’Ouganda, du Rwanda, du Sénégal, de la Tanzanie et de la Zambie.

Ces pays faisaient partie des 19 États africains dont les créances étaient effacées par le FMI. Et l’objectif était, selon le communiqué de l’institution publié à cet effet, pour qu’ils ‘’augmentent leurs dépenses dans des domaines prioritaires afin de réduire la pauvreté, promouvoir la croissance et progresser dans la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement’’. Et le Sénégal a bénéficié, à cette occasion, ‘’d’une annulation de 144 millions de dollars’’, soit plus 85,634 milliards de francs CFA. Un montant qui équivalait à 136 millions de dollars, environ 81 milliards de francs CFA, en dehors de l’assistance restant dans le cadre de l’initiative PPTE.

Cet avantage ne sera pas le seul que vont bénéficier les pays pauvres très endettés. Dans sa fiche technique publiée le 31 mars 2014, le FMI rappelle qu’en 2005, en vue d’accélérer les progrès vers la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) des Nations Unies, l’Initiative PPTE a été complétée par l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale (IADM). ‘’L’IADM prévoit l’allégement de la totalité des dettes admissibles par trois institutions multilatérales : le FMI, la Banque mondiale et le Fonds africain de développement (FAD), pour les pays parvenus au bout du processus de l’Initiative PPTE. En 2007, la Banque interaméricaine de développement (BID) a elle aussi décidé d’accorder un allégement de dette supplémentaire (‘’au-delà de l’Initiative PPTE’’) à cinq PPTE de l’Hémisphère occidental’’, renchérit le document du FMI.

En fait, les institutions de Bretton Woods précisent que l’allégement de la dette s’inscrit dans ‘’un effort beaucoup plus vaste’’, recouvrant les flux d’aide. Et l’objet est de ‘’satisfaire’’ les besoins de développement des pays à faible revenu et ‘’d’assurer’’ que la dette reste ‘’durablement soutenable’’. Pour que la réduction de la dette ait un ‘’effet tangible’’ sur la pauvreté, les ressources additionnelles doivent être consacrées à des programmes qui bénéficient aux pauvres. La fiche technique du FMI renseigne aussi que le coût total de l’aide aux 39 pays qui ont été déclarés admissibles ou potentiellement admissibles à l’allégement de la dette au titre de l’Initiative PPTE, était estimé à environ ‘’76 milliards de dollars US’’ en valeur actualisée nette à la fin de 2010. Et parmi ces 39 pays figure également le Sénégal.

Il convient de souligner qu’au-delà des annulations partielles des dettes que la Chine fait pour ses partenaires de l’Afrique, Pékin avait déjà annulé 150 dettes de 32 pays africains, au premier trimestre de 2009. Et ces derniers font partie des 33 pays africains ayant établi des relations diplomatiques avec la Chine et qui étaient ‘’gravement endettés’’, ainsi que les pays les moins développés.

Une dette publique estimée à 1 330 milliards de dollars en 2018

Mais ces avantages ne permettront pas aux pays africains d’assurer eux-mêmes le financement de leur développement socio-économique. Ils verront ainsi leurs dettes grimper au fil des années. Et en 2018, la dette du continent s’est élevée à 1 330 milliards de dollars, soit 60 % du PIB continental, ou encore 1 060 dollars par habitant, rapportent les auteurs du livre ‘’L’économie africaine 2020’’ paru aux éditions La Découverte. Comparée à la France, à l’Italie et au Japon, qui comptent des ratios allant de 100 à 200 % de leurs PIB, le site ‘’LePoint Afrique’’, qui a exploité ce document, informe que l’Afrique est relativement ‘’peu endettée’’.

A ce propos, le chef de l’Etat, Macky Sall, avait signalé, à l’occasion de la Conférence internationale sur le développement durable et la dette publique, tenue le 2 décembre dernier à Diamniadio, que la tendance haussière a été observée au niveau global à des niveaux beaucoup plus importants. ‘’En 2018, elle a atteint un niveau record de 184 000 milliards de dollars, soit 225 % du PIB mondial. On parle, en Afrique, de 55 % du PIB. On voit donc bien que l’Afrique n’est pas une exception. En réalité, ce qui handicape le continent, ce sont les préjugés et le regard stigmatisant posé sur lui’’, avait justifié le président de la République sénégalaise.

Fin 2017, la dette publique moyenne en Afrique subsaharienne s’élevait à 46 % du PIB, selon le FMI, soit près du double de son niveau de 2010. Et en 2018, l’Afrique de l’Ouest présente le ratio de dette publique le plus faible du continent, avec un taux de 38 % du PIB. ‘’Mais cette performance résulte, pour l’essentiel, du poids prépondérant du Nigeria, historiquement peu endetté (28 % du PIB), alors que le reste de la zone affiche un ratio nettement plus élevé (56 % du PIB)’’, ajoute ‘’LePoint Afrique’’. Les montants de dette émis ont été élevés et, en 2019, l’encours de dette obligataire externe a ainsi atteint 15 % du PIB au Sénégal, 14 % en Côte d’Ivoire, 12 % au Gabon et en Zambie, 11 % du PIB au Ghana.

Selon la même source, l’Afrique de l’Est est particulièrement endettée. Cette partie du continent enregistre un taux de 73 % du PIB, du fait du poids du Soudan qui affiche un taux d’endettement extrême de 166 % du PIB. Tandis que le reste de la région présente un ratio moyen beaucoup plus raisonnable de 52 %. ‘’Le taux d’endettement apparaît plus défavorable dans les pays d’Afrique australe, hors Afrique du Sud, avec un taux de dette moyen de 69 % du PIB, résultant d’une hausse particulièrement dynamique au cours de la dernière décennie, en particulier en Angola, au Mozambique et en Zambie’’, fait savoir la même source.

D’après le même site, l’Afrique du Nord est la région où le taux d’endettement public est le plus élevé, avec 74 % du PIB en 2018. Ceci avec des dynamiques haussières ‘’particulièrement rapides’’ à la suite des printemps arabes. ‘’Enfin, en Afrique centrale, la hausse de la dette publique s’est concentrée sur la période 2014-2016 et a été étroitement corrélée avec la baisse des cours internationaux du pétrole. Cette augmentation a été significative (+24 points sur trois ans) mais de courte durée, puisque l’Afrique centrale apparaît comme la seule région où les ratios d’endettement public ont baissé depuis 2017’’, souligne ‘’LePoint Afrique’’ qui se réfère aux auteurs de ‘’L’économie africaine 2020’’.

Il convient de noter également que l’érosion de la contribution du Club de Paris est jugée ‘’massive’’. En effet, son encours de dette sur l’Afrique est ainsi passé de ‘’67 milliards de dollars en 2010 à 44 milliards en 2017, tandis que l’encours global des créanciers bilatéraux progressait sur la même période de 70 à 128 milliards de dollars’’.

Pr. Aly Mbaye : ‘’Cette annulation pourrait apporter aux pays africains plus de marges de manœuvre financière’’

Interpellé par ‘’EnQuête’’ sur les impacts économiques de l’annulation des dettes des pays africains comme souhaité par le président Macky Sall, le professeur d’économie à la faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’Ucad, Ahmadou Aly Mbaye, soutient que cette annulation pourrait apporter aux pays africains ‘’plus de marges de manœuvre financière’’. ‘’Parce que le service de la dette pèse lourd dans nos budgets. Donc, si on annule ces dettes, cela permettrait aux gouvernements d’avoir plus de marges de manœuvre financière, afin d’augmenter leurs investissements et leurs dépenses de transfert. On a vu ce que l’Initiative PPTE avait apporté dans les années 2000. Cela permet d’augmenter de façon substantielle nos investissements pour combler le gap infrastructurel, mais également de se lancer dans les services sociaux comme l’éducation, la santé, la nutrition. Ce qui se passe, c’est qu’il y a un choc extraordinaire et les pays africains subissent de plein fouet les conséquences. Il y a des situations aussi exceptionnelles qui risquent de mettre en péril la stabilité des pays. Donc, c’est normal qu’on puisse compter sur la communauté internationale’’, explique l’économiste.

Et concernant la structure de la dette de ces derniers, le Pr. Mbaye signale qu’elle dépend des pays. ‘’Mais on les qualifierait de pas encore non-maitrisable. La dette est encore maitrisable. Mais la tendance de son évolution est importante pour la plupart de nos pays. C’est plus le rythme de croissance que le niveau de la dette rapporté au PIB qui pose problème’’, dit-il.

À souligner que les institutions de Bretton Woods que sont la Banque mondiale et le FMI ont plaidé, ce mercredi, pour le gel des dettes bilatérales des pays les plus pauvres qui en feront la demande. Cependant, l’économiste précise que ce que ces institutions ont fait, ‘’c’est dégager une position de principe’’ autour des pays. ‘’Il appartient maintenant à chaque pays de mettre en branle sa machine pour négocier avec les partenaires bilatéraux. Le FMI et la Banque mondiale sont des institutions multinationales qui ne peuvent pas dicter leur conduite aux pays’’, affirme-t-il.

Les pays étant souverains et la diplomatie, souvent bilatérale, notre interlocuteur estime que ce qui risque de se passer va ‘’plutôt être le fruit d’actions entreprises au niveau bilatéral’’ entre pays partenaires. ‘’Les États-Unis, la France, le Japon, etc., les grandes puissances ne vont pas forcément écouter ce que le FMI ou la Banque mondiale dira par rapport à cette question. Ils vont peut-être même apprécier les relations qu’ils entretiennent individuellement avec les pays et prendre des décisions par rapport à cela’’, conclut-il.

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