Publié le 6 Jan 2021 - 05:18
ANTOINE FÉLIX DIOME

Excellent parquetier, politique balbutiant

 

Premier magistrat à occuper le poste très politique de ministre de l’Intérieur, le brillant parquetier peine encore à assurer et à rassurer les acteurs et les observateurs de la scène publique. Au lieu de suivre les généraux qui ont marqué l’histoire de ce département avec moins de polémiques, il suit plutôt les traces des politiques dont les règnes ont été toujours jalonnés de controverses.

 

Jamais deux sans trois. D’abord, c’est une déclaration polémique sur l’émigration clandestine. Ensuite, c’est un sac bourré de fric brandi à Touba pour, dit-on, soutenir des commerçants victimes d’incendie. Et maintenant, c’est l’affaire de la retentissante levée de fonds initiée par le parti politique Pastef/Les patriotes. A chaque fois, les sorties du successeur d’Aly Ngouille Ndiaye au ministère de l’Intérieur ont provoqué l’ire de nombreux observateurs. Confortant, du coup, pour certains, les accusations selon lesquelles l’actuel ministre de l’Intérieur n’est en définitive qu’un homme de main choisi par le président de la République pour accomplir une mission bien particulière.

Dans tous les cas, être un excellent magistrat ne signifie pas être un bon ministre de l’Intérieur. Bien au contraire. Professeur agrégé de droit, Jean-Louis Corréa décline ce que pourraient être quelques qualités d’un bon ministre de l’Intérieur.

‘’A mon avis, dit-il, un bon ministre de l’Intérieur doit être à la confluence de plusieurs approches. Il est certes policier et gendarme, mais il est aussi assistant social. Il doit être quelqu’un qui sait manier le bâton et la carotte’’. Ceci, renseigne-t-il, est certes une question de personnalité, mais il y a aussi une dose de formation qui se pose. ‘’Je pense que l’actuel ministre gagnerait à établir une relation de confiance avec les différents acteurs du jeu politique et social que d’essayer d’instaurer trop d’autorité’’.

L’on se demande, dès lors, si c’est le profil de magistrat qui pose problème ou la personnalité même de l’actuel locataire de la place Washington ? De Mamadou Dia à Aly Ngouille Ndiaye, il n’y a pas eu un magistrat comme ministre de l’Intérieur. Sur le site Internet du département, seuls trois généraux de l’armée ont pu contrarier un règne presque sans partage des politiques.

A propos de l’exception Antoine Diome, M. Corréa rétorque : ‘’C’est vrai que cela peut résulter du profil. C’est la première fois qu’un magistrat est nommé à la tête du ministère de l’Intérieur. Et les rapports entre le magistrat et les textes sont parfois très dogmatiques. Le magistrat qu’il est peut ne pas trop s’attarder sur le contexte, l’environnement et certaines autres considérations non moins importantes… C’est pourquoi certaines de ses sorties peuvent être jugées maladroites ou incomprises par la majorité des citoyens. C’est donc à la fois un problème de perspective, de profil et d’approche. Le magistrat se comporte souvent comme une autorité dont les décisions ne souffrent pas de contradiction. Il y a effectivement tout ça qui entre en jeu.’’

Une chose est sûre : Antoine ne rassure guère les acteurs politiques et autres observateurs de l’espace public, dans un contexte de préparation des élections locales. A ce rythme, son nom va certes entrer dans l’histoire des ministres de l’Intérieur qui auront marqué la République, mais tristement. Au lieu de s’inspirer des généraux dont les règnes sont positivement restés dans les annales, le magistrat est surtout sur les traces des politiques dont les règnes sont souvent jalonnés de controverses.

Revenant sur la qualité des généraux qui ont su tirer leur épingle du jeu politique, le Pr. Corréa explique : ‘’Les généraux ont pu incarner la même autorité, mais ils avaient peut-être de l’expérience. Et cela peut aussi justifier cette différence. Il y a beaucoup de choses qui ne se règlent pas par cette attitude autoritaire, mais plutôt par la discussion et par un rapport de confiance.’’

Ainsi, le magistrat apprend difficilement les dures réalités politiques de son département. Jusque-là, ses sorties ont été jugées malencontreuses par nombre d’observateurs. La première a été notée lors du premier numéro du ‘’Gouvernement face à la presse’’. Interpellé sur le nombre de personnes décédées dans l’émigration clandestine cette année, il disait tout de go : ‘’L’objectif du gouvernement n’est pas de compter des personnes décédées, mais de trouver des solutions au problème.’’ Une réponse qui met à nu toutes les carences politiques de l’occupant actuel de la place Washington. Dans la même veine, il avait fait montre d’une impréparation manifeste sur certaines questions, relatives notamment au dialogue national. A l’époque, écrivions-nous : ‘’A Antoine Félix Diome, il faudra encore du temps pour apprendre à se mouvoir dans le terrain bien marécageux de la politique. Sur une question portant sur le dialogue national et la supposée bouderie de son président Famara Ibrahima Sagna, il répondait en ramenant tout à la politique…’’

Ancien procureur spécial de la très controversée Cour de répression de l’enrichissement illicite, puis agent judiciaire de l’Etat, Antoine Diome s’est révélé au grand public pour son rôle central dans l’emprisonnement de certains leaders charismatiques de l’opposition, principalement Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall. Parquetier intraitable, réputé être excellent juriste, il peine, pour le moment, à faire l’unanimité à la tête du ministère de l’Intérieur.

Après le Parti démocratique sénégalais et Manko Taxawu Senegaal, le talentueux juriste risque de se mettre à dos Pastef/Les patriotes.

Le cas Sonko

Par ailleurs, par rapport à l’affaire Ousmane Sonko, la question qui se pose est de savoir si l’ancien agent judiciaire de l’Etat n’est pas allé trop vite en besogne ? D’après plusieurs juristes en tout cas, la loi sénégalaise n’interdit pas à des nationaux, où qu’ils se trouvent, de faire des dons à un parti politique. Monsieur Corréa explique : ‘’Il est clair que lorsque la loi vise des financements de l’étranger, il ne parle pas des Sénégalais établis à l’étranger. Cela se justifiait par le contexte de guerre froide ou de sortie de la guerre froide d’alors. C’était surtout pour éviter que certaines formations soient financées par le bloc de l’Est, par exemple.’’

Maintenant, souligne-t-il, la donne a radicalement changé. ‘’Beaucoup de lois ont même été prises pour permettre aux Sénégalais de l’extérieur de participer au jeu politique. La diaspora a même été érigée en 15e région. On ne peut venir nous dire que ces gens-là qui peuvent même élire leurs députés ne peuvent pas contribuer au financement d’un parti’’.

Cela dit, le professeur de droit souligne que l’interdiction pour les partis politiques de recevoir des financements de ressortissants, de forces et puissances étrangères est toujours en vigueur. ‘’Il faut éviter que les partis soient financés par des puissances étrangères. Si c’est le cas, l’autorité a raison de sévir. Il lui incombe de veiller à ce qu’aucune puissance n’intervienne dans le processus électoral sénégalais. Si c’est le cas, c’est tout à fait normal que le ministère réagisse’’. 

MOR AMAR

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