Publié le 22 May 2017 - 15:50
ARCHÉOLOGIE SOUS-MARINE À GORÉE

À la recherche des mystères de la traite négrière

 

Une équipe de chercheurs composée de Sénégalais et d’Américains explore le fond des côtes de l’île de Gorée, à la recherche des vestiges du passé. Leur objectif est de retracer les tragédies de la traite des esclaves grâce aux navires ayant chaviré.

 

Aux larges des côtes de Gorée, une multitude de pirogues s’étendent à perte de vue. Au milieu d’eux, deux petits bateaux se distinguent par leur taille et l’accoutrement des passagers. Alors que les occupants des embarcations artisanales n’ont aucun équipement visible (malgré le drame récent à Bettenti, dans les îles du Saloum), de l’autre côté, tout est au complet : gilets de sauvetage pour les uns, combinaisons de plongée sous-marine pour les autres. En fait, les deux navires transportent ‘’des pêcheurs’’ d’un genre particulier. Ils sont à la recherche non pas de poisson, mais plutôt de vestiges de l’histoire, des indices de la grande traversée transatlantique.

Il s’agit en fait d’un groupe de six étudiants sénégalais avec leur professeur et deux Américains. Une équipe de neuf chercheurs qui entend explorer les fonds de l’océan pour découvrir des facettes jusque-là ignorées du commerce des esclaves. Et pour cela, le groupe s’est lancé à la recherche d’épaves cachés dans les entrailles de la mer. ‘’Pendant la grande traversée, il y a eu beaucoup de bateaux qui ont chaviré, soit par accident, soit parce qu’il y a eu une révolte des esclaves. Il y a eu peu de survivants. Ce sont donc des histoires que nous ignorons. L’exploration des épaves permet de savoir les tragédies liées à la traite, les conditions particulières dans lesquelles les esclaves ont été capturés et  déportés’’, explique l’archéologue Ibrahima Thiaw, chef du projet, par ailleurs directeur du laboratoire d’archéologie de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan).

Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un autre qui dépasse les frontières du Sénégal : le slavery project. Un programme né aux Etats-Unis, il y a 4 ans, après la découverte du bateau négrier ‘’Mozambique’’ qui a échoué à Cape Town en Afrique du Sud. Le musée national de la culture africaine américaine (USA), la Parc national américain, l’université G. Washington, entre autres institutions, ont décidé de soutenir l’initiative. Ce sont donc eux qui financent les activités. L’Etat du Sénégal, pour le moment, est absent, bien que le Pr Thiaw soutienne avoir saisi l’université de Dakar et le ministère de la Culture. Il ne désespère pas pour autant. L’archéologie sous-marine étant inconnue jusque-là au Sénégal, le spécialiste espère que le programme sera institutionnalisé, afin d’aider ces étudiants qui en sont les pionniers et demain, faire de Dakar un centre de formation en archéologie nautique pour la sous-région. Dans tous les cas, des pays comme Cuba, Brésil, Afrique du Sud et Mozambique sont membres.

‘’Quand notre moniteur m’a demandé de plonger, j’avais refusé’’

Quant au choix des côtes, il s’explique, selon Ibrahima Thiaw, par le fait que la plupart des naufrages ont lieu dans ces endroits, soit parce que la mer est agitée, soit parce que le navire a touché un récif (à l’époque, la topographie n’était pas aussi précise qu’aujourd’hui), soit parce qu’il y a révolte d’esclaves qui n’ont pas voulu quitter leur terroir. Celui de Gorée se justifie particulièrement par le fait qu’il y  avait tout un réseau qui liait l’île aux autres pays africains et au reste du monde.

Au Sénégal, les chercheurs sont à la phase d’exploration, depuis trois semaines. Plusieurs points ont été identifiés, grâce à un magnétomètre, un appareil de détection de métal qui permet d’être plus précis et éviter ainsi d’aller à l’aventure. Il faut ensuite descendre pour recueillir plus d’informations sur place. Une fois arrivée à l’endroit où est située l’épave, les camarades de Pape Leyti, Mady et Adama se préparent. L’on se met rapidement en condition de plongée, une ceinture à plomb, un stylo et une feuille (adaptés à l’eau), mais surtout une bouteille d’oxygène qui va d’ailleurs définir le temps du séjour dans l’eau. Pas question de prendre le risque de faire une plongée en apnée comme le font généralement les pêcheurs artisanaux. Surtout qu’une plongée de ces chercheurs dure plus de 30 mn à 12 mètres de profondeur, non loin des côtes goréennes.

Pourtant, Il y a de cela seulement quelques mois, il n’était pas question pour ces étudiants de rester à la surface de l’eau. Aller dans les profondeurs leur était impensable. ‘’Au début, j’avais peur, mais maintenant, ça va, c’est comme si nous sommes dans notre milieu’’, sourit Mamy Sagna, sorti de l’eau il y a quelques minutes, la combinaison encore trempée. ‘’Quand notre moniteur m’a demandé de plonger pour la première fois, j’avais refusé. Tous mes camarades ont plongé, sauf moi. Après, quand je me suis retrouvée au fond de l’eau et que je me suis rendu compte que je ne suis pas morte, je me suis dit que ça va aller’’, raconte avec beaucoup d’humour une autre étudiante. Aujourd’hui, il suffit de regarder les visages à l’heure de la plongée pour se rendre compte que c’est zéro stress. L’on est même très détendu.

Règles de sécurité

Malgré tout, la concentration est de mise, car il n’est pas question de badiner avec les règles de sécurité. Le travail se fait en binôme et les tâches définies à l’avance. Chacun surveille l’autre et à la moindre difficulté, il lui vient au secours. Ainsi, pour être sûr que tout va bien, toute personne qui plonge met sa main au-dessus de sa fête, un signe qui veut dire que tout se passe comme prévu. L’un des bateaux est également en permanence dans le périmètre indiqué, pour intervenir en cas de nécessité. Sans oublier le fait qu’on ne laisse aucune pirogue s’approcher au risque de heurter la tête d’un plongeur qui revient du fond de l’océan.

Par ailleurs, Bien que précieuse en termes d’informations, cette branche de l’archéologie n’entend pas à elle seule retracer l’histoire. Elle aide plutôt au travail de recoupement. De ce fait M. Thiaw et les siens espèrent que les résultats, combinés à ceux de l’archéologie terrestre et des archives, apporteront une idée plus claire de ce qui s’est passé durant cette période dramatique de l’histoire de l’humanité, des Noirs, singulièrement.  

BABACAR WILLANE

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