Publié le 8 Aug 2019 - 22:25
AUDIENCES TOUS AZIMUTS A L’AILE DURE DE L’OPPOSITION

Wade met la pression sur le ‘’Macky’’

 

A travers ses audiences accordées aux leaders de Pastef Ousmane Sonko et de Tekki Mamadou Lamine Diallo, l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade, fait d’une pierre deux coups. D’abord, il rassemble l’aile dure de l’opposition autour de sa personne en perspective des échéances électorales futures. Mais il met également la pression sur le président de la République et sur son régime.

 

En marge de la scène politique, depuis son voyage en Guinée, à la veille de l’élection présidentielle du 24 février 2019, l’ancien président de la République reprend progressivement du service. Ses audiences accordées récemment au leader de Pastef Ousmane Sonko et au président de Tekki Mamadou Lamine Diallo en disent long sur ses intentions. Le choix des personnalités politiques qu’il reçoit est loin d’être anodin.

Selon le Pr. Ibou Sané, enseignant-chercheur en sociologie politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, ce sont ceux-là même qui boycottent le dialogue national que le secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais (Pds) essaye de rassembler autour de lui. ‘’Le président Wade a toujours la politique dans le sang. Il est toujours dans les manœuvres pour essayer de rassembler une opposition complètement dispersée où, tous les jours, on crée d’autres forces d’opposition dans le seul but de contrer le parti au pouvoir’’, déclare-t-il.

Au-delà du positionnement en perspective des prochaines joutes électorales, Me Wade cherche également à reprendre la main dans le jeu politique qu’il a, un moment donné, abandonné pour s’emmurer dans un silence assourdissant par moments.

Pour Moussa Diaw, Abdoulaye Wade serait en train de s’impatienter. ‘’Quand il y a eu ce voyage en Guinée, le retour de Wade est marqué d’un retrait politique dans toutes les affaires politiques, sans prendre de position. Cela laissait transparaître des négociations secrètes entre cette majorité et lui. A un moment donné, ce silence peut pousser les gens à s’interroger sur son attitude. Peut-être qu’il a trop patienté et puis il n’a pas vu les résultats de ce qu’il attendait de ces négociations. Maintenant qu’il a trop patienté et qu’il ne voit rien venir, il tente de revenir sur le terrain politique pour faire pression sur le régime’’, analyse l’enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis.

Selon lui, les audiences accordées à certains membres de l’opposition dite radicale, montre très bien qu’il est en train de reprendre la main. ‘’Parce qu’il s’impatiente de ce qu’on lui avait promis dans les négociations et qu’il n’a pas vu les résultats de son silence. Je pense que c’est à la suite de cela qu’il a adopté cette position. Ça lui permet, d’abord, de faire pression sur le pouvoir. Parce que le pouvoir aussi a peur d’Abdoulaye Wade. A chaque fois qu’il est dans le silence, on s’interroge. Chaque fois qu’il parle, les gens sont perturbés, parce qu’on ne sait pas les coups fourrés qu’il peut donner. Il maitrise tous les mécanismes d’action politique et c’est ça justement qui est son point fort. C’est l’énigme des interactions autour de ces audiences répétées’’, explique-t-il.

L’ancien président de la République s’active dans un contexte assez particulier, peu favorable au régime avec l’éclatement du scandale à 10 milliards de dollars au cœur duquel est cité le frère du président de la République Aliou Sall et le tollé soulevé par les arrestations de Guy Marius Sagna et d’Adama Gaye. Ces affaires pendantes, selon Moussa Diaw, sont mal gérées par le régime sur le plan de la communication. Du coup, elles sont devenues des ressources politiques que l’opposition radicale pourrait utiliser pour se renforcer au sein de l’opinion publique et combattre la majorité.

D’ailleurs, relève M. Diaw, ce que Me Abdoulaye Wade partage avec les leaders politiques qu’il reçoit ces temps-ci, c’est qu’ils sont à peu près dans la même position frontale par rapport à la majorité et leur refus catégorique de participer au dialogue national.

‘’Ce sont là des points de convergence avec ceux qu’il reçoit. Le fait qu’il s’active peut être expliqué par sa stratégie de grand manipulateur. Abdoulaye Wade est un grand manœuvrier politique. Malgré son âge, il cherche toujours à jouer un rôle. Le fait qu’il cherche à rassembler autour de lui montre qu’il est en train de mettre sur pied un regroupement qui va mener bataille contre le pouvoir, en s’appropriant des affaires qui secouent actuellement le paysage politique sénégalais’’, soutient-il.

Toutefois, Moussa Diaw relève que l’ancien président de la République, vu son âge avancé, ne peut plus jouer le rôle de tête de proue de cette opposition. Néanmoins, il peut beaucoup apporter à celle-ci, en termes de conseil et d’encadrement. ‘’Connaissant bien les personnalités qui sont dans l’opposition, il peut leur être d’un apport capital dans la stratégie qu’ils sont en train de mettre sur place pour mener justement une bataille politique en s’appropriant des revendications dans la gestion des ressources naturelles, dans les blocages au niveau social et jouer un rôle important dans le combat politique futur, c’est-à-dire les prochaines échéances électorales. Abdoulaye Wade leur sera là d’un atout considérable’’, déclare-t-il.

Avant d’ajouter : ‘’Même si son âge ne lui permettra pas et qu’il n’a pas la force, il peut s’appuyer sur de jeunes leaders qui sont en train de mener un combat sur le terrain médiatique et lui, derrière, il peut leur servir de leadership et les orienter dans le combat qu’ils sont en train de mener.’’

MAURICE SOUDIECK DIONE, DR EN SCIENCE POLITIQUE

‘’Me Wade adresse des signaux forts au régime’’ 

Selon l’enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, le Dr Maurice Soudieck Dione, Abdoulaye Wade, à travers les audiences qu’il accorde aux leaders de l’opposition dite radicale, envoie des signaux forts au président Macky Sall et à son régime.

Après Ousmane Sonko jeudi dernier, il a reçu samedi, en audience, le président de Tekki, Mamadou Lamine Diallo, avec qui il a discuté quasiment des mêmes questions du dialogue national et du scandale à 10 milliards. Quelle appréciation faites-vous de sa posture ?

C’est une posture de Me Wade qui consiste à adresser des signaux forts au régime du président Sall, à travers les leaders avec qui il se rapproche, ceux qui s’inscrivent dans la perspective d’une opposition radicale et en mettant en cause le dialogue national que le régime du président Sall utilise pour redorer son blason. Enfin, à travers l’agitation du scandale présumé de la Bbc concernant l’affaire Petro-Tim.

 Est-il en train de reprendre du service, après quelques mois de trêve ?

Naturellement, Me Wade semble reprendre ses activités politiques. Reste à savoir à quelles fins.

Cherche-t-il, selon vous, à regrouper autour de lui l’aile dure de l’opposition sénégalaise ?

En tout cas, les leaders qui sont avec lui s’inscrivent dans cette dynamique d’opposition sans concession au régime du président Sall. 

Que peut-il aujourd’hui espérer de ces leaders de l’opposition comme Sonko, Diallo, Thierno Alassane Sall, entre autres ?

Sonko a été candidat à la Présidentielle du 24 février 2019 et s’est classé en 3e position, après les candidats Macky Sall et Idrissa Seck. Il a engrangé un score honorable de 15,67 % des voix, soit 687 523 suffrages exprimés. Les autres leaders rencontrés, à savoir Thierno Alassane Sall et Mamadou Lamine Diallo, étaient membres de la coalition Idy2019, après avoir été recalés à travers le procédé fort controversé du parrainage. Deux lectures s’offrent par rapport à ce rapprochement entre Abdoulaye Wade et ces leaders.

Concernant Pastef de Sonko, la manière dont son leader dit vouloir faire de la politique, c’est de s’inscrire dans une dynamique antisystématique, dans la perspective d’un changement radical de paradigmes, d’idées, de projets et de pratiques, pour rompre avec les méthodes de gouvernance qui ont plombé les efforts de développement du pays depuis 1960, précisément la corruption, le népotisme, le clientélisme, la manipulation des institutions et des règles de la compétition électorale. Le régime d’Abdoulaye Wade a incarné ce mode de gestion du pouvoir au plus haut point, dans ce qu’il avait de plus néfaste et de manière manifeste et flagrante. Dans ces conditions, une alliance Sonko-Wade est-elle crédible ?

D’un autre côté, que peuvent apporter à Me Wade les leaders qui furent membres de la coalition Idy2019, comme Mamadou Lamine Diallo et Thierno Alassane Sall ? Même si la coalition Idy2019 était une alliance électorale qui ne lie pas ces leaders au-delà de l’échéance présidentielle du 24 février 2019, il convient de préciser que la posture d’Idrissa Seck par rapport au régime du président Sall n’est pas une posture radicale, car son parti participe au volet politique du dialogue national, pour trouver des solutions concertées afin de sortir de l’impasse dans laquelle le régime du président Sall a mis le processus électoral, à travers des modifications unilatérales des règles du jeu politique, dans un contexte marqué par une rupture de confiance avec l’opposition, après les élections législatives très mal organisées du 30 juillet 2017 et ensuite l’instauration du parrainage sans concertation et la neutralisation judiciaire d’adversaires politiques.

Au demeurant, lors de la Présidentielle du 24 février 2019, Me Wade aurait pu choisir un camp dans l’opposition pour affaiblir le régime du président Sall et travailler à ce qu’il y ait un second tour pour mieux négocier le cas Karim Wade, en cas de changement de régime. Il a opté pour une autre stratégie, celle du boycott, qui n’a pas été payante, car il s’est exclu lui-même du jeu et a donc perdu tout moyen de pression politique pour négocier à son avantage. Les manœuvres qu’il déploie ne traduisent pas l’expression d’un rapport de force susceptible de lui être favorable, en raison de la cohérence interne du pôle de l’opposition qu’il structure autour de lui, avec des théoriciens de l’antisystémisme alliés à de purs produits du système et surtout en raison de la représentativité politique de ce pôle se voulant radical ou radicalisé.            

Le silence d’Abdoulaye Wade, depuis son voyage de Guinée, avait poussé certains à soupçonner un parfum de deal passé sur le dos de l’opposition avec Macky Sall. Pensez-vous qu’à travers ses actions, Wade veuille mettre la pression sur le régime ?

Me Wade est certes un stratège politique redoutable, mais il me semble qu’il y a eu des erreurs stratégiques qui ont été commises par le Pds et que le parti est en train de payer. D’abord, par rapport à la libération de Karim Wade.

En effet, le régime était dans de sérieuses difficultés, car l’incarcération de Karim était considérée comme arbitraire par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire ; ses droits avaient été violés lors de la traque détraquée des biens mal acquis, sélective, manifestement et caricaturalement politisée, et organisée à travers une juridiction d’exception ; la Cour de justice de la Cedeao avait estimé que ses droits avaient été violés, notamment le privilège de juridiction. Toutes ces péripéties, non exhaustives du reste, inacceptables dans un État de droit digne de ce nom, faisaient que l’affaire Karim Wade était une patate chaude bien embarrassante pour le régime en place. C’est ensuite qu’il fut gracié, exfiltré de la prison de Rebeuss et exilé au Qatar dans des circonstances non encore éclaircies.

Il semble que le régime du président Sall a finalement su tirer son épingle du jeu, dans cette affaire. Par ailleurs, en s’obstinant à maintenir Karim Wade pour porter les couleurs du Pds pour la Présidentielle de 2019, sans penser à une solution de rechange, malgré la grosse hypothèque qui pesait sur la candidature de Karim, il me semble également qu’il y a eu là une erreur stratégique. Dans la foulée, après l’invalidation de la candidature de Karim Wade, Me Abdoulaye Wade a choisi de ne soutenir personne, alors que s’il s’était pleinement impliqué dans la campagne à côté d’un candidat de l’opposition, cela aurait pu changer la donne.

À part les élections locales qui en principe ont été renvoyées à juin 2020, les prochaines échéances électorales sont prévues pour 2022 (Législatives) et 2024 (Présidentielle) !

Donc, aujourd’hui, le Pds ne semble pas avoir de moyens de pression sur le régime du président Sall. Il convient de préciser que les mobilisations pour exiger la transparence dans la gestion des ressources naturelles du pays dépassent le cadre des partis politiques, qui peuvent naturellement se joindre à cette dynamique populaire et citoyenne, qu’ils auront cependant du mal à manipuler pour leurs intérêts strictement partisans.

Est-il en train de s’impatienter ?

Certainement qu’il s’impatiente, mais le résultat d’une négociation politique, c’est l’aboutissement, la traduction et l’expression d’un rapport de force. Or, de ce point de vue, Me Wade n’est pas avantageusement positionné par rapport au régime du président Sall. Il n’a pas les moyens politiques de s’imposer ou d’imposer.

Que peut-il aujourd’hui apporter à Sonko, Diallo et autres leaders de l’opposition dite radicale ?

Il peut certes leur être bénéfique à travers sa grande expérience politique. Me Wade a prouvé, de manière éloquente et pertinente, ses talents d’opposant pendant plusieurs décennies. Mais son âge avancé ne semble pas lui permettre de mener encore une opposition radicale.

Est-ce que le contexte politique national lui est aujourd’hui favorable pour reprendre la main, après s’être isolé du jeu politique depuis la Présidentielle de février 2019 ?

Je ne le pense pas, car Me Wade s’est retiré du jeu. D’abord, en n’ayant pas prévu pour le Pds dont il est le secrétaire général national une candidature de substitution à celle invalidée de Karim Wade pour la Présidentielle du 24 février 2019. Ensuite, en appelant au boycott, de telle sorte que Me Wade n’a soutenu clairement et activement aucun candidat de l’opposition, lors de la dernière présidentielle.

ASSANE MBAYE

 

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